To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   25 avril 1802

[1360]Du Dimanche [25 avril 1802]

Il y a bien longtemps , ma bonne amie, que je ne t'ai pas écrit. J'ai travaillé à mon livre et un peu aux mathématiques. Car tu sauras que les professeurs des lycées ne seront nommés, ni à Paris, ni par les jurys, mais par 3 commissaires et 3 membres de l'Institut qui parcourront les provinces et, si je veux me présenter pour les mathématiques, il faudra que je subisse un examen sur les hautes parties des mathématiques \de cette science/ dont je ne me suis pas occupé depuis cinq ans. M. Clerc travaille déjà pour s'y préparer et je n'ai plus de ressources que celles que je puis tirer de moi-même. C'est pourquoi je me suis décidé à ce \te prie/ que tu \de/ sépares \r/ mes papiers de mathématiques dont tu feras[1361] un paquet que tu rangeras bien ; ils me seraient \ces cahiers me seront/ inutiles \à présent soigneusement/ parce qu'on ne m'interrogera pas sur mes idées, mais sur mes études. Tu m'enverras \J'aurai besoin au contraire de/ tous les livres de mathématiques qui se trouvent avec eux chez MM. Périsse. Mais tu garderas l'astronomie de Lalande * dont je n'aipas besoin \me servirai point/. Je ne crois pas, d'après ces dispositions, que M. Roux conserve la chaire de mathématiques ; on lui donnera probablement une autre place dans le lycée de Lyon.

J'ai bien d'autres nouvelles à te donner. Je donnerai demain une leçon à un élève de mathématiques ; il s' appelle Gripière ; il me donnera \payera/ 18 l[ivres] par mois tant qu'il sera[1362] seul ; mais je lui ai promis de diminuer s'il trouve un compagnon ; sans cela, point d'affaires ! M. Clerc ne prend que 9 à 12 francs par mois, et il a la vogue. Gripière n'est venu me trouver qu'à son refus. Mme Beauregard veut à l'avenir 50 l[ivre]s de pension, pas à moins ; le demi-mois courant sera porté en conséquence à 25 l[ivre]s. Je trouve à m'arranger avec la Perrin en m'associant à M. Goubeaud ; elle nous fournirait la pitance pour 30 l[ivre]s \chacun/ par mois ; mais il faudrait y joindre notre pain et notre vin. Chacun fournirait le sien. sans le pain ni le vin chacun apportera Mon pain serait à 4 s[ols] 6 d[eniers] la livre. Pochon pourrait m'apporter du vin de[1363] Lyon à 1 sou par bouteille environ dans un petit baril. La bouteille de mauvais vin coûte ici 8 à 9 s[ols]. C'est celui qu'on boit chez M. Beauregard à peu de chose près. Tout cela me déterminerait à rester à 50 l[ivre]s chez Mme Beauregard. Mais tu sais que M. Riboud jugeait convenable que je quittasse cette maison et je ne retrouverai point de si bonne occasion. Enfin je perdrais moins de temps en mangeant au collège. J'ai demandé du temps \quelques jours/ pour délibérer et j'attends ton avis avant de prendre aucune \une/ décision.

Du dimanche soir On a fait ce soir une assemblée pour proclamer les élèves vainqueurs à l'examen. On m'y avait invité et j'y ai entendu un discours de M. Mermet [1031] dont j'ai été peu content. Je suis allé ensuite chez M. Clerc qui m'a emmené, avec MM. Luc et Mermet, pour voir des pierres curieuses dont un de ses anciens élèves, employé dans le génie sur les Alpes, lui a envoyé une boîte. De là, nous avons été nous promener tous quatre dans le parc de Challes. Cet endroit est charmant ; mais j'ai passé \perdu/ ainsi une après-dînée dont j'aurais \eu/ besoin pour travailler et que je ne retrouverai pas. Je crois pourtant qu'il aurait été peu convenable de refuser cette promenade. Je te prie bien, ma bonne amie de ranger \mettre/ mes cahiers bien en sûreté ; ils me seront si utiles quand je professerai au lycée de Lyon si je suis jamais assez heureux pour cela.[1032] Je voudrais bien savoir sous peu de jours l'avis de ma petite Julie au sujet de ma pension ; car mes deux marchés \sont /ignorés réciproquement des 2 partis et \mais/ les circonstances peuvent d'un jour à l'autre me forcer à m'expliquer.Des deux manières, je ne payerai rien quand j'irai à Lyon ; mais il faudra également me fournir de vin pour mon déjeuner . Madame Beauregard le retranche du nouveau marché, malgré l'augmentation. Quant aux autres pensions, on y donne 60 l[ivre]s par mois et on n'apporte de l'auberge qu'à 24 s[ols] ou 30 s[ols] pour la pitance d'un dîner, qui sert aussi pour le soir.

