To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   6 avril 1802

[1039] Du mardi [6 avril 1802]

J'ai reçu ce matin une lettre de ma Julie qui m'a fait bien plaisir. Elle m'a appris de bonnes nouvelles de mon pauvre petit et j'espère, comme toi, qu'il ne paraîtra plus rien sur sa petite joue dans quelques jours. Baise-le bien, ma bonne amie, de la part du papa qui est à Bou[rg] ! Pourquoi m'ôtes-tu l'espérance de t'amener à Pâques ? Un petit voyage serait si facile si ta santé n'allait pas trop mal et que l'appartement fût loué. Dis, je t'en prie, à Marsil qu'il ne cherche pas si obstinément à nous y faire gagner ; c'est bon de l'essayer, mais il ne faut pas nous exposer[1040] à perdre 600 l[ivre]s par année. Tu sais que M. Rosset m'avait dit qu'il le reprendrait à ses périls et risques. Si cela ne fâchait pas Marsil, je te conseillerais bien de prendre ce parti qui nous débarrasserait de toute responsabilité.

Je ne pus pas t'écrire hier, ma bonne amie, parce que M. Clerc avait vacance à cause du quintidi (2) et que nous ne finîmes qu'à neuf heures du soir nos opérations chimiques de tout le jour. Aujourd'hui j'ai assisté à l'examen qu'on a fait de ses élèves et c'est moi qui, d'après l'invitation de M. d' Avrieux 1 qui le présidait, ai fait le plus de questions aux élèves. Son fils Hyacinthe[1041] d' Avrieux a le mieux répondu de tous ceux qui ont passé aujourd'hui. Je regrette bien que son père n'ait pas voulu qu'il suivit mon cours ; peutêtre le suivra-t-il quand j'en serai à la chimie. Que je suis content que tu aies bien dormi, ma bonne amie ! J'espère te trouver un peu mieux portante quand je t'irai revoir à Pâques ; j'espère aussi que mon bonheur ne sera troublé par aucun accident pareil à celui qui t'a fait tant de mal. Tu me dis que tu me l'as pardonné et que tu as tout oublié, je t'en remercie et je sens que je ne le mérite guère. J'aurais dû veiller avec plus de soin puisque ton bonheur et le mien m' étaient confiés [1042] en même temps que notre pauvre petit. Tu me dis que tu es fâchée de m'avoir grondé ce jour-là. Je trouve, au contraire, que tu as été trop bonne et je suis sûr, quand j'y pense, que tu as dû te faire une grande violence pour ne pas me dire toutes les injures que j'avais méritées. Croirais-tu que le temps me dure plus depuis que j'ai été à Lyon ? Je ne pourrais supporter l'idée de ne pas y retourner à Pâques. Il me semble que j'ai pour ainsi dire laissé échapper l'occasion de faire une récolte de bonheur qui pût quelque temps nourrir mon cœur loin de toi. J'espère en faire une meilleure provision à Pâques. [1522] Je te remercie du baiser que tu m'envoies de la part de ma Julie et de mon petit. J'en ai donné de bon cœur à cet endroit de ta lettre que j'ai été relire pour mon dessert dans les prés qui sont au bord de la rivière, auprès de la belle allée de peupliers dont je t'ai parlé dans une de mes dernières lettres. J'ai retrouvé tous mes papiers. Quant à Nollet, j'en ai neuf volumes et je vérifierai s'il devrait y en avoir davantage sur l'édition qu'en a M. Chapuis. Au reste, mes neuf volumes ont été reliés dans l'état où ils sont et tous les numéros se suivent.[1523] J'ai oublié de te dire dans ma dernière lettre que Perrin avait eu une attaque d'apoplexie pendant mon séjour à Lyon. Il va bien à présent relativement à l'état désespéré où il a été pendant 3 jours. Sa femme ira samedi à Lyon et me rapportera de tes nouvelles et de celles du petit. J'ai eu ce matin une explication avec elle au sujet de mes déjeuners à 2 s[ols] ; elle disait qu'elle n'avait entendu par là fournir que la pitance et que je devais payer le pain. J'ai fait à ce sujet le compte de mes déjeuners du mois passé et j'ai vu que j'avais mangé plus de 3 l[ivre]s. Après bien des discussions nous avons fait un nouveau marché à 4 l[ivre]s par mois, pitance et pain.[1524] Ce changement m'a assez ennuyé ; mais je suis persuadé qu'autrement cette femme y aurait perdu et je n'aurais pas osé manger mon soûl . Mme Beauregard voudrait bien avoir ses couverts ; elle m'a chargé de te prier de ne pas les oublier à ce voyage de Pochon, non plus que le balai . Je désire bien aussi qu'on n'oublie rien de ce que j'ai demandé pour le cabin[et.] On me remboursera la petite note que j'ai laissée sur le bureau de Marsil ; c'est pourquoi il serait à propos qu'il prît bien tout ce qui y est : 3 l[ivre]s d'huile de vitriol. 1 d'esprit de nitre. 1 d'esprit-de-vin.[1525] S'il était possible d'y joindre une livre de salpêtre, ce serait bien bon pour moi. Voilà, ma bonne amie, bien des choses qui te donneront peut-être du souci ou de l'embarras. Mais tu me le pardonneras et, à Pâques, rien ne viendra troubler ma courte, mais si douce félicité. J'embrasse mille fois tout ce que j'aime, ma Julie et mon petit. A. AMPÈRE

A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, grande rue Mercière, à Lyon.
(1) Huit pages in-4° de 20 x 23 ; adresse sur la dernière. Réponse à Julie p.125. (2) 15 germinal. (3) Ampère a écrit d' Avrieux.

Please cite as “L104,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 8 May 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L104