To Pierre Maine de Biran   7 janvier 1808

7 janv[ier] 1808

[89]Mon cher ami, j'ai remis jeudi passé, c'est-à-dire avant hier, vos deux lettres à M. le chancelier, ce n'est pas sans peine que je suis parvenu [illisible] jusqu'à lui, mais dès qu'il sut que j'avais à lui parler il s'empressa [illisible] de me donner jour pour causer ensemble. Il m'a paru on ne peut mieux disposé pour vous, et porté à faire tout ce qui pourra dépendre de lui auprès du grand maître. Il m'a chargé de vous l'écrire, avec beaucoup de marques d'un vif intérêt pour vous, et tous les éloges que vous méritez. J'ai prévenu M. Roman de tout cela afin qu'il agisse de son coté. Je vous prie de me[90] mander si vous avez reçu par la poste d'abord une thèse sur l'habitude que M. de Tracy m'avait remise pour vous, et plus récemment deux exemplaires de son discours de réception à l'Institut l'un pour vous, l'autre pour un [illisible] monsieur dont le nom est sur l'exemplaire qui lui est destiné.

Il ne faut pas que vous preniez au pied de la lettre ce que je vous écrivis dans un moment de véritable humeur de voir que nous ne pouvions nous entendre, sur ce que je vous dis de l'impossibilité de connaître la nature des modifications qui ont lieu[91] avant l'autopsie. Je n'ai travaillé depuis votre grande lettre qu'à changer encore la disposition et la classification des phénomènes pour vous offre enfin une classification qui puisse être admise par vous. Mais je crains toujours que cela n'éprouve quelques difficultés à cause que vous ne voulez pas reconnaître quelques faits sur lesquels il ne me paraît pas même qu'on puisse élever le moindre doute. Le premier est que toutes les modifications produites par [illisible] les impressions sur les organes avant et indépendamment de l'autopsie sont au fond de la même[92] nature, mais présentent une suite de différence successives suivant qu'elles sont plus ou moins affectives, moins ou plus représentatives. Je ne crois pas qu'il faille regarder l'affection et l'intuition comme deux phénomènes indépendants , mais bien comme deux phénomènes liés par la nature de l'organe, ou comme vous dites si bien in concreto. En sorte que je regarderais ce qu'on nomme sensation comme étant en général la réunion des trois phénomènes, affection, intuition, contuition, ou de deux de ces phénomènes, ou même quoique rarement, d'un seul.

D'abord il est bien évident que le plus grand nombre de nos sensations sont dans ce cas. [93] Secondement les sensations visuelles et tactiles qui semblent les moins affectives le sont certainement beaucoup, avant que l'habitude les aient émoussées. Voyez comme les enfants suivent la lumière, comme les couleurs semblent les charmer ou les repousser, comme certaines couleurs déplaisent même aux animaux qu'elles vont jusqu'à mettre en fureur, et à l'égard des [illisible] sensations tactiles qui peut douter que celles des enfants dont la peau est si délicate ne soient très affectives. °. S'il n'y a que les sensations dont l'habitude a flétri la partie affective, qui soient seulement représentative, il n'y a de purement affectives que celles dont la vivacité de l'affection couvre et dérobe la partie représentative, et à mesure que l'habitude en affaiblit l'affection, elles se rapprochent des sensations [illisible] plus représentatives. C'est ainsi qu'un[94] aveugle placé dans la boutique d'un pharmacien parviendrait à reconnaître aussi sûrement les médicamens à l'odeur que \nous à la /couleur. Ce fait est une preuve sans réplique qu'il y a dans les odeurs une partie [illisible] intuitive, si vous faites attention qu'on ne peut reconnaître une sensation qu'en la comparant à l'image 'une sensation antérieure, et qu'il n'y a que la partie intuitive d'une sensation qui puisse laisser une image. Il y a d'ailleurs dans certaines maladies causées par des dérangements des organes internes \des affections /qui sont absolument privées d'intuitions, et qui nous montrent qu'alors il est non seulement impossible de les reconnaître mais même de savoir qu'on les a quand on les a. Comme un[95] mélancolique persuadé que sa tristesse vient des contrariétés qu'il éprouve tandis qu'elle vient d'une affection sans intuition, qui par là se dérobe entièrement à sa connaissance. L'autre point sur lequel je diffère avec vous, mais seulement dans le choix du mot, c'est que je vois évidemment que vous nommez perception, sensation, une simple contuition de l'autopsie avec [illisible] l'intuition, [illisible] l'affection. Je crois qu'en disant autopsie jointe à l'intuition, autopsie jointe à l'affection, vous rendriez la même idée sans faire des mots à l'infini. Car faites y attention, l'autopsie se joignant à tous les autres phénomènes qui peuvent la précéder, il n'y aurait pas de[96] raison pour ne pas inventer pour chacun d'eux une nouvelles dénomination quand l'autopsie naît au milieu d'eux et s'y joint. Ainsi il faudrait des mots non seulement pour [illisible] autopsie jointe à intuition, autopsie jointe à affection, mais aussi pour autopsie jointe à image, à tendance ou désir, à contuition, à commémoration, etc.

Si donc vous vouliez admettre que l'affection, l'intuition, et la contuition, sont 3 modes in concreto d'une sensation en général, et si vous vouliez renoncer à avoir un mot particulier pour désigner l'union de l'autopsie et de l'intuition,[97] de même que vous n'en exigez pas pour ses diverses unions avec tous les phénomènes, je vous enverrais un tableau qui nous mettrait tout de suite d'accord, à force de retourner ceux que j'ai faits jusqu'à présent [illisible] je me suis convaincu qu'il fallait rejoindre cette division des connaissances et der déterminations que vous avez tant combattue, qu'il fallait multiplier davantage les phénomènes que je rangeais dans l'ordre des connaissances, sans augmenter ceux des déterminations, ce qui s'est fait naturellement en séparant en deux phénomènes absolument distincts les deux espèces d'un même phénomène que je réunissais avec des accolades dans la plupart de ces phénomènes, par là cette[98] subdivision par accolades a tout à fait disparu du tableau, et j'ai trouvé des mots propres pour celles de ces subdivisions qu'il fallait admettre au rang des divisions principales.

J'ai tout divisé en deux systèmes, celui de la sensibilité et celui de l'activité. À la tête du premier se trouve l'affection à sa fin l'émotion. À la tête du second la volition, à sa fin la prédétermination, il ne reste plus à placer entre ceux-là que les phénomènes dont je formais l'ordre des connaissances, et qui se placent dans la 1re ou la 2de colonne selon qu'ils [illisible] peuvent se concevoir sous l'autopsie, ou qu'au contraire ils la supposent immédiatement nécessairement.[99] Voici donc comme[nt] commence ce tableau.

à la sensibilité. à l'activité
générateurs. conservateurs générateurs. conservateurs
affections. ... volitions. ...
intuitions. images. autopsie. reminis
.... ... ... ...
.... ... ... ...
.... ... ... ...
etc. etc. etc. etc.
Je n'ai pas le temps de vous développer ce nouveau point de vue, ni surtout de vous le démontrer. Ce sera mon cher ami, pour une autre lettre. Je vous embrasse mille fois de toute mon âme.

[100]À monsieur Maine-Biran sous préfet de l'arrond[issemen]t de Bergerac à Bergerac Dép[artemen]t de la Dordogne

Please cite as “L1182,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1182