To Pierre Maine de Biran   9 août 1810

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Avignon 9 août 1810.

Je viens de recevoir votre lettre, mon cher ami, rien ne pouvait me faire un plaisir plus vif. Mais qu'il est difficile de s'entendre à 200 lieues l'un de l'autre. Je pensais que vous aviez vu sous le même point de vue que moi le grand desideratum de la philosophie. Je vais vous exposer ce point de vue mais avant de le faire permettez-moi de vous dire que vous me faites dire absolument le contraire de ce que j'ai dit au sujet du mot a priori. Par cette expression : une hypothèse qu'on doit rejeter a priori toute hypothèse où l'on[140] attribue aux noumènes non pas une propriété cause de notre sensation de rouge, par exemple, mais la rougeur elle-même ; toute hypothèse où l'on attribue au noumène qui nous modifie notre propre modification. Tous les philosophes ont dit la même chose. Relisez ma lettre et voyez si j'ai professé le mot de cause, que vous intercalez dans ce que j'ai dit pour le rendre faux. Jamais il ne m'est venu en pensée de dire qu'on ne devait pas attribuer au noumène de l'écarlate la cause du rouge, mais qu'il était absurde a priori de lui attribuer la rougeur telle que nous la sentons ; ou la rappelons.[141] Ne perdez jamais de vue dans tout ce que je vais dire qu'une chose absurde a priori est totalement complètement absurde dont l'absurdité saute aux yeux avant tout examen. C'est ainsi qu'il est absurde d'attribuer aux êtres hors de nous des couleurs, des odeurs, des sensations tactiles, qui sont des images, mais il ne l'est pas, et je n'ai jamais dit qu'il le fut, de leur attribuer les idées de relations d'être la cause des couleurs, des odeurs, des sensations tactiles. Comment pouvez-vous me reprocher de l'avoir dit ? Posons donc en principe : °. Qu'il est absurde a priori, et sous tous les points de vue, d'attribuer aux noumènes, comme noumènes, des [illisible] idées sensible ou images comme propriétés qui soient en eux. Cela est admis de tout le monde. °. À chaque sorte de modifications[142] que nous font éprouver les êtres hors de nous, nous devons attribuer à ces êtres autant de propriétés, causes inconnues de ces modifications. Cela est bien et vrai, mais nous laisse dans une grande ignorance de leur nature intime, puisque jusque là nous ne pouvons affirmer de cette nature intime que des causalités inconnues. Ce sont bien des idées de relations, puisqu'on peut les affirmer des noumènes sans contradiction, mais ce sont les plus obscures de toutes, j'entends par là les moins adéquates.

Nous admettons tous deux qu'on peut et qu'on doit affirmer des noumènes des relations de causalité. Nous sentons tous deux l'absurdité manifeste de leur attribuer des propriétés sensibles ou images. Reste à savoir[143] si l'on peut en affirmer d'autres relations que des relations de causalité. C'est à ce que j'appelais tout à l'heure le grand desideratum de la philosophie. Question dont vous verrez mieux l'étendue et l'importance en comparant les deux manières de voir de ces deux interlocuteurs.

B. La relation de causalité est la seule qu'on puisse affirmer des noumènes, et de même qu'on dit à l'égard de l'idée sensible ou image que nous avons du rouge qu'il n'y a rien dans l'écarlate qui y ressemble, mais seulement une cause inconnue qui nous modifie en rouge. On doit dire à l'égard de l'idée de relation que nous exprimons par le mot cinq, qu'il n'y a rien dans la main qui y ressemble, mais que la totalité de cette main étant[144] une monade unique et indivisible, il y a en elle une cause inconnue qui nous modifie en cinq. De même pour ce groupe d'idées de relations dont se compose ce que nous appelons la forme cubique, on doit dire qu'un dé à jouer n'a comme noumène rien de semblable, mais qu'il y a dans cette monade une cause inconnue qui nous modifie enforme cubique.

