To Pierre Maine de Biran   28 septembre 1817

[1886] 28 7bre [septembre] 1817

Mon cher et excellent ami, Il y a déjà bien longtemps que je me reproche de ne vous avoir pas écrit plutôt. Il y a bien d'autres reproches du même genre à me faire, ; et pour des choses malheureusement qu'il aurait été très important que j'eusse faites et qui ne le sont pas ; ayant beaucoup à écrire pour l'Université, soit pour des rapports à l'Institut, soit pour les corrections qu'on peut être dans le cas de faire cette année au programme du cours que je vais commencer à l'école polytechnique ; je me suis trouvé tellement encombré que je n'ai pu faire qu'une partie même du plus urgent, et qu'il a fallu remettre à d'autre temps toute espèce de correspondance. Celle dont la suspension m'a été plus pénible est sans contredit la vôtre, et quoique j'ai là bien des choses commencées, je ne puis résister plus longtemps au plaisir de vous écrire.

J'ai appris avec une bien grande joie que l'on n'avait pas fait dans votre département la même sottise que l'année dernière, et que vous pourrez reprendre comme autrefois ces discussions de la chambre dont dépendent la paix et presque l'existence de la chambre.

A Paris on a manqué faire encore pis dans le sens opposé, j'ai été ainsi que beaucoup d'autres ici dans une mortelle ; inquiétude pendant deux[1887] jours, heureusement qu'on a été, du moins en grande partie, quitte pour la peur.

J'avais une foule de choses à vous écrire au sujet de cet ouvrage enfin imprimé, où vous établissez pour la première fois depuis qu'on s'occupe de psychologie la distinction des deux point de vue et l'origine de la notion de cause et autres notions qui en dérivent. Mais cette lettre ne finirait pas et à peine ai-je le temps de l'écrire. Si je pouvais me livrer à cette occupation ; je n'aurais sans doute qu'à dire au sujet de presque tous les articles, combien je les trouvent profondément vrais, mais il y en aurait quelques-uns où je vous demanderais certaines explications, et un très petit nombre où je chercherais à imiter Grosjean remontrant à son curé.

Plus j'avais parlé de psychologie avec les métaphysiciens de Strasbourg, et avec mon collègue de tournée dans la chaise de poste, plus je m'étais confirmé dans l'idée qu'il restait une lacune dans l'explication de certains faits intellectuels de croyance. J'y ai beaucoup pensé et repensé depuis, mais c'est encore une chose qui rendrait cette lettre trop longue. Votre ouvrage a achevé de me démontrer cette lacune.

A force d'y réfléchir je crois bien l'avoir comblée, mais je ne serais satisfait que quand la chose sera plus clair le jour, et l'on sait de reste combien cela est difficile dans un sujet[1888] enveloppé de tant d'obscurité, entassées à une époque dont nous n'avons plus de souvenirs ; et rendues presque inextricables par l'effet d'une si longue habitude.

Voici des personnes à qui j'ai adressé des exemplaires de votre ouvrage. A Genève : M.  Prévost. M. Roux, auteur du livre : le vulgaire et les métaphysiciens. A Paris : M. Degérando. Mr Camille Jordan. M. Frédéric Cuvier. M. Maugé. M. Deleuze. M. de Montmeyan. M. Christian. M. François de Mussy. M. Philibert de Mussy. M. Rendu. M. Blondeau. M. Maurice. M. Thurot. Un pour moi. A Strasbourg : M. Beautin professeur de philosophie. M. Reslob. M. Matther. M. Levrault inspecteur de l'Académie. A Lyon : M. Bredin directeur de l'École vétérinaire. M. d'Ambérieux propriétaire, s'occupant de psychologie. [1889] D'après ce que m'a dit M. Delpit je chercherai une occasion pour en faire parvenir un à M. Dugald Stewart.

Comme j'ai reconnu par expérience que quand j'en donnais on me demandait constamment de qui il était, et que quand je ne voulais pas le dire on se persuadait qu'il était de moi en sorte que je finissais toujours par être obligé d'avouer que vous en étiez l'auteur, j'ai suspendu jusqu'à nouvel ordre d'en donner à M.M. de Tracy et de Laromiguière ; d'ailleurs cela n'aurait servi qu'à les blesser. Ils auraient regardé comme une dérision l'envoi qui leur en aurait été fait, et m'en auraient voulu autant qu'à moi.

C'aurait été des exemplaires perdus et je sais que tous ceux à qui j'en ai remis les liront.

Adieu, mon cher ami, je vous embrasse bien tendrement et désire votre retour avec la plus vive ardeur, vous me feriez bien plaisir de me marquer à peu près l'époque de ce retour ; si désiré et de me donner de vos nouvelles et celles de votre famille.

Je vous prie de présenter à Madame de Biran l'hommage de mon profond respect. Vale et me ama. A. AMPERE

Please cite as “L1161,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1161