To Gerrit Moll   1821

[1821]

[2] Monsieur, j'étais absent de Paris lorsque le mémoire que vous m'avez fait l'honneur de m'envoyer et la lettre obligeante dont il était accompagné, sont arrivés chez moi. N'en ayant eu connaissance qu'à mon retour, je n'ai pu vous en faire plus tôt tous mes remerciements. J'ai lu avec beaucoup de plaisir ce mémoire. Les faits que vous y décrivez ne peuvent manquer d'intéresser les physiciens. Ils sont, au reste, comme vous me l'annoncez, une suite nécessaire de la théorie que j'ai exposée, mais peut-être pas de la manière la plus propre à la faire bien concevoir. Voici comme j'aurais dû la préciser.

Toute explication dans les sciences \physiques/ consiste à découvrir un fait primitif exprimé par une loi générale et qui, une fois posé, serve à en déduire tous les autres ; Le fait primitif ne saurait être ici l'action entre un conducteur voltaïque et un aimant, parce que, ces deux choses étant hétérogènes, leur action mutuelle est nécessairement plus compliquée que celle qui a lieu entre deux aimants, ou celle que j'ai découverte entre deux fils conducteurs ; Comme on n'a connu\d'abord/ que celle \qui a lieu/ entre deux aimants, on l'a prise pour \on a dû naturellement la considérer comme le/ fait primitif, et l'on a pris \le prendre/ pour la loi générale à laquelle on a tâché de tout ramener, que les extrémités de même nom d'un aimant se repoussent et que celles de nom opposé s'attirent ; Comme l'ordre dans lequel on a découvert \découvre/ les faits ne fait rien à leur réalité[3] dans la nature, j'ai pu prendre pour fait primitif l'action mutuelle de deux fils conducteurs, telle que je l'ai établie par des expériences multipliées, et pour loi générale que deux parties de fils conducteurs s'attirent quand la direction de l'extrémité zinc à l'extrémité cuivre, que j'ai nommée pour abréger direction du courant électrique, est dans le même sens dans les deux portions qui agissent l'une sur l'autre, et que ces deux portions se repoussent quand la direction de l'extrémité zinc à l'extrémité cuivre est en sens contraire dans ces mêmes portions ; J'ai représenté par la formule publiée dans le cahier de septembre 1820 du Journal de Physique, ce que devient cette action dans toutes les positions que peuvent avoir l'une à l'égard de l'autre les deux portions de fil conducteur ; J'ai d'abord déduit de cette loi toutes les circonstances de l'action mutuelle de deux conducteurs voltaïques, telles qu'on les observe dans mes expériences où l'aimant n'est point employé. J'ai montré \ensuite/ par d'autres expériences qu'un circuit voltaïque mobile était dirigé par le globe terrestre précisément comme il le serait d'après les mêmes lois, par de l'électricité disposée et se mouvant \de l'est à l'ouest/ dans les régions équatoriales simplement comme l'électricité est disposée et se meut dans le fil conducteur de l'extrémité zinc à l'extrémité cuivre, ou bien dans la pile de l'extrémité cuivre à l'extrémité zinc. J'en ai conclu, comme je le devais, que la direction du circuit voltaïque mobile par le globe de la terre devait être attribuée en effet à cette cause, et j'ai ajouté à cette preuve directe plusieurs considérations qui en montrent toute la [illisible] \probabilité/ ; Puis, venant à l'action mutuelle d'un conducteur et d'un aimant découverte par M. Œrsted, j'ai trouvé qu'elle était précisément celle qui aurait lieu si l'aimant était un assemblage de conducteurs ou de piles voltaïques dans des plans perpendiculaires à son axe ; J'ai imité complètement tous les phénomènes que présentent les aimants avec des conducteurs roulés en hélices et disposés comme vous avez pu le voir dans mon mémoire ; J'ai montré \que d'après la manière dont le fil conducteur agit sur un aimant dans les expériences de M. Œrsted/, l'aiguille aimantée était dirigée par le globe terrestre, précisément comme elle le devait être d'après les courants électriques dont j'avais déjà établi l'existence dans le globe, d'après la manière dont ces courants agissent sur un aimant dans les expériences de M. Œrsted \pour expliquer son action sur le circuit voltaïque mobile / ; Enfin j'ai montré qu'en attribuant tous les effets des aimants à ce qu'il y \admettant qu'il/ existe \suivant/, dans des courbes fermées, soit autour de l'axe, soit autour de chaque molécule \et dans ses plans perpendiculaires à leurs axes/, la même disposition d'électricité que dans les piles et les conducteurs voltaïques, \et qu'elle y agit comme elle le fait dans le cas où ces conducteurs agissent les uns sur les autres, on pourrait prévoir d'avance toutes les/ [4] circonstances de leur action mutuelle, et celles en particulier de l'aimantation\qui se trouvent dans certains cas/ cette théorie était en contradiction manifeste avec plusieurs faits \la théorie ordinaire fondée sur l'hypothèse de deux fluides magnétiques, s'attirant et se repoussant d'après les mêmes lois que les deux électricités, positive et négative, quoiqu'ils soient d'une nature différente, puisqu'il n'agissent point sur elles. J'ai appris depuis trois jours seulement par une lettre de M. Gilbert à M. Magendie que ce dernier m'a communiquée, qu'on avait publié des objections contre ma théorie dans les Annales de physique et de chimie que les sciences doivent à M. Gilbert ; je vais tacher de me procurer les articles de cet ouvrage où elles sont contenues, et les faire traduire pour voir sur quoi elles sont fondées, toutes les conséquences que j'ai déduites de cette théorie ont été trop constamment vérifiées par les faits, pour que je ne soupçonnent pas qu'elles reposent sur quelques circonstances auxquelles on n'aura pas fait assez d'attention, et alors je ne négligerai pas d'y répondre. Je continue en attendant à m'occuper, autant que cela m'est possible,[5] des calculs nécessaires pour déduire de ma formule relative à l'action mutuelle de deux petites portions de courants électriques, toutes les conséquences qui en découlent, et dont l'accord avec les résultats de l'expérience est le seul moyen de ne rien laisse à désirer sur les preuves de l'identité de l'électricité et du magnétisme./

