From Ampère André-Marie to dit Couppier Viry Couppier Jean-Stanislas   15 août 1795

[1] À Poleymieux, le 15 [août 1795] 1

Avant de recevoir votre lettre, Monsieur, je vous en avais écrit une, parce que Madame votre mère à qui Mademoiselle Morandy avait parlé [du] regret que j'avais eu de ne pas vous [rencontrer] dans mon dernier voyage à Lyon, et du [illisible] de nous voir si loin et pour un temps peut-être un peu long, s'était offerte de vous en faire parvenir une, et que je ne voulais pas manquer cette occasion de me rappeler à votre mémoire. J'ai bien du regret que, comme vous dites, vos affaires ne vous aient pas permis de vous détourner un peu de votre chemin pour me donner le plaisir de vous voir une fois de plus. Si par hasard à votre retour les choses étaient changées, vous pensez bien que vous ne pourriez pas me faire un plus grand plaisir que de vouloir bien vous reposer à la maison. Je ne suis guère qu'à une demi-heure de Limonest où j'imagine que vous passez. Comme j'y ai été souvent, simplement pour me promener, si je savais le jour où vous y devez passer, j'y irais vous attendre, soit simplement pour vous voir un moment si vous ne pouviez vous arrêter, soit pour vous montrer dans le cas contraire le chemin de traverse qui est si court pour venir ici, tandis que celui qu'on vous indiquerait pour aller à Poleymieux serait infiniment plus long à cause qu'on entendrait [2] par là le chemin de l'église dont nous sommes fort éloignés. Vous me donneriez donc une marque d'amitié qui me serait très sensible de me marquer le jour de votre passage à Limonest quand vous serez décidé à retourner à Lyon, du moins dans le cas où rien n'y mettrait obstacle. Les règles du choc des corps élastiques sont telles que dans vos auteurs, il est très inutile d'avoir recours à l'expérience dans une chose que vous trouverez démontrée dans Bezout au commencement de la seconde partie de la Mécanique . Mais le mouvement ne s'en suit pas du tout ainsi que le prouvent , à ce que je crois, les réflexions suivantes : Il n'est point étonnant que la quantité de mouvement soit plus grande avant qu'après le choc quand on prend positivement celle qui se fait en sens contraire. Pour trouver la même somme, il faut la prendre négativement. Ainsi 8 2 1 4 = 1 6 4 = 1 2. Cela vient de ce que le changement de mouvement des deux corps doit nécessairement être égal dans les deux corps, afin que l'inégalité du gain et de la perte ne trouble point l'équilibre qui doit être entre eux, d'après le principe général du mouvement, et qu'il est clair que le changement du corps choquant est en effet de 16 puisqu'il passe de 12 à – 4, c['est]-à-d[ire] qu'il faut un effort de 16 pour repousser avec la vitesse 4 le corps qui vient avec la vitesse 12. Il n'est donc pas étonnant [3] que cette quantité 16 de mouvement passe dans le second. Il y a longtemps que Newton avait dit que le mouvement se perdait et renaissait dans la nature. Leibniz trouvant cette vérité peu conforme à ses idées métaphysiques inventa une autre manière de mesurer le mou[vement] par le produit de la masse par le carré de la vitesse. Quoique cette manière ne soit pas adoptée, et avec raison, il en est ré[sulté] la loi de la conservation des forces [vives] qui me va servir à vous prouver que de quelque manière que vous cherchiez [à] faire passer le mouvement gagné par le corps b dans le corps a, vous ne pouvez manquer de faire une perte égale au gain que vous venez de faire. Il est donc prouvé d'une manière aussi simple que générale dans la Mécanique analytique de Lagrange que, de quelque manière que des corps quelconques solides ou fluides, se meuvent et agissent les uns sur les autres, pourvu que ce soit par degrés infiniment petits, le produit de chaque masse par le carré de sa vitesse fait toujours la même somme, ce qui s' applique au corps élastique, même dans le choc, parce qu'il n'y est jamais absolument instantané, mais non pas dans celui des corps durs où