From Clément Barret   24 juin 1806

[1] L'Argentière le 24 juin 1806

Mon très cher ami, j'avais commencé une lettre pour vous, lorsque votre dernière m'a été rendu il y a trois jours. Le doute dans lequel j'étais que vous eussiez reçu celle que j'avais remise à M. Dumouchet m'avait fait retarder de répondre à celle que j'avais reçue un ou deux jours après le départ de M. Dumouchet. Je répondrai donc aujourd'hui par une seule lettre à deux des vôtres.

Votre cœur est pénétré d'une satisfaction bien vive, vous avez triomphé de ces idées chagrines qui accablaient votre esprit ; vous croyez au bonheur ; j'en bénis Dieu de tout mon cœur ; je vous en félicite bien sincèrement. J'ajouterai néanmoins, en vertu des droits que donne l'amitié, que j'espère vous trouver par la suite amoureux un peu plus sage. Il est bien naturel que dans la situation où vous vous trouvez, vous soyez entraîné par toute l'impétuosité du sentiment qui vous enchante ; mais cela doit conduire, ce me semble, à un état plus paisible et plus conforme à notre nature pauvre et faible. Le sentiment est une chose admirable, mais il appartient à la raison de le perfectionner ; c'est ce qu'elle fait assez pour l'ordinaire, quelquefois même un peu plus qu'il ne faudrait  ; mais je ne demande pas que vous alliez jusque là ; un bel accord, une douce harmonie, voilà tout ce que je désire.

Soyez heureux, mon bon ami, soyez heureux ; mais n'oubliez pas que cette vie est celle de l'instabilité ; que la Providence de Dieu est au-dessus de tous nos biens et de tous nos maux. Si quelquefois notre âme se sent accablée, c'est pour elle un état semblable à celui dans lequel se trouve notre corps lorsque la nature veut, par le moyen d'un mal passager, le débarrasser de quelque matière hétérogène ; c'est une situation pénible, sans doute, mais elle n'est que momentanée et sa fin est la santé c'est-à-dire le bien : reconnaissons donc en toutes choses la sagesse et la bonté infinies, et que notre reconnaissance se manifeste par de continuelles actions de grâce.

Dites à Lenoir, quand vous le verrez, que je désirerais qu'il travaillât de son côté à la conversion de notre ami Bonjour ; ce[2] serait une excellente action ; je ne doute pas qu'il n'en sente toute l'importance.

Le bon M. Mentelle vous embrasse de tout son cœur, ainsi que Lenoir.

Priez pour moi, mon bon ami, et croyez à l'affection sincère qui m'unit à vous pour toujours. Barret.

[3]A Monsieur A. Ampère, répétiteur à l’École polytechnique, à Paris, rue du Fbg Poissonière n°10

Please cite as “L1101,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1101