A. Mon opinion est au contraire qu'outre les relations de causalité, les premières que nous reconnaissons dans les noumènes, il y en a d'autres telles que celles de nombre et de forme, qui y sont réellement, indépendamment de nous, et avant que nous existassions. Autrement il faut dire avec un métaphysicien qui pensait comme vous que le système nerveux d'un homme qu'on dissèque après sa mort[145] est son âme monade simple et indivisible mais dans laquelle est une cause inconnue qui nous affecte en forme de filets très multipliés, partant d'un tronc commun, forme qui n'est qu'une simple apparence. B. Cette opinion peut se soutenir. A. Les idées de nombre sont elles nos propres modifications, ou des relations existantes réellement dans les noumènes, indépendamment de nous ? B. Elles sont en nous de même que nos autres idées et les images. A. Il est absurde de dire que le rouge est dans l'écarlate, il n'y a dans le noumène que la cause qui nous modifie en rouge. Il est faux de dire dans le premier sens que l'écarlate est rouge, on doit dire l'écarlate est cause de rouge, il sera donc faux de dire dans le premier sens la main[146] a cinq doigts. Il faut dire : il y a dans le noumène de la main une cause inconnue, qui nous donne cette image de 5 doigts. La main pourrait pour un autre [illisible] être sentant être une monade inétendue et indivisible. De même que l'écarlate pourrait être verte pour une autre organisation. B. J'admets assez cela. A. Si les idées de nombre ne peuvent pas plus s'attribuer aux noumènes en eux-mêmes que des couleurs ou des sons, il est contradictoire de dire qu'ils sont réellement en tel ou \tel /nombre. Il faut nécessairement qu'il n'y ait que moi et l'univers tout simple, indivisible, qui me modifie en nombre de même qu'en couleur ou en son.[147] B. Je passerais condamnation sur les relations numériques. Je serais porté à les admettre réellement dans les noumènes. Mais non celles de forme, et je trouve plus simple de regarder un cube comme une monade, une cause simple et indivisible qui nous modifie en forme cubique comme une goutte d'essence nous modifie, par exemple, en odeurs de rose. A. Nous y reviendrons et je vous prouverai le contraire. Il me suffit d'avoir obtenu qu'il n'y a pas seulement dans la main une cause inconnue, noumène unique qui nous modifie en cinq, mais qu'il y a là cinq noumènes différents . Dès lors vous admettez qu'on peut affirmer des noumènes en eux mêmes d'autres idées de relation que celle de la relation de causalité. B. Mais en admettant cela, à quoi reconnaîtrai-je les idées que[149] je puis sans contradiction manifeste, sans absurdité évidente a priori, affirmer des noumènes : puisque je ne puis rien connaître immédiatement des noumènes qui ne soit une de mes modifications, et qui ne puisse par conséquent leur être attribué réellement et en eux-mêmes ? A. Des relations dont vous avez acquis l'idée en comparant des sensations ou autres modifications subjectives, mais que vous vous assurez être indépendantes de la nature des objets comparés. B. Qu'entendez-vous par des modifications subjectives ? A. J'entends des modifications qui seraient autres si le sujet qui les reçoit était différemment[150] organisé. B. Est-ce là le sens que Kant donne à ce mot ? A. Je l'ai compris ainsi mais je n'en sais rien. Cela ne fait rien à la question. J' emploierai un autre mot quand vous viendrez . B. Qu'entendez-vous par une relation indépendante des termes comparés ? A. J'entends une relation qui reste la même \identiquement /quelque changement qu'éprouvent ces termes. Que trois couleurs soient changées en trois sons, l'idée de relation trois restera identiquement la même. B. N'en est-il pas de même des autres idées générales ? A. Non certes. Que mon œil organisé autrement voie divers[e] nuance de vert où il voit à présent diverses nuances de rouge. L'idée générale que j'attacherai au mot rouge sera[151] celle que j'attache à présent au mot vert. Organisé encore autrement ce sera une idée différente de toutes celles que j'ai ou puis avoir. Ces idées comparatives dépende[nt] de notre organisation, et quant à la possibilité de les avoir, et quant à ce qu'elles sont en elles-mêmes les idées de relations dépendent à la vérité de notre organisation pour la possibilité de les avoir. Mais je dis qu'elles en sont indépendantes pour exprimer qu'une fois qu'on est organisé de manière à en avoir, on en a qui sont toujours identiques les mêmes quelque soit le mode d'organisation.