l'on le suppose [instantané]. Ainsi dans votre exemple 2 6 4 + 1 1 6 = 1 2 8 + 1 6 = 1 4 4 = 1 2 2 1. Maintenant il est clair que de quelque manière que vous fassiez agir le corps b pour communiquer son superflu, comme ce sera nécessairement par degrés ment [infiniment] [4] petits, vous ne pourrez augmenter la force vive, et le corps a ne pourra jamais avoir que 12 de vitesse, sans quoi sa force surpasserait 144. Voilà la théorie qui ruine tous les projets de mouvement perpétuel. Pour entrer dans [diag] le détail de votre machine, il me semble que vous avez très bien vu que le levier i devait être beaucoup plus grand que l, pour qu'il pût le pousser dans sa fuite, mais il me semble évident que bien loin que toute la force de b passe en a, il s'en perd beaucoup dans cet engrenage comme d'une roue à un pignon. Soit par exemple v la vitesse de b et u celle de a avant l'action des leviers i, l, x, y, ces vitesses quand ils agissent, ce qui suppose qu'ils sont dans ce rapport . La quantité de mouvement perdue par b sera b ( v x ), et la quantité gagnée par a, a ( y u ). Elles ne doivent pas être égales mais en raison inverse de leurs bras de levier x, y, en sorte qu'il faut que b ( v x x 2 ) = a ( y 2 a y ), où l'on peut trouver le maximum de y, car il faut pour cela que v x x 2 en soit un, ce qui donne v d x 2 x d x = 0 ou x = v 2, donc b ( v 2 2 v 2 4 ) = a ( y 2 u y ) ou y 2 u y = b v 2 4 a et y = u 2 b v 2 4 a + u 2 4. C'est la plus grande vitesse possible. Or si nous supposons que le corps a soit venu avec la vitesse 12, contre b cinq fois plus gros, auquel cas il retournera avec la vitesse 8, et b avancera avec la vitesse 4, ce qui donnera [5] u = 8, v = 4, x = v 2 = 2, y = 4 5 4 + 1 6 = 4 6 = 1 0, parce que le signe supérieur est le seul qui donne un maximum, d'où il suit que le corps a ne peut jamais regagner sa vitesse 12. Au reste, je découvre mon erreur d'avoir dit que la communication se fait par degrés. Je vois maintenant qu'elle se fait ici dans l'instant du choc des leviers. Mais au lieu d'y gagner, on y fait une perte sensible puisque les forces vives ne sont plus que 4 5 + 1 0 0 1 = 1 2 0 au lieu de 144. Si on voulait y remédier, il faudrait en laissant toujours les deux leviers dans le rapport de x : y :: 2 : 1 0 :: 1 : 5, en faire des ressorts parfaits2. Alors ils doubleraient l'effet du choc en sorte que la vitesse 4 réduite à 2 pour le corps b le serait à rien, et la vitesse 8 portée à 10 dans le corps a le serait à 12. Alors il n'y aurait point de perte puisque l'on aurait encore 144 de force vive, mais l'on ne gagnerait [rien] puisque le corps b resterait en repos et le corps a ne ferait que retourner avec sa vitesse initiale, comme après une simple réflexion. J'avais imaginé de laisser d'abord monter le corps a de lui-même, et supposant que lors de son repos, l'autre corps était déjà revenu à sa [diag] première place b, avec la même vitesse qu'il avait en partant, sauf la résistance de l'air, qu'alors il accrochait a par les leviers de la fig. 2. Comme a était alors en repos, u = 0, du reste v avait la même valeur, et l'on avait la même éq[uation] qui se réduisait à b ( v x x 2 ) = a y 2 en effaçant3. Il fallait donc également pour le maximum de y que x = v 2 [6] ce qui donnait b v 2 4 = a y 2 ou y = b v 2 4 a. Dans l'ex[emple] ci-dessus, où b = 5 a et v = 4, on trouve y = 2 0. Avec des leviers parfaitement durs et en doublant l'effet avec des ressorts y = 8 0. Cette vitesse avec celle 8 que le même corps a déjà perdue semble faire plus que la vitesse 12 qui lui est nécessaire. Mais elles ne font précisément que la même force vive et ne peuvent faire remonter a plus haut que la vitesse 12, car les hauteurs d'ascension étant comme les carrés des vitesses, la vitesse 8 ne pourra faire monter qu'à 6 4 1 4 4 de la hauteur de 12, et 8 0 ne pourra faire monter qu'à 8 0 1 4 4, ce qui donne précisément 1 4 4 1 4 4 = 1 pour l'ascension qu'elles produisent, appliquées successivement.