[4] Mais cet ensemble de preuves de l'identité de l'électricité et de la cause des phénomènes magnétiques n'a pas encore produit la conviction générale qu'on devait naturellement en attendre. Je ne puis l'expliquer que par une circonstance dont je ne puis d'ailleurs me rendre raison, c'est qu'on a partout répété les expériences de M. Œrsted, et que les miennes sur l'action mutuelle de conducteurs voltaïques ne l'ont été à ma connaissance qu'à Paris, à Genève, et peut-être chez vous. Cependant elles sont bien aisées à faire. M. Thillaye à Paris, M. de La Rive à Genève les ont répétées avec tout le succès possible. Je les ai faites vingt fois en présence d'un grand nombre de personnes, parmi lesquelles MM. de Humboldt, de Bournon, Fourrier, Arago, Fresnel, Dulong, etc. Dernièrement j'en ai montré une partie à M. le docteur Ure.

Je reste convaincu que, partout où on les répétera avec un peu de suite, on ne pourra se refuser à admettre les conséquences que j'en ai tirées. Il s'en faut bien qu'on ait besoin pour cela d'appareils dispendieux. M. Thillaye a réussi avec une pile de six couples de 4 pouces sur 6 de grandeur et avec de simples conducteurs de fils de laiton munis de pointes d'acier pour qu'ils puissent se mouvoir librement en tournant dans de petites coupes pleines de mercure qu'on peut faire de la substance qu'on veut.

J'ai l'honneur d'être avec la plus haute considération, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur. A. Ampère

[5]à Monsieur [illisible] \ G. Moll, membre de l'Institut des Pays-Bas, à Utrecht /

Please cite as “L1019,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1019