Du 12 août 1810.

Cette lettre ayant été interrompue je ne sais ce que[152] j'avais à ajouter à ce dialogue. J'aurais je ne sais comment ramené la théorie des hypothèses explicatives. Comme je viens de relire votre lettre je vais en reprendre les articles par ordre.

1re observation. L'autopsie, dites-vous, est aussi une perception de rapport. Qu'importe si cette perception primitive de causalité, n'est ni une ressemblance, différence, ou contraste, ni une relation dépendante d'un mode de coordination déjà établi. Qu'est-ce que cela change à ma division ? N'en reste-t-il pas moins que le système cognitif [illisible] se subdivise d'abord en primitif fondé sur l'autopsie, et en dérivé fondé sur d'autres perceptions de rapports ? Probablement que vous ne voulez pas passez sous silence la différence qui se trouve entre ce jugement[153] primitif de notre propre existence, et des jugements de classification, ou de relations abstraites. Ma première et plus importante division est entre le système sensitif et le cognitif. Je subdivise celui-ci pour mieux l'étudier en primitif et relatif, et ce dernier est comparatif et intuitif. Chaque nouvelle subdivision est moins importante que la précédente, c'est ce que marque assez la subordination de ces subdivisions. Mais dès que la différence est réelle, et jette du jour sur des questions intéressantes il faut la marquer ainsi

Systèmes
Sensitif
cognitif primitif
dérivé
Comparatif
Intuitif
Vous m'allez encore chicaner sur le mot d'intuitif, mais je le changerai[154] quand et comme il vous plaira. Tâchons d'écarter les disputes de mots.

Vous dites dans votre seconde observation que la distinction entre les rapports de ressemblance ou dissemblance des modifications qui dépendent de leur nature, et les relations qui restent les mêmes quelque changement qu'éprouvent ces modifications, est délicate. Vous ajoutez que de même que l'on arrive à l'idée de cinq dès qu'on [illisible] \a un nombre suffisant de/ modifications distinctes, simultanées ou successives. Il suffit d'en avoir qui se ressemblent ou contrastent pour arriver aux autres idées générales. Comment ne voyez-vous pas qu'il est question \d'arriver /non pas à des idées d'une [illisible] \nème/classe, mais à une idée identiquement la même. Dans deux êtres qui passent ainsi par une suite de modifications différentes, et qui les comptent et les classent chacun de son coté,[155] il est évident que les idées de nombre sont identiquement les mêmes dans leurs deux entendements tandis que les idées générales de l'un sont toutes différentes de celles de l'autre, comme venant d'autres modifications classées d'une autre manière.

Ce qui rend les idées dépendantes de la nature de l'être qui les a, (j'entends par là la nature des modifications dont il est susceptible,) c'est de pouvoir changer par des changements dans son organisation, c'est le cas des idées générales proprement dites, mais non des idées de relation, celles de nombre par exemple, qu'il faut ou ne point avoir du tout ou avoir telles qu'elles sont essentiellement et indépendamment de la nature des modifications entre lesquelles ces relations existent. Je le répète c'est à cause de cela qu'il n'est pas absurde de supposer qu'elles existent[158] entre les noumènes.

Cela m'étonne toujours de plus en plus, que cette différence si essentielle , si évidente, vous paraisse délicate ! Qui est -ce qui ne voir pas que cinq modifications quelles qu'elles soient donnent une même et identique idée de ce nombre, tandis que suivant leurs diverses natures elles fournissent des idées générales différentes.

Vous concevez donc que les idées de rapports qui dépendent de la nature des termes comparés, ne peuvent être regardées comme pouvant exister entre les noumènes dont la nature nous est inconnue sans une absurdité manifeste, évidente, tandis que les relations qui restent identiquement les mêmes quelque soit la nature des termes comparés, les nombres par exemple ; peuvent sans absurdité être supposées exister[159] entre les noumènes. En quoi, par exemple, est-il absurde de supposer des noumènes en nombre de cinq, en eux-mêmes, et indépendamment de nous, et quoique l'idée d'être sonore, par exemple, soit une idée très générale, n'est-il pas évidemment absurde de supposer qu'il y a des sons dans les corps, en eux-mêmes et indépendamment de nous, puisqu'un son est une sorte de sensation, qui ne peut exister que dans l'être sentant, et non dans l'être où est la cause du son.

