To Elise Carron (sœur de Julie)   22 avril 1802

Jeudi [22 avril 1802]

Je n'ai pas oublié que je dois une réponse aux jolies lettres de ma sœur, c'est un devoir dont j'aime bien à m'acquitter. Car, outre le plaisir de lui écrire, j'ai celui de penser qu'elle m'écrira encore. J'ai promis à Julie de faire une description de mon voyage. Maman qui doit être à Lyon vous a sûrement dit quelle foule inouïe m'avait chassé de la diligence où il semble que je n'étais entré que pour soutenir l'honneur de la nation française, en descendant du tillac dans la chambre de Paris, un énorme paquet, qu'une jeune allemande cherchait en vain à porter en disant à ceux qui la coudoyaient dans la presse : fchten, moutsch, vitcheff ten, etc. Après avoir quitté Poleymieux, je fus passer auprès de la petite maison blanche dont les plus doux souvenirs peuplent pour moi tous les environs. Je cherchai longtemps à Trévoux une occasion pour Châtillon ou la route. Enfin je trouvai une charrette qui me conduisit à un certain village appelé Ambérieux d'où j'eus encore deux bonnes lieues et demie pour atteindre Châtillon où j'arrivai à 7 heures du soir. Je restai sur cette charrette depuis une heure jusqu'à 4, car la route d'Ambérieux se détourne beaucoup de la ligne droite de Trévoux à Châtillon que j'avais craint de parcourir à pied. J'étais sur cette charrette, assis sur un sac de paille, entre les deux endorses et le dos tourné vers le rossinante qui me conduisait dans ma marche triomphale que je parcourais à reculons. Je partis le lendemain à 6 heures un quart de Châtillon. M. Valensot 1 y avait été passer les fêtes à Chanens, m'atteignit à moitié chemin de Bourg, nous fîmes ensemble le reste de la route 2. J'étais un peu las en arrivant, mais une heure de sommeil me débarrassa de la plus grande partie de ma lassitude. J'attends une petite lettre de ma charmante élite avec la plus grande impatience. Julie m'a bien écrit que sa santé se raffermissait un peu et qu'elle s'était allé promener en Bellecour. Mais je voudrais bien que tu m'eusses confirmé ces bonnes nouvelles, car tu sais bien ce que dit le petit biquet de La Fontaine : Deux sûretés valent mieux qu'une. D'ailleurs tu m'as promis toute la vérité et je compte sur ta promesse. En attendant ta lettre dont je te remercie d'avance pour être plus sûr de l'avoir, je t'embrasse de tout mon cœur et je te prie d'embrasser pour moi ma Julie et mon petit. Refuseras-tu cette commission ? Adieu, jusqu'à la Pentecôte. A. AMPÈRE

(2) Professeur de latin à Bourg, voir Lettre 0076.
(3) L’itinéraire est le même que celui de la Lettre 0131 du 31 mai 1802, mais les incidents ne sont pas pareils.

Please cite as “L110,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L110