To Pierre Maine de Biran   9 octobre 1817

[1879] Paris 9 8bre [octobre] 1817

Mon cher et excellent ami, Rien ne m'aurait fait un plus grand plaisir que la lettre que vous m'avez écrite, si ce plaisir n'avait été empoisonné par le chagrin d'avoir mérité jusqu'à un certain point les reproches pleins d'affection que vous m'y faites. Il est vrai que je vous ai écrit il y a environ quinze jours une lettre qui sans doute s'est croisée avec la vôtre, mais j'aurais dû le faire beaucoup plus tôt. Ma lettre était adressée à M. le chevalier de Biran président du Collège électoral du dép[artemen]t de la Dordogne à Périgueux parce que j'imaginais que vous deviez être encore à Périgueux où je vous l'ai écrite ; si par hasard vous aviez déjà quitté cette ville, et que cela eût été cause que ma lettre y fût restée, je vous prierais bien d'écrire un mot au Directeur de la poste de Périgueux avec votre adresse actuelle pour qu'il vous la renvoyât. Pareille chose m'est arrivée souvent dans mes tournées et ce moyen m'a toujours réussi pour ravoir les lettres qui m'avaient été adressées dans des villes que j'avais déjà quittées, et qui conséquemment restaient en arrière.

Je ne vous ai pas parlé dans un grand détail de votre excellent ouvrage en vous écrivant cette première fois parce que nous avons à causer là-dessus de plusieurs points, et que ces choses[1880] qui se disent en deux mots de vive voix, ne peuvent s'expliquer par lettre qu'en écrivant des volumes. Le fond en est admirable, mais j'avoue que je voudrais vous en voir faire une seconde édition avec quelques développements de plus et une ou deux corrections pour fixer davantage les idées. J'ai été pendant les 2 ou 3 premières semaines qui ont suivi votre départ dans un tel tourbillon d'affaires que je ne pouvais pas lier deux idées, j'ai eu un peu plus de loisir depuis, et j'en ai profité pour m'occuper de notre science chérie. Votre ouvrage m'a donné beaucoup à méditer, je remets à l'époque où j'aurai le plaisir de vous voir de prendre vos avis sur tout cela.

Depuis ma dernière lettre j'ai disposé d'une manière que je trouve très heureuse des deux exemplaires qui me restaient. Mr. d'Arblay le mari de Mistress Burnet auteur d'Evélina, de Cécilia, etc... et dont vous avez sans doute beaucoup entendu parlé , est retourné il y a peu de temps à Londres, et s'est chargée d'en faire parvenir un à Mr. Dugald Stewart à Édimbourg, et l'autre sera remis par lui-même au chancelier de l'Université de Cambridge, qui y a professé la philosophie et qu'il connaît particulièrement.

J'ai parlé à M. Poisson du jeune Gravier qui m'est venu voir peu de jours après. Il paraît par ce que m'en a dit M. Poisson, que son examen d'analyse et de mécanique a été bon, les[1881] deux autres ne sont pas encore faits, au reste M. Poisson ne veut pas que son jugement sur les élèves qu'il examine soit su, ainsi c'est une chose dont on ne doit parler à personne, il m'a même défendu de vous faire part de la satisfaction qu'il a eu du travail du jeune Gravier ; ainsi ce que je vous en marque ici est pour rester absolument entre nous.

C'est une grande joie pour moi que l'espoir que vous me donnez de vous voir bientôt; j'espère avoir ce plaisir dans 15 jours, puisqu'en voilà plus de 8 depuis que vous m'indiquez 3 semaines ; vous sentez combien je désire que ce soit quelque temps avant le 5. 9bre [novembre] puisqu'une fois cette dernière époque arrivée vous serez tout à la Chambre, tandis que nous avons tant de choses à dire sur la psychologie.

Je vous remercie des nouvelles que vous me donnez de vos élections, et qui me font espérer qu'à l'exception de Dijon où l'absurdité des choix peut s'expliquer par quelques circonstances fâcheuses, ils seront bons en général et que la Chambre laissera faire le bien que veut faire le gouvernement.

J'attends avec une grande impatience la loi sur l'instruction publique qui en fera tant si elle la concentre autant que possible dans les mains d'un corps uniquement dans la dépendance de l'autorité souveraine; il me semble qu'outre l'avantage immense qu'a le mode d'élection adopté pour donner comme vous me le dites les meilleurs choix, elle en a[1882] un autre bien plus grand, celui de faire connaître presque numériquement l'étendue de chaque genre d'opinion. Ce résultat est comme la statistique morale de chaque partie de la France, et puisque c'est sur ce chaos tel qu'il est, que le gouvernement a à opérer, rien n'est plus important que de savoir au juste de quoi il se compose, pour tirer le meilleur parti possible de ce qui existe.

Adieu mon cher et excellent ami, veuillez agréer l'hommage de cette tendre amitié que je vous ai vouée pour toute ma vie, et celui de la ; reconnaissance que m'inspire celle que vous voulez bien avoir pour moi.

Je vous embrasse de toute mon âme. A. Ampère

Please cite as “L1160,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1160