From Jacques Roux-Bordier   22 avril 1815

[28] Lyon, le 22 avril 1815

Vous seriez mon cher Ampère un homme divin si vous profitiez de mon séjour à Lyon pour y venir passer une quinzaine de jours. Mais dans ce cas expédiez-vous car il faudra bientôt retourner dans mes champs.

Je vous promets même d'écouter votre théorie des idées abstraites et des idées générales. Il y a dans la Législation primitive de de Bonald * que j'ai lue ces jours-ci des choses bien singulières sur les langues et les idées. Comme il y a beaucoup de confusion sous un ordre apparent et de grands abus de mots, je veux en faire un extrait. Je vois qu'il y a moyen de séparer un or pur de cet alliage et le côté par lequel on peut réfuter ses doctrines.

Il a traité les directions premières dont je m'étais occupé dans un petit mémoire que je vous fis passer il y a quelques années pour Maine Biran, dont j'ai conservé une copie que j'ai relue par hasard cet hiver à Genève. Venez donc passer quelques jours à Lyon et nous métaphysiquerons.

J'aurais aussi grand besoin de vous pour m'expliquer les nouvelles doctrines des chimistes relativement aux proportions des combinaisons des corps et au poids absolu des atomes des corps. Je ne connais point les mémoires de Dalton, Berzelius, Davy à ce sujet ; vous m'expliqueriez tous ces points.

Et nous ne nous occuperions plus de politique. J'ai honte d'être homme ou plutôt de parler cette langue française. La première de toutes selon de Bonald et Piestre. Quelle nation que la vôtre ...... ! Voilà bien vos esprits français toujours aux extrêmes, Piestre et de Bonald.[29] Si vous voyez Ballanche, remerciez-le du plaisir que m'a procuré son Antigone *. Cet ouvrage est un chef-d'œuvre. C'est un ouvrage fini. Pureté, élégance, grâce, mouvement, simplicité antique, intérêt, tout s'y trouve réuni.

Quel style admirable. Maintenant que Ballanche nous fasse dans le même genre un ouvrage moderne. Mais qu'il se défie de son catholicisme, qu'il soit chrétien et non catholique.

Qu'il évite cet esprit de parti et de secte, ce dessein, ce but qui entache tous les ouvrages de Chateaubriand.

Le chantre des muses grecques, le chantre d'Antigone ne doit [illisible] ni au culte des païens, ni à celui des non catholiques. Bredin, Châtelain, Touchon, C. Jordan réunissent leur pressante invitation à la mienne pour vous voir arriver le plus tôt possible.

Je viens de faire faire à Bredin l'expérience de la saveur de l'iode.

Adieu à vous, Bodmer

[30]A Monsieur Ampère, membre de l'Institut, cour du commerce n°19, près la rue des Fossés-Saint-Germain-des-Prés, Paris

Please cite as “L1078,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1078