From Dupré   14 avril 1834

[280] Provins 14 avril 1834

Les voilà, mon ami, ces vers de ta jeunesse que tu me dictas à Lyon, il y a vingt deux ans, et que tu ne reliras pas sans émotion, car ils te rappelleront Poleymieux, nos douces rives de la Saône et des jours qui ne doivent plus revenir. C'était au retour de Poleymieux où était Ballanche, avec moins de gloire et plus de bonheur, Camille Jordan qui ne verra pas les nouveaux malheurs de notre pays et dont la mort est à envier quand on considère les malheurs et la honte de la France. Alors, c'est vrai, nous étions sous le despotisme, mais il y avait de la grandeur et de la gloire ! et aujourd'hui, on massacre nos concitoyens. La guerre civile fait peut-être au moment où je t'écris couler le sang de nos parents, de nos amis. Le pourquoi, grand Dieu !

Cher ami, j'ai l'âme navrée, depuis trois jours j'ai pris et repris cette copie commencée !Que deviendrons-nous ? que deviendra la France  ! Adieu, je t'embrasse de toute mon âme et te conjure de me répondre tout de suite si tu as quelques détails sur Lyon dont la population va peut-être avoir pour appui tout le midi de la France. Et Bredin, qu'aura-t-il fait avec son école ? Aura-t-il pu comme en 1831 retenir ses élèves ? Et Gasparin que j'aime parce qu'il est ton ami, il joue un jeu à perdre la vie. Mon Dieu, mon Dieu, il y a dix jours, je disais à Montbel que l'insurrection serait le produit de la loi sur les associations. J'aurais voulu n'avoir pas si bien deviné. Il y a tout lieu de croire que le trône élevé sur des barricades et des pavés sera renversé par des pavés et des barricades. Malheureuse France !

Quatre escadrons de lanciers sont partis de Provins pour Lyon. En ce moment, on m'apprend qu'on se bat aussi à Paris. Rassure moi sur toi, je t'en conjure !

[282] Épître sur l'amitié L'amour souvent nous fait verser des pleurs C'est l'amitié qui les essuie. Dès notre aurore, elle couvre de fleurs Ces doux moments du printemps de la vie Où rien encore ne trouble notre cœur ; De l'âge mûr elle fait le bonheur ; Et quand nos yeux se couvrent d'un nuage, Que nous perdons l'espérance et l'amour, Elle adoucit des maux qu'elle partage Et fait encore sur le déclin de l'âge Un jour serein de notre dernier jour. De mes premiers, de mes plus doux plaisirs Tendre amitié, je t'ai dû tous les charmes ; Combien de fois as-tu séché mes larmes, Combien de fois de mon cœur agité, As-tu banni la nassante alarme ? Jour d’innocence et de félicité Où libre encore et maître de moi-même J'étais aimé de tout ce que j'aime ! Jours fortunés, ne pourrai-je jamais Vous retrouver auprès de ce que j'aime, Je m'en souviens, à peine à mon printemps, [283]Je respirais pour ma plus tendre amie Quel calme heureux ! Quel doux contentement Faisait alors le charme de ma vie. Tel au retour de la saison de Flore, D'un jour serein j'ai vu naître l'aurore. Zéphyr errant sur un tapis de fleurs De leurs parfums embaumait la prairie ; Il caressait la nature endormie Et des autants défiait la fureur, Quand tout à coup... L'air frémissait du choc des aquilons L'éclair brillait dans la nuit des orages Et des torrents descendus des nuages D'une onde impure inondaient les sillons.

Cette épître a été dictée à Lyon par Ampère à son ami Dupré le 20 juillet 1812.

[281]A monsieur Ampère à l'Académie des science [illisible] Paris

Please cite as “L1122,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 29 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1122