To Pierre Maine de Biran   15 février 1815

[238] Paris le 15 février 1814 [1815]

Cher ami ! vous devez m'en vouloir de mon silence, je me le reproche mille fois plus vivement que vous ne pouvez me le reprocher. Mais si vous saviez comme mon temps , a été absorbé vous me pardonneriez une chose tout à fait involontaire, mon temps était tellement pris que M. Davy m'ayant écrit de Rome pour différents renseignements relatifs à la chimie, ma réponse commencée le 25 janvier n'a pu être finie et partir qu'hier. Vous savez que la fin de mon cours à l'école Polytechnique s'est réunie pendant 15 jours aux fonctions de juré pour ne pas me laisser un instant, et depuis que cela est fini, M. de Fontanes m'a choisi avec trois autres inspecteurs pour faire la visite des lycées de Paris, ce qui a été encore mille fois plus assujettissant, et je crois bien inutile puisqu'on attend de jour en jour la nouvelle organisation de l'université.[239] Toutes ces occupations ne m'ont pas permis d'écrire un mot pour la société psychologique qui souffre beaucoup de votre absence, M. Degérando y a fait néanmoins à la dernière séance une lecture intéressante contenant une espèce de tableau de la philosophie Grecque. Mais ce n'était qu'historique. Dans la séance précédente qui a eu lieu peu de temps après votre départ il n'y eut qu'une conversation ou je fis un exposé de votre doctrine qui réussit d'abord assez bien à ce qu'il m'a semblé, mais ensuite  M. Royer-Collard fit quelques objections d'une manière positive comme le prononcé d'un jugement, et cela fit passer la conversation sur d'autres sujets en sorte que je ne pus répondre. Je projette d'écrire pour la prochaine séance un morceau sur le sujet qui semble d'abord lié à cette doctrine d'une manière assez indirecte, mais qui conduit néanmoins à établir des principes qui y conduisent nécessairement. Il serait intitulé : des sensations considérées comme signes. De même que les autres psycologistes, je distinguerai des signes naturels et des signes de convention,[240] mais en établissant que les premiers ne diffèrent des [illisible] seconds qu'en ce que la simultanéité du signe et de la chose signifiée résulte des lois ordinaires de la nature ou de celles de l'organisation, mais que dans l'un et l'autre cas il n'y a que simultanéité, en sorte que la sensation-signe, ne peut jamais, faire connaître la ;chose signifiée, comme Reid l'admet pour les signes naturels, mais seulement en faire reconnaître l'existence, quand elle a été connue [illisible] au préalable d'une autre manière [illisible] à l'époque où l'association s'est faite. M. de Tracy offre ici un bon exemple à discuter d'abord, quand il a admis qu'une sensation musculaire faisait primitivement connaître le déplacement du membre, tandis qu'elle n'en est qu'un signe naturel qui suppose ce déplacement déjà connu, et son association avec lui par simple simultanéité.

Je me suis proposé presque tous les jours depuis votre départ de voir monsieur[241] votre fils. Je vous ai dit quelles occupations multiples m'en [illisible] \on/ empêché jusqu'à présent. J'espère m'en dédommager bientôt. C'est un grand malheur pour moi que vous ne soyez pas ici à l'époque extrêmement prochaine où l'on fera tous les changements dans l'Université. Je ne vous cache pas que malgré l'influence qu'auront sûrement nos amis dans les nouveaux choix, j'ai les plus grandes craintes de n'être pas conservé, parce qu'on dit qu'on diminuera beaucoup le nombre des personnes employées, et qu'on en nommera qui jusqu'à présent ont été étrangers à l'Université; d'après ceux qu'on [illisible] \annonce devoir être choisis,/ je pense que vous auriez peut-être été nommé conseiller si vous vous étiez trouvé ici lorsqu'on s'occupera définitivement des choix. Quel bonheur c'eut été pour la philosophie ! Mais il semble que toutes les circonstances les plus accidentelles tournent contre elle. Si je sors, personne dans l'Université n'y prendra plus [illisible] d'intérêt à moins que M. Royer-Collard ne soit conseiller comme plusieurs personnes l'espèrent.[242] Je n'ai au reste fait aucune démarche pour rester, quoique bien d'autres en fassent, je me le reproche presque, mais les uns ne prennent aucun intérêt à moi, et je leur en parlerais inutilement, un ou deux autres en prennent peut-être mais il me semble qu'en les allant voir à ce sujet je ne ferais que leur dire que je me défie de ce qu'ils devraient naturellement dire pour moi, comme le plus ancien des inspecteurs pour les sciences, et celui qui peutêtre chargé des choses relatives à un plus grand nombre des diverses connaissances.

Adieu cher ami, je vous aime et vous embrasse de toute mon âme, et j'attends une lettre de vous avec une vive impatience, puisse-t-elle m'annoncer à peu près l'époque de votre retour à Paris ! Je vous prie d'offrir à Madame de Biran ; l'hommage de mon profond respect, et de m'aimer toujours comme je vous aimerai toute ma vie. A.AMPÈRE

A monsieur le chevalier de Biran questeur de la Chambre des députés. A Périgueux Dép[artemen]t de la Dordogne. Bergerac 23 février

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