From Jean-Marie Bonjour   3 juillet 1806

[1] Lyon 3 juillet 1806
A Ampère, Bonjour, salut

Certain juge autrefois a dit élégamment  : dans tout ce que tu fais, hâte-toi lentement. Précepte admirable auquel nous nous conformons, vous vous conformez, ils se conforment.

Vous m'écrivez peu, vous m'écrivez [illisible] : je ne saurais m'en plaindre puisque votre mariage semble traîner en longueur.

Ce mariage me déplaît autant qu'il vous plaît ; il vous fixe à Paris, et nous enlève autant de plaisir qu'il vous en procure : le bel agrément !

Quelle est donc cette toute belle, cette tant bonne qui vaut à elle seule Bredin, Ballanche, Roux, Barret, Desroche, tant d'autres et moi ? Quel trésor qu'un cœur qui seul aime autant que nous aimons tous ensemble ! En vérité mon cher ami, c'est trop pour vous de ce trésor ; j'en veux ma part, rien n'est plus juste, par la raison que les amis des amis sont les amis ; et le grand [illisible], après tout, que vous fassiez consentir votre belle amie à me dire un petit bonjour, à se lier à moi de cœur et d'âme, dans une proportion telle que votre bonheur n'en soit pas diminué.

[2]C'est assez : il faut à présent vous dire que je suis ici à peu près seul. Depuis trois semaines, Bredin prend les eaux de Vals à Vals ; depuis trois semaines, Roux est dans son domaine de Provence et a quitté à son grand regret la houlette de pasteur suisse pour la flûte du troubadour dont il ne tire que des sons plaintifs et languissants ; depuis trois semaines Barret est inquiet pour les pères de la foi des suites de la coadjutorerie de l'archevêque de Lyon : il craint, m'a dit Grosnier, que le successeur de Mgr Fesch ne détruise son ouvrage (je veux dire l'ouvrage de Fesch), ou ne cesse de protéger cette  argentière, &c. &c. Depuis trois semaines je n'ai de Châtelain aucune nouvelle, il se hâte plus lentement que vous, et n'est pas encore marié, quoique depuis trois semaines il ait acheté ses présents de noces. Quant à Desroche, depuis trois semaines je le vois, et crois toujours le voir pour la première fois. Cet ami, si je ne me trompe, en vaut bien un autre.

[3]Je voudrais maintenant finir ma lettre par quelque chose de tendre à vous retracer, les touchants souvenirs de mon bonheur passé, mais je ne sais comment m'y prendre. Notre cœur vous le savez, ne résonne pas toujours de la même manière. D'ailleurs ma raison me dit que toutes mes tendresses seraient bien fades pour un enfant gâté, et que je dois savoir mieux choisir mon temps.

Croyez mon cher ami que je ne reçois jamais de vous une ligne sans la plus vive émotion, que je m'empresse toujours de communiquer mon plaisir à nos amis communs en leur communiquant vos lettres, et que, sous ce rapport, vous devez m'écrire souvent, puisque m'écrire, c'est écrire à beaucoup d'autres.

Que va devenir votre maman ; votre sœur, &c. ? Je prends à tout ce que vous aimez un si vif intérêt que ma curiosité ne doit pas vous paraître indiscrète.

[4]J'embrasse devant vous votre épouse, je l'aime autant que vous l'aimez, et j'attends dans votre prochaine lettre le témoignage de votre dépit jaloux.

J.M. Bonjour

P.S. J'ai vu Desplaces qui m'a dit tant de choses sur votre compte que je voudrais pouvoir les répéter toutes. Je me borne à la plus essentielle : Dii omen avertant, on osait prédire que vous seriez la proie des philosophes, qu'ils vous enrôleraient dans la confrérie, que vous êtes taillé pour cela, et que ce serait chose aisée.

Please cite as “L1111,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1111