To ?   6 février 1835

6 février 1835.
[38] Monsieur le Directeur général,

J'ai reçu avec reconnaissance la lettre en date du 15 de ce mois dont vous avez bien voulu m'honorer, elle doit m'en inspirer d'autant plus que vous m'y donnez l'espoir lorsque l'occasion s'en présentera, de recouvrer une place à laquelle des circonstances qui n'existent plus m'avaient forcé de renoncer, que j'ai souvent regrettée et dans laquelle j'espère pouvoir être d'autant plus utile que je me suis longtemps et spécialement occupé des études dont elle réclame l'application.

M. le Directeur général, je vos prie d'agréer tous mes remerciements de la bienveillance que vous avez la bonté de me témoigner, et l'hommage de mon profond respect.

J'ai l'honneur d'être, M. le Directeur général, votre très humble et très obéissant serviteur, [Ampère]

[39]M. Ampère était en membre du Bureau consultatif des arts et manufactures au Ministère de l'Intérieur, quand il fut nommé inspecteur général des études et bientôt après, professeur d'analyse à l'école polytechnique. La place d'inspecteur général l'obligeait chaque année à des absences de quelques mois, mais toujours à une époque où le cours d'analyse de l'école polytechnique qui n'a lieu que du mois de novembre au mois de mars se trouve terminé ; mais il craignit que ces absences ne nuisissent au travail qu'il devait faire au bureau consultatif et voyant que M. Thénard avec qui il était lié de la plus tendre amitié, n'avait alors qu'une place tandis qu'il en avait trois et persuadé que M. Thénard serait éminemment utile

[40]M. Ampère était membre du bureau comité consultatif des arts et manufactures lorsqu'il fur nommé en 1808 inspecteur général des études et l'année suivante professeur d'analyse à l'école polytechnique. à cette époque ces deux fonctions se conciliaient parfaitement parce que le cours dont M. Ampère était chargé à l'école polytechnique finissait au mois de mars et que les tournées des inspecteurs généraux des études n'avaient lieu qu'en été.

M. Ampère se voyant trois places tandis qu'un des hommes qui avaient rendu les plus éminents services aux sciences, M. Thénard n'en avait alors qu'une et craignant que les tournées qu'il devait faire chaque année dans les établissements d'instruction publiques ne nuisissent aux travaux dont il était chargé au bureau consultatif, se décida en décembre 1819, à donner sa démission des fonctions qu'il y remplissait, après que M. de Montalivet, alors ministre de l'Intérieur eût promis qu'il serait remplacé par M. Thénard, ce qui eut lieu en effet. M. Ampère resta membre honoraire duBureau consultatif des arts et manufactures et depuis 14 ans, il a cherché à s'y rendre utile en assistant de temps en temps aux séances, surtout quand on devait délibérer sur des sujets de quelque importance et qu'il était prévenu.

Jusqu'à la réorganisation de l'École polytechnique en 1817, M. Ampère satisfait de l'existence que lui donnaient les deux emplois d'inspecteur général et de professeur d'analyse, bornait tous ses vœux à les conserver, mais lors de cette réorganisation, on diminua le nombre des professeurs, plusieurs d'entre eux furent en conséquence obligés de[41] faire deux cours. M. Ampère ne put y rester professeur qu'en se chargeant à la fois du cours d'analyse et de celui de mécanique. Les leçons qu'il y donna depuis cette époque, au lieu de finir au mois de mars, se prolongèrent jusqu'au mois de juillet, dés lors cette place ne fut plus compatible avec celle d'inspecteur général des études, et la perspective la plus pénible se présenta à lui et à ses enfants, puisque la mort de son père, condamné par le tribunal révolutionnaire de Lyon pour avoir été favorable à la plus sainte des causes l'avait privé de toute fortune personnelle. Vu la situation où il se trouvait, il obtint de conserver ses deux emplois en se faisant passagèrement remplacer, tantôt dans l'un, tantôt dans l'autre, jusqu'à ce qu'obtenant quelque autre moyen d'existence, il put, sans se trouver dans une position trop fâcheuse, quitter une de ces places incompatibles.

C'est ce qui est arrivé cette année par sa nomination à la chaire de professeur de physique du Collège royal de France et il n'a pu rester professeur à l'École polytechnique qu'en renonçant à la place d'inspecteur général des études. Ce changement n'a pu se faire sans une diminution d'appointements puisque le traitement des professeurs au Collège de France est inférieur à celui des inspecteurs des études. Arrivé à 50 ans et père de famille, obligé par les leçons même dont il est chargé de ne plus s'absenter de Paris, il se croit fondé à solliciter dans le cas d'une vacance au comité bureau consultatif, ou d'une[42] nouvelle organisation de ce bureau qui augmenterait le nombre de ses membres, d'y être de nouveau employé avec le traitement d'activité attaché à ces fonctions.

