From Jean-Marie Bonjour   1er août 1807

[5] Lyon 1er août 1807

Je me réjouis, mon cher Ampère, avec tous nos amis, de ce que nous pouvons enfin espérer de vous embrasser bientôt.

Venez nous voir, venez parmi nous jouir du bonheur d'être aimé beaucoup mieux, j'ose le dire, que l'on aime à Paris. Dans cette grande ville, il y a trop d'orgueil, trop de vanité, trop de distraction, trop d'égoïsme pour que les cœurs sensibles n'y reçoivent pas à chaque instant de cruelles blessures. Si la patrie est aux lieux où l'âme est enchaînée, Lyon est votre première patrie, tous les sentiments chers au cœur de l'homme doivent vous y rappeler ; et je ne crois pas que vous puissiez trouver ailleurs des amis plus vrais et qui vous soient plus dévoués.

[6]J'ai reçu vos deux anciennes lettres, j'y ai répondu pour ma propre satisfaction, et j'ai gardé ma réponse parce que j'ai pensé que je ne n'avais que faire d'occuper de moi mes amis quand ils étaient heureux, et je croyais que vous l'étiez, jusqu'au moment où Bredin m'a communiqué la dernière lettre que vous lui avez écrite. Que de cruels événements elle m'a dévoilé ! Mais heureusement vos maux ne sont pas sans remède. Par un pressentiment inexplicable, je les avais prévus et c'est à cette occasion que je vous disais il y a deux mois :je lis à présent Epictète et Marc-Aurèle, je suis faible, et si je ne me sens pas assez de force pour prévenir le mal, je veux au moins qu'une saine[7] philosophie et qui se rapproche si bien de la morale chrétienne, m'apprenne à le supporter et à me conformer aux décrets de la Providence.

Vous aurez sans doute lu et médité ces deux livres étonnants, mais les meilleures choses peuvent s'oublier surtout dans le fracas du monde. Qu'il me soit permis de vous donner un conseil : relisez Epictète et Marc-Aurèle, cette lecture convient à la fois aux malheureux et à ceux que le bonheur accompagne, elle nous arme d'un triple bouclier contre les coups du sort, et nous apprend à supporter dignement les épreuves auxquelles la divinité veut bien nous soumettre.

[8]J'ai été bien touché de vos tendres souvenirs. L'émotion qu'ils m'ont causé m'a laissé une douce mélancolie que je goûte en secret et dont le charme serait détruit par mes paroles.

Ce bonheur que nous cherchions dans le passé, nous allons le retrouver dans le présent, et nous pouvons espérer qu'il embellira encore notre avenir.

Cette espérance est celle de tous vos amis, tous partagent mon impatience, et tous s'unissent à moi pour vous dire adieu, mon cher Ampère, puissiez-vous [illisible] votre réponse. J.M. Bonjour.

Please cite as “L1112,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1112