To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   28 avril 1802

[1422]Le mercredi, à 11 heures du matin [28 avril 1802]

En revenant de porter ma lettre à Pochon, ma bonne amie, j'en ai reçu une de Marsil contenant mes figures ; je te prie de lui faire mes remerciements de toutes les peines que je lui occasionne. Il me dit dans cette lettre que tu n'as point reçu de lettre de moi depuis mon arrivée ; cela m'a bien inquiété, car cette lettre-ci est la 4me bien comptée depuis mon arrivée ici. Ma pauvre Julie, tu es si bonne que de t'inquiéter pour moi que je suis fâché de ce contretemps . Je ne sais si on perd les lettres à la poste ; mais voici comment tu constateras s'il t'en manque quelques-unes de celles que je t'ai écrites depuis que je t'ai quittée. La première[1423] en contenait une pour élise, où je lui faisais tout le récit de mon voyage ; la seconde, une pour M. Couppier et, dans la 3ème que Pochon vient d'emporter, il y en avait une pour M. Gambier. S'il t'en manque une des deux premières qui sont parties par la poste, j'en irai faire des plaintes à la poste dès que je le saurai. Au reste, en regardant la date de la lettre de Marsil, je vois qu'elle est de lundi et qu'ainsi la première seule de mes lettres aurait pu être arrivée. Mais, autant que je m'en souviens, je l'ai mise dans la boîte jeudi ou vendredi passés, et elle devrait être rendue depuis samedi.[1424] Que je soupire après le moment qui doit nous réunir ! Car c'est encore comme après mon premier voyage ; plus je retourne à Lyon, plus le temps me dure ici. Je crois que je prends une humeur noire ; je m'ennuie de tout et ne vois plus personne que M. et Mme Beauregard à dîner et à souper. Je suis bien heureux d'avoir un ouvrage à écrire ; cela m'empêche de m' apercevoir de la succession des heures et me délivre du poids du temps . Oh, quand viendront, quand viendront les vacances !

Du même jour à 4 h[eures] J'en étais à cette exclamation quand j'ai pris tout à coup une résolution qui te paraîtra peut-être singulière. J'ai voulu retourner avec le paquet de tes lettres dans le pré derrière[1425] l'hôpital, où j'avais été les lire avant mes voyages de Lyon, avec tant de plaisir. J'y voulais retrouver de doux souvenirs dont j'avais ce jour-là fait provision et j'en ai recueilli au contraire de bien plus doux pour une autre fois. Que tes lettres sont douces à lire ! Il faut avoir ton âme pour écrire des choses qui vont si bien au cœur, sans le vouloir à ce qu'il semble. Je suis resté jusqu'à deux heures assis sous un arbre, un joli pré à droite, la rivière \où flottaient d'aimables canards/ à gauche et devant moi. Derrière était le bâtiment de l'hôpital. Tu conçois que j'avais pris la précaution de dire chez Mme Beauregard,[1017] en quittant ma lettre pour aller à midi faire cette partie, que je n'irais pas dîner aujourd'hui chez elle. Elle croit que je dîne en ville. Mais, comme j'avais bien déjeuné, je m'en suis mieux trouvé de ne dîner que d'amour. A deux heures je me sentais si calme et l'esprit si à mon aise, au lieu de l'ennui qui m'oppressait ce matin, que j'ai voulu me promener et herboriser. J'ai remonté la Reyssouze dans les prés et en continuant toujours d'en côtoyer le bord, je suis arrivé à 20 pas d'un bois charmant que je voyais dans le lointain à une demi-lieue de la ville et que j'avais bien envie de parcourir. Arrivé là, la rivière, par un détour subit, m'a ôté toute espérance d'y parvenir en se montrant entre lui[1018] et moi. Il a donc fallu y renoncer et je suis revenu par la route de Bourg au village de Cézeyriat, qui est plantée de peupliers d'Italie qui en font une superbe avenue. J'y ai trouvé un M. Perrot, de la connaissance de M. Clerc et père d'un de ses élèves. Nous sommes revenus en causant. J'avais à la main un paquet de plantes, parmi lesquelles il s'en trouvait une nouvelle pour moi, et d'autres rares dans le Lyonnais et communes ici. Je raconterai les détails de mon herborisation à M. Couppier quand je serai dans le cas de lui écrire. Pour toi, ma bonne amie, je te demande pardon de t'occuper de si peu de chose ; mais tout cela fait partie de mon journal, et je trouve du plaisir à te raconter toutes mes actions et toutes mes pensées. Dors bien cette nuit, ma bonne amie, et baise le petit[1019] pour moi ce soir en lui disant adieu d'aussi bon cœur que je t'embrasse.

Du jeudi matin [22 avril] J'ai fait ce matin le compte de toutes mes nippes ; rien ne manque. J'ai donné tout ce qui était sale à blanchir, même les draps \et je crains d'avoir mal fait parce que/ je ne me souviens pas de ce que tu m'avais dit à cet égard. Tu veux aussi que je t'envoie des bas blancs pour les faire teindre : je te les enverrai avec le reste mercredi prochain, si c'est toujours ton avis ; mais j'en ai une paire de teints précisément de la même sorte bien laids et qu'on ne peut guère porter l'été ; tu me diras à ce sujet tout ce qu'il faudra faire. Je voudrais que tu pusses savoir de Marsil s'il croit possible de trouver à compléter l'ouvrage de Nollet où manque le 6me volume ; si non, je te l'enverrai dans le même[1020] paquet, pour que nous essayions de le rendre à M. Deyrieu [Deryeu] et de ravoir nos douze francs. Il faut profiter des occasions. C'est ce qui m'engage à te dire qu'un morceau de savon me serait bien utile pour les mains et la barbe. Il \ne/ m'en reste qu'un assez petit morceau. Je crois aussi que ce serait très avantageux, vu la grande consommation d'encre que je fais, que tu profitasses d'une de nos 2 bonnes occasions pour m'en envoyer une bouteille pleine de verre noir. J'en aurais là jusqu' aux vacances. Il faut profiter de ce que tu as une fabrique d'encre qui ne te coûte rien. Les bouteilles d'acides[1021] sont arrivées sans [illisible] \accident/ il en sera de même de cellelà, si on l'emballe dans la caisse des globes, ou dans celle que doit m'envoyer M. Gambier. Je veux encore te consulter sur un autre objet. Je ne pense pas d'avoir besoin de mes papiers de mathématiques ; mais cela peut venir tout à coup. S'il n'en coûtait rien pour les faire venir, cela ne vaudrait-il pas mieux ? Peut-être que, dans deux mois, je les désirerai vive[ment] et que le port alors sera à notre charge. Je te laisse peser cette idée dans ta sagesse, et prendre à cet égard la détermination que tu voudras ; car, pour moi, je n'ai, à cet égard, aucune opinio[n.] [1022] Adieu, ma bonne amie, je vais te quitter pour retourner à mon petit ouvrage. Puisse-til, en me procurant une place au lycée, assurer le bonheur de celle qui a fait le mien aux dépens de son repos et de sa santé et nous réunir à jamais, en amenant enfin ces heureuses années Qu'au sein du repos le plus doux Te fileront les destinées Entre ton fils et ton époux. A. AMPÈRE.

A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, grande rue Mercière, à Lyon.

Please cite as “L115,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L115