From Pierre-Simon Ballanche   30 août 1806

[6] Lyon, ce 30 août [cachet postal 1806]

Mon cher Ampère, j'ai passé quelques jours à Givors et je n'ai vu votre dernière lettre qu'à mon retour. Vous auriez évité le retard que vous éprouvez pour vos 160 francs si vous vous fussiez adressé à Beuchot qui vraisemblablement aurait pu vous les compter. Je ne connais pas, il est vrai, l'état de sa caisse, mais je présume qu'il aurait pu vous fournir cette somme. Enfin c'est fait, voilà votre mandat, et j'espère que vous n'aurez point souffert de ce petit retard. La première fois que vous m'écrirez donnez-moi le n° de votre nouveau logement pour que je n'aie plus besoin de vous adresser mes lettres au n°10, ce qui peut encore occasionner des retards. Mon cher beau-frère a éprouvé un accident qui aurait pu être très fâcheux mais qui heureusement s'est réduit à une forte entorse au pied. Il était dans sa carriole avec ma sœur et plusieurs autres dames. A une descente très rapide, son cheval s'est emporté. Il s'est jeté sur le cheval pour l'arrêter, mais il n'en a pas été le maître, il est tombé et la carriole lui a passé sur le corps. Toutes les dames qui étaient dedans jetaient des cris effroyables mais personne n'a eu de mal excepté le pauvre Polingue qui a tout porté. Il est retenu au lit d'où il ne sort que pour s'établir sur une chaise longue. Voilà, mon cher, comment[7] les accidents arrivent au moment où on s'y attend le moins. Mais je regarde comme très heureux qu'il en soit quitte pour cela, car en vérité il devait arriver bien pis. Je n'irai point à Paris de sitôt, ainsi je vais être encore longtemps privé de vous voir, et de voir l'aimable et bonne Mme Jenny que j'embrasse bien tendrement avec votre permission. Mes respects à M. et Mme Potot. J'ai lu dans votre lettre de Milan que j'ai reçue les jours derniers, une expression que le repentir de votre plume vous a fait rayer. Mon cher Ampère vous êtes bien injuste quand vous dites que j'ai une âme de glace. Je n'ai pas comme vous certains sentiments exaltés, mais je suis, ne vous en déplaise, beaucoup plus fait pour les affections douces. J'aime bien profondément et bien longtemps, et je suis bien sûr, pour prendre l'exemple près de nous, je suis bien sûr que je vous aime beaucoup plus que vous ne m'aimez. Vous ne savez pas ce que j'ai souffert à votre sujet, à mon départ pour l'Italie. J'étais désolé, le mot n'est point trop fort, de partir sans savoir où vous en étiez de vos affaires. J'ai cependant une grande preuve de votre amitié dans l'accueil qu'à ma recommandation vous avez fait[8] à M. d'Avèze . Aussi vous porte-t-il aux nues. Il ne sait comment exprimer sa reconnaissance à votre égard. Cet homme-là sent très vivement, et vous l'avez charmé. Il ne s'attendait pas à cet empressement, dans la circonstance où vous vous trouviez. Je vous en remercie beaucoup, il vous en a remercié par une lettre avant son départ.

Vous avez dû recevoir une lettre de moi à Florence. Vous vous êtes trompé dans vos conjectures. Mme d'Avèze n'est point allé à Paris, elle n'a point cessé d'habiter Montpellier. Mon père a reçu une lettre d'elle pendant l'absence de son père et pendant la mienne.

Par un hasard singulier Noël Jordan [a] fait route avec M. d'Avèze de Paris à Lyon.[Il] a encore été beaucoup question de l'auteur du Sentiment. *.

L'angustura paraît être en bon train. Parlez-en encore à Degérando sans cependant lui casser la tête de cette écorce. Il ne faut pas désoler les gens. Mais vous pouvez très bien lui dire combien M. d'Avèze aurait désiré lui exprimer sa reconnaissance pour tout ce qu'il a déjà eu la bonté de faire à cet égard. Je continue de vous recommander de bien garder pour vous seul l'arrière-pensée que je puis avoir et l'espèce d'intérêt que je puis attacher au succès de l'angustura.

Adieu mon cher Ampère, je vous embrasse un million de fois malgré mon âme de glace, Votre meilleur ami ; Simon

P.S. Je ne sais si vous avez appris la mort de cet intéressant Viry [Couppier] que vous avez beaucoup aimé. Il a été extrêmement regretté par tous ceux qui le connaissaient. C'était un bien excellent jeune homme, vertueux, modeste et vraiment religieux. Sa mort m'a fait une peine infinie.

[9]A Monsieur Ampère, répétiteur d'analyse à l’École polytechnique, secrétaire du Bureau consultatif des arts au Ministère de l'Intérieur, rue du Faubourg-Poissonier n°10, à Paris

Please cite as “L1076,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1076