[88]Mon bien cher et bien bon ami, Je t'embrasse bien tendrement. Tu ne saurais me faire un plus grand bonheur que de te ménager. Fais provision de santé auprès de ce digne M. Gasparin. Mets ton intelligence en jachère, ton imagination au régime. Que ta tête dorme. Que ta poitrine oublie d'agir. Tu dois te contenter de respirer l'air du midi, de t'impressionner de sa douce chaleur, de regarder ce ciel qui finira par être beau. Ne dit-on pas que les Pythagoriciens s'imposaient un silence de cinq ans ? Cinq ans sont bien longs ; mais cinq mois sont encore supportables. Surtout il ne s'agit pas d'un silence absolu. Ce qui est essentiel, c'est de ne pas discuter, de ne pas parler avec véhémence, de dire avec calme, de ne point élever la voix. Sois bien persuadé[89] que personne ne veut te contredire, qu'en général ceux qui t'approchent pensent comme toi, qu'on t'aime beaucoup, que tu fais un vif chagrin lorsque tu viens à forcer ta voix, parce qu'on sait que cela te fait du mal. Tu sais combien tu m'aimes, mon très cher et très excellent ami : eh bien j'ose te certifier que je t'aime autant. Tu es pour moi comme un frère chéri, je te porte dans mon cœur, je pense continuellement à toi.
Mais je ne suis pas le seul à t'aimer. Oui, cher ami, tu es aimé par un grand nombre. Comment pourrait-on ne pas t'aimer, toi qui es si excellent ? Tu dois te conserver pour ceux qui t'aiment. Tu dois te conserver aussi pour la science qui ne te tient pas encore quitte ; elle veut que tu prennes du repos, pour revenir à elle plus fort et tout rajeuni. Cher ami, nous ne sommes plus jeunes, mais nous avons un reste d'avenir pour la pensée. Cette vie là est loin de s'atténuer. Patience et courage, mon bien bon ami.
Je te presse contre mon cœur. Ballanche
Mille tendres souvenirs à ton digne fils et à notre ami commun, M. Gasparin. Je ne pense pas que Bredin soit, à présent, [imprimé] de toi.
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