From Serisiat   octobre 1823

[198] Plotte près Tournus 8bre [octobre] 1823
Mon cher Ampère,

Je profite de l'occasion d'un jeune homme de ma connaissance pour t'offrir mes compliments et te renouveler les sentiments de mon ancienne amitié qui m'a toujours lié avec toi d'une manière si douce et si agréable, d'abord à Poleymieux qui fut le berceau de tes premières années, et ensuite partout ailleurs où j'ai eu le plaisir de te revoir.

Tu sauras donc par la présente que je t'aime toujours beaucoup, et puis que je voudrais que tu me rendisses un service qui me tient fort à cœur. Le porteur de ma lettre, qui est M. Alfred Noly, cultive à Paris depuis quelques années les mathématiques que tu as poussées toi-même si glorieusement et si loin. Eh bien il y a un peu dans mon fait de jalousie et d'ambition, et de même que tu honores la patrie par tes grands succès et par l'éminence de ton savoir, je voudrais aussi que mon petit pays pût se glorifier un jour d'avoir produit mon jeune ami ; mais comme à son âge, il ne peut voler encore de ses propres ailes, et qu'il a besoin d'assistance pour être initié dans les secrets d'une science si abstraite et si relevée, je désirerais que tu voulusses bien lui donner la main pour l'aider à se percher à une bonne hauteur et que tu le facilitasses en ce qui pourrait dépendre de toi, afin que moyennant son travail et son application, il fût à même de faire des progrès qui réjouiraient sa famille à laquelle[199] je tiens beaucoup, et lui faire trouver à lui-même de l'avantage et de la satisfaction d'avoir entrepris de courir dans cette carrière. Je m'intéresse d'autant plus à ce que tu m'accordes en sa faveur ton secours et ta protection que je suis fort lié avec le jeune homme autant que le comporte la différence de nos âges et encore plus avec ses auteurs que je vois assez fréquemment et dont je reçois toutes sortes d'honnêtetés et de marques de bienveillance.

Me voilà depuis quatre ans, mon pauvre ami, orphelin comme toi par la mort de ma mère arrivée en 1819 et encore ne puis-je pas me plaindre en me comparant à toi, car il me semble qu'il y a bien davantage que tu as eu le malheur de perdre la tienne. C'est ce qui m'a mis dans le cas de passer beaucoup de temps dans ce pays-ci que ma mère habitait depuis la Révolution et où elle nous a laissé des fonds que nous avons eu à partager entre nous. Cela m'a privé de voir aussi souvent que par le passé notre ami M. Bredin que je te sais tout plein de gré de m'avoir fait connaître et dont le commerce et la conversation ont eu pour moi tant de charmes que j'ai procuré le même avantage à plusieurs de mes anciens camarades qui en font leur bonnes fêtes. La première {sic} fois que je le verrai, je lui dirai que j'ai eu le plaisir de t'écrire et que je suis devenu d'une manière particulière ton client et ton débiteur en te priant d'être le protecteur et le patron de mon voisin.

M. Brunet ton ancien concitoyen de Poleymieux est ici avec moi depuis quelques années et, sachant que je te donne de mes nouvelles, il te présente ses saluts et compliments en s'unissant à moi pour recommander le jeune Noly à ta bienveillance. Tu as dû être informé dans le temps que je n'ai pas pu voir cette[200] dame d'Allemagne que tu m'avais annoncé devoir passer par Lyon, mais qui avait pris une autre direction dans ses voyages.

Adieu, cher Ampère, conserve toi pour servir Dieu de plus en plus, et faire plaisir à tes amis ; je t'embrasse tendrement en attendant la bonne fortune de te revoir et suis pour la vie et au-delà ton affectionné et dévoué Serisiat.

[201]A Monsieur Ampère, professeur de mathématiques à l’École polytechnique, à Paris.

Please cite as “L1015,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1015