[1033]Du lundi [26 avril] J'ai reçu aujourd'hui un bien joli cadeau de ma tendre épouse \amie/ qui ne veut pas que son mari soit privé du seul plaisir qu'il peut goûter loin d'elle 1. Je veux parler d' \c'est /une lettre où je lis que tu te portes mieux. Tu fais bien de prendre les plus grandes précautions pour ta santé ; dans l'état de délabrement où elle est, tout ce qui pourrait te fatiguer serait de la plus grande conséquence. Mon petit a donc une paume et sait bien la jeter . Ce pauvre enfant me cherche et je voudrais bien qu'il pût me trouver ; car je serais près de lui et de sa maman. Dis bien des choses de ma part, je t'en prie, à maman, à la tienne et à toutes tes sœurs. Que tu m'as écrit de jolies choses, ma bonne amie ! Tu ne seras plus malade aux vendanges parce que tous ceux que tu[1034] aimes et que tu rends heureux seront près de toi. Oh, si je savais te guérir en retournant à Lyon, comme j'abandonnerais vite [l']école centrale et tout : mais, bien loin de là, je contribuerais à te rendre malade en te donnant de l'inquiétude et en détruisant mes espérances d'un sort plus honnête. Tu me dis que mes lettres te font du bien, tu peux penser si tu les recevras longues ! Malheureusement il est l'heure d'aller souper et celle-ci ne contient pas la moitié de tout ce que j'aurais voulu te dire. A demain matin, ma bonne Julie, dors bien cette nuit et songe ce soir à ton mari pour lui dire un petit adieu ! Il sera si loin de toi et aurait tant d'envie de pouvoir du moins baiser le bord de ta couverture, comme je faisais quelquefois en te disant bonsoir.[58] Du mardi matin [27 avril 1802] J'ai oublié, ma bonne amie, de te dire que les vacances des décadis et quintidis sont déjà supprimées dans cette école et qu'on est libre le dimanche et le mercredi. On a préféré ce dernier au jeudi à cause que c'est le jour du marché et que cela accommode mieux plusieurs professeurs, surtout ceux qui sont en ménage. Il y a 7 ans ma bonne amie, que je m'étais proposé un problème de mon invention que je n'avais point pu résoudre directement, mais dont j'avais trouvé par hasard une solution dont je connaissais la justesse sans pouvoir la démontrer. Cela me revenait souvent dans l'esprit, et j'ai cherché vingt fois sans succès à trouver directement cette solution. Depuis quelques jours, cette idée me suivait partout. Enfin je ne sais comment, je viens de la trouver, avec une foule de considérations curieuses et[59] nouvelles sur la théorie des probabilités. Comme je crois qu'il y a peu de mathématiciens en France qui puissent résoudre \ce problème /en moins de temps , je ne doute pas que sa publication dans une brochure d'une vingtaine de pages ne me fût un bon moyen de parvenir à une chaire de mathématiques dans un lycée. Ce petit ouvrage d'algèbre pure et où l'on a besoin d'aucune figure? sera rédigé après-demain. Je le relirai et le corrigerai jusqu'à la semaine prochaine, que je te l'enverrai par Pochon. Je remets à la même époque de t'envoyer : le gilet de Carron, les gros bas de laine, les 6 louis dont je t'ai parlé, les gros bas blancs à côtes. S'il faut y joindre quelqu'autre[60] chose, tu as, à partir d'aujourd'hui, 8 jours pour me l'écrire. Dès que mon manuscrit sera arrivé à Lyon, il faut qu'il s'imprime. Tu en prieras de ma part tes cousins, et tu leur feras observer qu'il n'a dérobé qu'une huitaine à mon ouvrage de physique que je vais reprendre avec ardeur. Mais il faudra tâcher de t'assurer qu'ils en recevront le prix dès [que] l'impression sera ache[vée.] Les 6 louis de ce mois et [les] 7 du [mois] prochain serviront pour cela, et la place d[u] lycée me sera assurée. Observe que nous vendrons bien plusieurs de ces brochures ; mais je crois qu'il faudra en faire beaucoup de présents , surtout aux savants de Paris dont la réputation est faite.

Adieu, ma bonne amie, je t'écris encore pour te donner de l'embarras ; mais tout cela ne durera pas. L'avenir, comme tu le dis dans ta jolie lettre, nous offre en perspective ta santé rétablie, une bonne place à Lyon et le petit toujours charmant et bien portant. Une idée plus douce encore pour moi, c'est que tu m'aimeras toujours. Je t'embrasse, et le petit, tu sais de quel cœur. A. Ampère

A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, grande rue Mercière, à Lyon.
(2) Lettre du 23 avril p. 133.

Please cite as “L112,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 18 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L112