To Pierre Maine de Biran   17 septembre1816

[556] Paris 17 7bre [septembre] 1816

Mon excellent ami, Vous voilà enfin de retour dans votre pays, mais au lieu du repos que vous deviez naturellement y goûter, avant de revenir à Paris reprendre le fardeau des affaires, à peine y êtes-vous arrivé qu'il faut vous consacrer aux fonctions dont la confiance du roi vient de vous charger. Je sens d'un côté la surcharge de travail qui en résulte pour vous, l'impossibilité de donner même quelques moments à ces études chéries dont la première des sciences attend tant de progrès, mais de l'autre je trouve cette nouvelle mission si bien dans vos mains, je désirerais si ardemment que tous les collèges électoraux fussent présidés par des chevaliers de Biran, que j'éprouve une vive satisfaction de vous voir à la tête des électeurs de votre département, et que je trouve qu'il faut bien se consoler si la psychologie en souffre[557] puisque c'est pour le bonheur de la France. C'est elle et non pas vous qu'il faut en féliciter, mais cependant c'est vous aussi, vous qui jouirez du bonheur de rendre de si éminents services à tous vos concitoyens, en vous consacrant à celui du roi dans une si importante occasion. Mes yeux ne laissent pas de jeter un regard à la dérobée sur le temps où un peu de repos vous ramènera à ces pensées profondes qui contenaient tant de découvertes dans une science que vous seul dans ce moment pouvez porter au degré de perfection dont elle est susceptible, mais dont elle est encore si loin, du moins pour ceux qui ne connaissent pas ce que vous avez fait. Nous en parlons quelquefois avec[558] Mr Cousin qui attend votre retour à Paris presqu'aussi impatiemment que moi. Nous sommes assez d'accord sur presque tous les points. Nous nous préparons ainsi à mieux profiter des conversations que nous espérons avoir cet hiver avec vous, et à pouvoir entendre à demi-mot ce que les occupations de la Chambre vous laisseront le temps de nous dire. Que j'ai de remerciements à vous faire, cher ami, de la lettre que vous avez bien voulu écrire en ma faveur au Ministre de l'Intérieur. Elle a sûrement puissamment contribué à ce que je visse tous mes vœux comblés relativement à l'École polytechnique. Je vous aurais écrit plus tôt si je n'avais craint qu'ayant déjà quitté S[ain]t Sauveur et parcourant plusieurs villes du midi, vous ne reçussiez pas ma lettre. Enfin Mr Royer[559]Collard m'a annoncé avanthier votre arrivée chez vous, et j'espère que cette lettre vous y trouvera. Il me tarde, si vous avez un moment pour m'écrire quelques lignes, de savoir que les eaux et le voyage ont entièrement rétabli votre santé et celle de Madame de Biran, à qui je vous prie d'offrir l'hommage de mon profond respect. Quant à vous, cher et excellent ami, je suis heureux de ce qu'au plus tendre attachement, à une amitié qui augmenterait toujours si elle n'était depuis longtemps dans l'impossibilité de s'accroître, se joint à présent la plus vive reconnaissance du service que vous venez de me rendre, et qui assure le repos et le bonheur de ma vie. Vous savez si je vous aime et vous embrasse de toute mon âme, en attendant le plaisir de vous voir que j'espère goûter d'ici à un mois, car je prévois qu'à cette époque vous serez de nouveau questeur de la Chambre. A. Ampère

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