Comment est-ce que celui qui sait nettoyer des horloges sans les gâter, et qui montre que le sage, comme disaient les stoïciens, sait tout faire sans l'avoir appris , et rex et sutor bonus 4 demande-t-il à quelqu’un qui ne serait certainement pas capable d’une telle opération et qui sur les horloges devrait être tout au plus votre disciple comme il l’a été sur l’hydraulique, les moyens de les bien régler. Vos raisonnements sur cet article me paraissent ceux d’Apollon sur son trépied, et je suis convaincu comme vous qu’il y a un maximum de poids que l’expérience peut seule déterminer puisqu’il dépend des variations du frottement dont on ne peut calculer les inégalités. Quant au pendule, il me semble que, plus son poids est considérable, plus ses oscillations doivent être isochrones et [7] que la seule économie en fait mettre de petits. [diag] Quant au frottement, je crois qu’il est aussi aisé à calculer avant qu’après la ligne des centres. Dans le premier cas, il faut le considérer suivant LR, tendant à retarder le pignon avec le levier CR, tandis qu’après, il agit suivant EC avec le levier AF (Je n’ai pas marqué A où il fallait, vous y pourrez suppléer ). En supposant le frottement toujours indépendant de la vitesse et en nommant P l’effort qu’il faudrait pour le vaincre en A, c['est]-à-d[ire] à la distance CA de C, il est clair qu’il faudra en L une force = P ( C R C A ) = P sin C A R = P sin z d’où il suit qu’on aura P sin z . d z pour la somme de tous ces efforts et comme P sin z . d z = c cos z, on aura P ( c cos z ). Afin que cette somme soit zéro quand z = 0 dans la ligne des centres et que cos z = 1, il faut que c = 1. On a donc P ( 1 cos z ) ou P sin . vers . z. C’est-à-dire que cet effort est à celui que le frottement ferait à la distance des centres :: 1 : sin . vers . z, z étant la valeur de CAR au commencement de l’engrenage. Quant au frottement après la ligne des centres, il est aisé de voir qu'en nommant l'angle FCA, y, on aura P sin y . d y pour chaque effort et P sin . vers . y pour l’effort total en prenant la valeur de y à la fin de l’engrenage. Vous trouverez étonnant de voir ce frottement beaucoup plus grand que celui de l’arc-boutant, [8] mais c’est qu’il est calculé autour du centre de la roue, et qu’ainsi il n’y a rien à changer, au lieu que celui de l’arc-boutant étant calculé autour de celui du pignon, il faut le multiplier par le rapport du nombre des dents de la roue et du pignon pour avoir la force qu’il faut ajouter à la roue pour vaincre.

Dans ce calcul, il n’y a que l’intégration qui peut vous arrêter , mais vous pouvez toujours la vérifier par la différentiation. Par ex[emple] pour prouver que sin z . d z = c cos z, il faut que d ( c cos z ) = sin z . d z, ou à cause de d c = 0, puisque c est constant, d cos z = sin z d z, c['est]-à-d[ire] cos z = sin z . d z. Pour prouver cette éq[uation] j’ai d cos z = cos ( z + d z ) cos z = cos z cos d z sin z sin d z cos z. Mais dz étant infiniment petit, sin d z = d z, et cos d z = 1. La valeur ci-dessus devient donc d cos z = cos z sin z . d z cos z = sin z d z. CQFD.

