To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   11 avril 1802

[1027]Du dimanche [11 avril 1802]

J'ai reçu par Pochon bien des paquets de Lyon, mais point de lettre de ma bonne amie. Je n'ai reçu qu'une lettre de toi depuis plus de 8 jours que j'ai quitté tout ce que j'aime. Je ne sais point comment va la joue de mon pauvre petit. Peut-être est-ce, comme l'autre fois, le frère de Pochon qui aura gardé ta lettre ? J'irai m'en informer demain. Si tu m'as écrit, je trouverai dans ta lettre la note de ce que tu m'as envoyé pour la vérifier. \Je te remercie des douceurs que tu m'envoies ; mais il vaudrait encore mieux que ma Julie les eût mangées./ Je voudrais bien aussi avoir la note des effets envoyés par Marsil. Je n'ai reçu que quelques livres de mercure dans la cornue de fer, les 55 l[ivre]s que devait donner M. Sionnet n'y sont pas et [illisible] cela m'inquiète et me tracasse.[1028] L'examen des élèves de mathématiques a fini hier et je recommence demain mes leçons. J'ai fait ce matin [avec M. Clerc] quelques expériences de chimie. J'ai été dîner chez lui et j'étais encore à table quand on [est] venu me chercher de la part de Pochon. Mon après- dîner a été toute employée à ranger ce qui m'est venu de Lyon. A la nuit tombante, j'ai été faire un tour de promenade sous des arbres qui forment un bouquet dans un coin du jardin du collège. C'est là que je pensais à toi, à la manière dont ma vie s'écoule ici dans l'ennui et toutes \tristement/ ces idées ne m'ont pas \me/ rendu \ent/ \pas/ le cœur gai. Il me serait impossible de supporter ma manière d'être \[illisible]/ actuelle sans la certitude de te voir bientôt. Mais je redoute l'instant qui suivra une nouvelle séparation.[1029] L'espoir de notre réunion s'éloignera tant alors, si les mêmes raisons t'empêchent de venir partager et embellir quelque temps mon séjour.

Du lundi matin [12 avril] Tout ce que je t'ai écrit hier, ma bonne amie, est du papier perdu, car j'ai reçu ce matin les 55 l[ivre]s de mercure, et toutes les lettres que tu m'as envoyées, ainsi qu'une autre lettre de Marsil par la poste contenant la lettre de voiture de Pochon. J'ai lu des nouvelles bien inquiétantes de ta santé ; j'espère que cela ne sera rien et que M. Petetin va prendre un parti. Il y a longtemps qu'il aurait dû commencer ce traitement. J'attends la Perrin pour savoir comment [1030] tu te trouves à présent et si M. Petetin a commencé son traitement. Je remercie élise de m'avoir écrit à ta place puisque tu étais fatiguée. Après tes lettres, ce sont les siennes qui me font plus de plaisir. Mais je te prie en grâce de ne jamais m'écrire quand tu sens que cela te fatigue. Et j'écrirai à élise pour la prier de continuer à me donner de tes nouvelles ; elle ne refusera pas cela \cette consolation/ à son pauvre frère exilé qui l'aime bien. J'écrirai aussi à Marsil ; mais, comme je vais avoir bien peu de temps parce que les leçons recommencent ce soir, je te prie de lui faire d'avance tous les remerciements que je voudrais lui faire moimême de toutes les peines qu'il s'est données.

[1460]Du lundi soir [12 avril 1802] J'ai donné à 4 h[eures] ma première leçon. Il y avait peu de monde aujourd'hui : ce qui vient probablement de ce que tous ceux qui suivaient mon cours n'ont pas été avertis. Je répéterai demain en abrégé ce que j'ai dit aujourd'hui. Au reste que m'importe ! Tout me devient indifférent quand je pense que ma pauvre petite est malade et qu'il faut non seulement renoncer au plaisir d'espérer qu'elle puisse venir me trouver quelques moments , mais encore à celui de penser que du moins elle est tranquille et ne souffre pas. Je voudrais pouvoir mettre tout mon cœur devant tes yeux, ma bonne amie, afin[1461] que tu visses toutes mes pensées, et que tu t'y visses partout. Je sens de plus en plus que, si l'automne n'amenait aucun changement dans ma position, j'aurais détruit, en acceptant, tout le bonheur de ma vie. Mais tout semble annoncer qu'après un été perdu pour mon existence je n'aurai qu'à m'applaudir du parti que j'ai pris. J'ai encore 5 jours avant de partir et 6 avant de t'embrasser ; ce temps va me paraître bien longtemps  ; j'y attends une lettre de toi et peut-être d'un peu moins mauvaises nouvelles de ta santé. Quant à mes lettres, je t'écrirai demain matin avant de mettre à[1462] la poste et ce sera pour l'avantdernière fois de cette semaine. [illisible] Pochon te portera la suite de mon journal, qui est à cette heure bien sec et peut-être bien ennuyeux. Si quelque chose m'empêchait de t'écrire mercredi, tu seras sûre de mon arrivée dimanche à 5 h[eures] du soir ; à moins qu'il ne fasse mauvais temps ou que l'on ne me permette pas de m'ab[senter.] élise m'a bien recom[mandé] de t'avertir d'avance. Mais je crois que cette lettre est un avis qui la satisfera et que je puis t'aller embrasser tout à coup dimanche sans te causer trop d'émotion.[1463] Du mardi matin Je viens d'aller porter à Pochon la lettre de voiture que Marsil m'avait envoyée. Il m'a dit que, par extraordinaire, il partait aujourd'hui ; je vais donc lui donner cette lettre au lieu de la mettre à la poste ; elle te parviendra après-demain et, l'après-demain d'après-demain, ton mari la suivra. C'est encore bien long pour celui qui t'aime bien. A. AMPÈRE.

A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, grande rue Mercière, à Lyon.

Please cite as “L107,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 18 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L107