To Pierre Maine de Biran   25 juin 1808

[47] Paris 25 juin 1808

Je vais essayer mon cher ami de vous donner un précis de mes idées et de ma nomenclature psychologique. Je les ai considérées sous tant de points de vue, rectifiées [à ]tant de reprises différentes, \et/ examinées de nouveau tant de fois depuis mon dernier voyage à Lyon il y a neuf mois, époque à laquelle je les ai fixées comme vous l'allez voir, sans que j'aie pu trouver à y faire d'autres changements que quelques noms à remplacer par des expressions plus convenables[48] que je suis, à ce qu'il me semble fondé à croire, que c'est là où l'on doit en rester. Vous me direz si c'est aussi votre opinion. D'abord convenons de réduire le plus possible notre nomenclature, mais de ne négliger aucun phénomène bien évidemment d'une nature différente des autres. de ne point multiplier les dénominations en en donnant à des phénomènes que nous supposerions exister dans un temps dont n'ayant plus aucune trace, nous ne pouvons parler que sur des conjectures hasardées . [49] de ne point admettre comme je ne l'ai fait que trop longtemps dans le tableau des phénomènes intellectuels et moraux, les mouvements ou les actions, mais seulement les états de la sensibilité ou de la pensée qui les produisent ou nous portent à les exécuter. de réunir sous les mêmes noms en les distinguant par des épithètes différentes les phénomènes de même genre, quoique de natures différentes, dont les uns résultent du premier développement de nos facultés et les autres aux [illisible] divers degrés de perfection qu'elles acquièrent successivement depuis les perceptions que nous recevons immédiatement des sens[50] jusqu'à celles des rapports mathématiques, depuis les volitions appétitives de l'enfant jusqu'à ces volitions que je nomme autonomiques, résultats des réflexions de l'homme raisonnable, et du jugement porté précédemment sur la liberté de sa faculté de vouloir. Peut-être vaudrait-il mieux avoir des noms différents , une double nomenclature. Mais d'abord, cette distinction n'existe dans aucune langue, on a dans toutes transporté par une sorte de métaphore, d'ailleurs toute naturelle, le nom du phénomène sensitif ou appétitif au phénomène intellectuel ou volontaire correspondant. Secondement[1873] s'il était un jour possible de suppléer à ce qui manque à nos langues à cet égard, la nomenclature deviendrait du double plus compliquée, et elle ne l'est déjà que trop. Enfin la distinction est aussi bien marquée, pourvu qu'on ait soin d'en prévenir, et qu'on insiste suffisamment là-dessus, par la diversité des épithètes que par celle des noms ; elle met même en quelque sorte en opposition les deux phénomènes de même genre dont l'un ne suppose que le déploiement de la faculté sensitivo-motrice, et l'autre un développement ultérieur de l'intelligence.

[1874]Comme les phénomènes qui sont dans ce dernier cas ne peuvent guère se présenter avant qu'il y en ait eu de presque tous les genres, et qu'ainsi on n'en peut assigner l'ordre de génération, c'est d'après les premiers dont il est plus aisé de reconnaître l'ordre de succession, qu'il convient de ranger tout le tableau des phénomènes. J'ai trouvé plus de secours dans la langue au sujet de la distinction de chaque phénomène et de celui qu'il laisse après lui lorsque les circonstances nécessaires pour qu'il ait lieu ont cessé. J'ai cru que chaque phénomène,[1875] en laissant ainsi un après lui, il fallait le distinguer de ce dernier en assignant un nom à chacun d'eux ; d'ailleurs la plupart en ont déjà reçu dans notre langue, et ceux qui n'en ont pas d'usités sont peutêtre ceux à qui il est plus indispensable d'en donner. Telle est la distinction entre perception et idée, volition et intention, etc. Je perçois [illisible] en présence d'un objet, je conserve l'idée qui reste après cette perception, après qu'il a disparu. Je veux d'après certains motifs, je conserve l'intention qui reste[1876] après cette volition lors même \que /je cesse de penser à ces motifs. Ce qu'on appelle communément mémoire, en prenant ce mot dans le sens le plus général, se trouve ainsi composé [illisible] d'autant de phénomènes que toutes les autres facultés ensemble.

Plus j'y ai réfléchi, plus j'ai cru démontré par l'expérience qu'aucune modification de l'être sentant et pensant ne pouvait exister en lui sans une action de sa part. C'est l'opinion de notre ami D[e]G[érando], de plusieurs autres métaphysiciens avec lesquels j'ai examiné cette[1877] question, et en particulier d'un jeune médecin qui n'est nullement étranger aux considérations psychologiques, qui a fait un cours extrêmement brillant sur la physiologie à l'Athénée de Paris, son nom est Pariset, je le connais depuis deux ans, et ses excellentes qualités rendent de plus en plus intime ma liaison avec lui. Je pense qu'il sera un précieux collaborateur dans le beau projet de D[e]G[érando] que nous lui avons communiqué ainsi qu'à vous, mon cher ami, et à quelques autres personnes.

Il n'y a point de modifications purement passives, et comme me dit un jour D[e]G[érando] souffrir[1878] est une action. Ce n'est pas tout à fait ainsi que je l'entends. Mais je remarque que si nous ne donnons aucune attention à la cause de la douleur, celle-ci est anéantie pour nous. C'est ce qu'on voit toutes les fois que l'attention est fortement appliquée ailleurs.

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