Je n’herborise presque plus parce que j’ai tant examiné Poleymieux que je n’y trouve plus rien de nouveau. Je m’occupe à la place de cette ridicule entreprise que vous semblez désirer de voir, mais j’avance si peu que je ne suis seulement pas à la moitié du 3ème chant tandis que j’avais presque fini les deux pr[emier]s la dernière fois que je vous ai vu. J’ai reconnu parfaitement la digitale jaune dans votre description qui est aussi bien faite qu’on aurait pu l'attendre d'un habile botaniste. De la manière dont j’avais lu le ballon des [9] gazettes, il m’a semblé qu’il était attaché avec une corde, du moins c’est ainsi que je l’ai compris. Je ne [me] ressouviens pas bien si c’était [écrit] positivement ou si je l’ai cru indiqué par la manière dont on le racontait. Au reste, je ne le crois possible que de cette manière.

Vous me feriez grand plaisir de me faire une petite description de la machine dont vous vous occupez, ou du moins quel en est le but. J’aurai beaucoup de plaisir à partager d’ici vos travaux. L'amitié m’y rendra présent. J’ai mis dans l’autre lettre le défaut que j'ai trouvé à la machine pour mesurer le frottement de l'air. Si par hasard elle ne pouvait vous parvenir, je vous le récrirais dès que j’en saurais l’événement.

Quant à l’énigme qui termine votre lettre, comme je n’ai reçu votre lettre qu’hier au soir et que la réponse m’a tenu presque tout le jour, je n’ai pas pu m’en occuper assez sans retarder cette lettre que j’ai une occasion d’envoyer demain avant mon réveil. J'en ai cependant distingué toutes les voyelles et j'avançais l'entière explication dans une chose qui m’a arrêté. Le p[remie]r mot étant trisyllabe5 c['est]-à-d[ire] et ayant des raisons de penser que a était e, je croyais que c’était probablement [illeg]nes, les, &c. Point du tout, j’ai découvert un [mot] dissyllabe od où o chargé ailleurs d’une apostrophe est une consonne, donc d est une voyelle et le premier mot ne peut être que peu, feu, etc. qui ne paraissent guère propres à commencer une phrase . Cependant j'y travaillerai demain. J’en ai fait faire plusieurs à ma sœur que j’ai toujours devinées [10] excepté quand elle mettait une lettre pour une autre, ce qui est je crois très facile.

Vous voyez que je ne vous épargne pas le papier. J’espère que vous en ferez de même sans paraître vous repentir de ce qui [me] fait le plus de plaisir car vous pensez bien que plus vos lettres [sic] plus elles m’en font et je crois que de ce côté vous êtes encore mon débiteur, car je ne vous ménage pas le papier. C'est parce que je juge de vous par moi. Je vous prie bien Monsieur de me rendre la pareille et de recevoir avec amitié les sentiments de la mienne qui, tous vifs qu’ils sont déjà, iront toujours en augmentant jusqu'au tombeau, et je l'espère encore au-delà puisqu'il n'y a nulle apparence qu’en gardant la mémoire, on puisse oublier ses amis. Recevez-les donc, Monsieur et soyez persuadé que ma plus grande ambition est de mériter le titre de votre meilleur ami.

A. Ampère

(1) La date est en grande partie illisible, y compris le quantième. Il n'y a pas de résumé de Couppier.
(2) Le signe :: signifie "proportionnel à".
(3) C'est-à-dire "en simplifiant".
"A la fois bon roi et bon cordonnier", allusion aux Satires d'Horace.
De trois lettres ?

Please cite as “L1175,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1175