Lorsque M. Ampère en était chargé, il a fait une étude particulière des applications de la mécanique rationnelle aux machines et aux procédés usités dans les arts, les lois relatives à l'industrie, les avantages et les inconvénients qui peuvent résulter des mesures que prendrait le gouvernement, et de la législation des brevets d'inventions, il a rédigé des rapports sur quelques uns de ces objets, qui, à la vérité, n'eurent pas de suite, à cette époque, mais qui tendaient à ce qu'on adoptât dès lors des mesures dont le temps a depuis montré la nécessité puisqu'elles l'ont été récemment.

C'est donc la persuasion où est M. Ampère qu'il pourrait peut-être se rendre plus utile qu'un autre au comité consultatif des arts et manufactures, par la nature des travaux de toute sa vie, et par le zèle qu'il mettrait à remplir les fonctions auxquelles il désire être rendu, et à seconder de tout son pouvoir les vues bienfaisantes du gouvernement, qu'il espère de voir accueillie avec bienveillance la demande qu'il serait dans le cas de faire de la place qu'il a déjà remplie pendant quelque temps au comité consultatif. Cette demande lui semble d'ailleurs fondée sur d'anciens services et de longs travaux dans les sciences qui comme les mathématiques, la physique et la chimie sont spécialement applicables aux fonctions des membres du comité consultatif.

Il croit devoir joindre à cette[43] note la copie littérale de la lettre qu'il reçut du Ministre de l'Intérieur d'alors en réponse à celle qui contenait sa démission.

[44]Lorsqu'il fut question, à la Société philomatique, de la dénomination à donner aux deux grandes sections entre lesquelles ses membres devaient être répartis, M. Ampère proposa celle de Section des Sciences relatives, les unes, au monde inorganique, et, les autres, aux êtres vivants ; et il ajouta qu'on devait comprendre dans le monde inorganique les débris des corps organisés, tels que les végétaux et les animaux fossiles et le matériaux homogènes dont ils sont composés et dont s'occupe la chimie qui doit appartenir à la première section. Il se fondait précisément sur ce que la note du (n°115, dimanche 1er février 1835, feuilleton) l'accuse d'avoir oublié : que l'ammoniaque et le sucre sont des substances inorganiques, tandis que (comme il l'avait dit p 222 de son Essai sur la philosophie des sciences), un grain de fécule, un globule de fibrine ou de tissu cellulaire sont des corps organisés, qui sont du ressort de l'anatomie, science de la seconde section et dont la chimie n'a point à s'occuper dans cet état. Un membre ayant dit alors qu'il était contre l'usage d'appeler le sucre une matière inorganique et tout le monde étant d'ailleurs d'accord que l'analyse chimique du sucre appartenait à cette science de la première section, on proposa d'employer l'expression de corps inorganisés au lieu de celle de monde inorganique. M. Ampère acquiesça à cette dénomination, parce qu'il ne s'agissait que d'une[45] question de mot et qu'il était bien reconnu que, pour ne pas sortir de l'exemple cité, l'analyse du sucre appartenait aux sciences de la première section, et que l'anatomie d'un grain de fécule appartenait à celles de la seconde.

Voici le passage entier de l'ouvrage que nous venons de citer qui montre que M. Ampère est parti de la découverte de M. Raspail sur la fécule, pour trouver à l'égard des matières retirées des végétaux et des animaux, la ligne de démarcation qu'il a établie entre les sciences dont il composent ses deux règnes : p.222 C'est surtout à l'égard de l'anatomie et de la physiologie végétales et animales, de l'agriculture comparée et de la zootechnie comparée, que l'on peut éprouver des difficultés de ce genre. J'ai fait remarquer, page 87, que tant que les matériaux des terrains qu'on étudie dans la géologie, sont composés de plusieurs substances qu'on peut séparer mécaniquement, c'est à la minéralogie à en opérer la séparation, tandis que c'est à la chimie qu'il appartient d'analyser les substances minérales homogènes. Je pense qu'on doit en dire autant relativement à la limite à établir entre l'anatomie végétale ou animale et la chimie  ; et, en cela, je ne fais que me conformer à l'opinion d'un homme, dont les vues profondes et les découvertes importantes ont fait faire tant de progrès à cette science. Si une anatomie délicate reconnaît dans les organes les plus ténus des végétaux ou[46] des animaux, les différentes parties dont ils sont composés, n'est-ce pas à elle qu'il convient de séparer, dans un grain de fécule, dans un globule de fibrine ou de tissu cellulaire, le tégument de la matière qu'il renferme ? Et le rôle de la chimie ne doit-il pas se borner ici à analyser ultérieurement ces corps, après que l'anatomie les a isolés ; comme lorsqu'il s'agit des substances inorganiques, elle ne doit décomposer que celles qui sont homogènes.

Paris, 6 février 1835.

Please cite as “L1171,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1171