To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   4 mai 1802

[1013] Du mardi matin [4 mai 1802]

Je t'envoie, ma bonne amie, dans cette grosse lettre, le petit ouvrage dont je t'ai parlé. Il s'en faut de beaucoup que j'en sois content. Je l'ai récrit trois fois. Je viens encore d'y faire bien des corrections et j'en trouve toujours le style détestable. Il est vrai que cela ne fait rien à l'exactitude des calculs qui en font tout le mérite. Si ces calculs sont nouveaux et que personne n' ait encore inventé les formules où ils me conduisent, ils pourront intéresser les mathématiciens ; mais, si ces formules sont déjà connues et que je n'en sache rien, je n'aurai fait qu'afficher de l'ignorance ou de la mauvaise foi. Cet inconvénient, au reste, a lieu pour toutes sortes de découvertes, puisqu'on ne peut jamais être sûr que les mêmes choses n'aient pas déjà été trouvées. Je ne vois pas, d'un autre côté, qui je pourrais consulter là-dessus. M. Clerc est aussi intéressé que M. Roux à ce que je ne sois pas choisi au concours du Lycée où il doit aussi se présenter. Je ne vois que M. Couppier qui, après avoir lu avec attention mon mémoire, puisse décider, s'il consent à dire franchement son avis, de l'utilité [illisible] \que je peux retirer de/ l'impression de cet ouvrage. S'il jugeait qu'il pût contribuer à me faire choisir pour le lycée, on se dépêcherait de l'imprimer et j'attendrais d'en avoir pour écrire à M. Morel des Jardins et à Camille Jordan ; je leur en enverrais à chacun un petit paquet pour les donner à quelques mathématiciens de Paris ; ce qui[1014] n'empêcherait pas de chercher d'autres moyens de le répandre parmi les savants de la capitale.

Du mardi soir J'ai changé d'avis, ma bonne amie, depuis ce matin et voilà pourquoi tu ne trouveras pas ici mon petit ouvrage. Si j'avais eu le temps , j'aurais recommencé ma lettre ; mais j'ai mieux aimé la continuer sur le papier qui devait servir d'enveloppe à mon manuscrit. Ne connaissant que M. Roux au monde qui puisse me dire si ces formules sont déjà connues, j'en ferai faire une copie bien propre que j'adresserai à l'Athénée dont il est secrétaire et je le prierai, dans ma lettre qui sera à son adresse, de me dire si ce que j'ai imaginé est réellement nouveau, en le priant, s'il ne l'était pas, de me renvoyer le mémoire sans le lire à l'Athénée : ce qui motivera l'envie que je lui témoignerai de savoir au juste ce qu'il en est. D'un autre côté, Ballanche ira voir M. de Laurencin et saura ce qu'on a pensé de mon ouvrage à l'Athénée. C'est sur tout cela qu'il sera facile, en réunissant l'avis de M. Couppier, de voir au juste ce qu'il convient de faire. J'enverrai mercredi \prochain/ par Pochon mon brouillon mis au net, sur lequel on imprimera si cela est à propos. Je ne puis pas l'envoyer demain puisqu'il n'est pas copié. J'attendrai la même occasion pour t'envoyer les autres objets, afin que tout ne fasse qu'un paquet ; mais je voudrais bien qu'il fût plus gros ; car on dit que Pochon perd quelquefois les petits paquets qu'il regarde comme étant peu de conséquence. Ainsi, si tu voulais que je t'envoyasse quelqu'autre chose en même temps , tu me l'écrirais d'ici là.[1015] Quant à l'argent, je remettrai demain à Pochon 5 louis et non pas 6 comme je t'avais dit d'abord, dans la crainte d'avoir quelques dépenses imprévues avant la fin de mois. Je lui remettrai en outre 30 l[ivre]s pour les 2 globes et l'emballage de Marsil que M. Monnier m'a remboursés hier, ainsi que les 3 f[ranc]s de voiture ; ces trois francs, je les donnerai à Pochon en portant cette lettre. L'arrivée de mes cahiers m'a bien fait plaisir ; car je me repentais bien vivement d'avoir dit de les laisser à Lyon.

Remercie Marsil de ma part. Je lui écrirai dès que j'aurai un moment de temps . Mon arrangement définitif est de dîner à 30 l[ivre]s par mois chez Mme Beauregard et de donner 4 l[ivre]s de plus à la Perrin pour avoir à souper à peu près autant qu'elle me donne à déjeuner. Quand je devrais boire pour 6 l[ivre]s de vin, cela ne fera jamais que 40 l[ivre]s M. Berger, mon ancien élève, a commencé aujourd'hui à prendre des leçons particulières de chimie. Ces deux élèves, à 18 l[ivre]s chacun, me nourrissent presqu'entièrement.

Du mercredi malin [5 mai] Je n'ai point pu me procurer le règlement de l'organisation du lycée. Je voudrais bien que quelqu'un pût savoir au juste s'il y aura un examen par des membres de l'institut ; je n'en sais rien ici que par le bruit public. J'ai fini la partie astronomique de mon cours et je vais passer à l'explication des autres parties de la physique. S[ain]t-Didier m'a écrit une jolie lettre que j'ai reçue hier. Elle en contenait une de recommandation que je porterai à mon premier moment de liberté chez M. Victor de Montessuis, neveu de Mme Servan de Poleymieux, et qui[1016] jouit à Bourg de beaucoup de considération. Ah, ma bonne amie, ma bonne amie, quand ce train de vie sera-t-il fini, quand serons-nous réunis ? Je voudrais précipite[r] le temps qui me reste avant cet examen et je sens cependant que notre sort dépend en partie de l'emploi que j'en ferai. S'il pouvait te procurer un sort plus digne de toi, ce temps serait le mieux employé de ma vie pour ton bonheur... Mais n'aimes-tu pas bien ton pauvre petit ? Ma bonne amie, tu devineras toutes mes pensées ; c'est toi qui les produis toutes ; elles ne sont pleines que de toi. Je voudrais que tu devinsses bien, oui bien heureuse et je serais assez heureux de ton bonheur, à quelque exil que je fusse condamné. Ma tendre amie, ma bienfaitrice, pense à moi, et dis-toi quelquefois, en voyant la chaise qui touche : Il y a quelqu'un qui voudrait bien être là ! ; en voyant le petit :Il y a quelqu'un qui voudrait bien le tenir sur ses genoux pendant que sa maman lui donnerait de la soupe !. Mais tu sais tout cela aussi bien que moi, tu sais comme je t'embrasse et tout ce que t'adresse ton mari. A. AMPÈRE

A Madame AmpèreCarron, maison Rosset, n° 18, grande rue Mercière, à Lyon.

Please cite as “L118,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L118