La cause du son, ce n'est pas le son ; cela n'y ressemble en rien. Au contraire on ne peut pas dire qu'il y ait dans la main[160] considérée comme un être simple et indivisible, une cause inconnue qui nous modifie en cinq, il est infiniment probable que les 5 doigts sont 5 noumènes différents . Donc les idées de nombre peuvent s'affirmer des noumènes en eux-mêmes et indépendamment de nous.

Je répète toujours les mêmes choses, parce que des notions si évidentes ne peuvent se faire comprendre qu'en les répétant.

Je viens à une 3me observation. Vous me rappelez cette bêtise de quelques idéologues que les sensations sont des comparaisons. Comment m'avez-vous soupçonné d'une telle sottise  ? Quand je mets ma main très froide dans une eau de température ordinaire[161] et qu'elle me fait éprouver une impression de grande chaleur, j'ai une sensation de cette chaleur voilà tout. Comme si ma main étant à une température ordinaire je l'avais mise dans de l'eau très chaude. Qu'est-ce que cela fait à ce dont nous parlons. J'ai dit et je le répète que le rapport de ressemblance entre tous les rouges, rapport dont la perception laisse une trace qui est notre idée générale de rouge, est différent du rapport de ressemblance entre tous les jaunes, rapport dont la trace est notre idée générale de jaune.

Puisque ces deux idées générales de jaune et de rouge, sont différentes l'une de l'autre, il s'en suit que nos idées générales proprement dites, dépendent de la nature de[162] nos organes. Tandis que celles des relations, par exemple, des relations de nombre, n'en dépendent nullement.

Vous prétendez que celles des relations d'étendue dépendent de la nature des organes, parce que sans le tact et la vue nous n'aurions aucune idée de ce genre. Bien loin que cette objection fasse contre ce que j'avais dit, elle en résultait nécessairement, car j'avais dit que ces idées supposaient qu'on pût coordonner par juxtaposition, et je vous ai expliqué mille fois pourquoi ces deux sens étaient les seuls où cette sorte de coordination fût possible.

Ainsi suivant que les sens peuvent ou non donner lieu à ce mode de coordination, on a ou on n'a pas les idées des relations d'étendue.[163] Mais ces relations sont indépendantes de la nature particulière des impressions reçues par les sens, dans le sens que je donne à ce mot indépendantes dans tout ce que je vous écrit car comme je l'ai déjà observé on les trouve \identiquement /les mêmes, soit par le tact, soit par la vue. En un mot pour avoir l'idée d'une relation, il faut la percevoir entre des modifications de notre sensibilité, entre lesquelles cette relation existe. Une fois qu'on a ainsi acquis l'idée de cette relation il faut examiner s'il reste dans cette idée quelque chose des modifications comparées ; c'est le cas des idées générales de rouge, de plaisir, etc. ou s'il n'y reste rien du tout de la nature particulière de ces modification,[164] comme il arrive pour les relations de formes, de nombres, etc. dans le premier cas il est évidemment absurde d'attribuer le rapport observé tel que nous en avons l'idée aux noumènes, on ne peut leur attribu[er] qu'une propriété inconnue cause de ce rapport. Dans le second cas au contraire, il n'y a nulle absurdité à leur attribuer la relation ellemême, telle que nous la concevons, par exemple, à supposer que le nombre de certains noumènes est 2, 3, 4, 5, etc. seulement cette attribution est une hypothèse qu'il faut ensuite rendre extrêmement probable, en comparant ce qui en soit résulter avec ce que nous observons réellement.

Vous me dites que vous en êtes à concevoir comment j'ai dénaturé le sens des mots[165] subjectif et objectif. C'est vous qui changez entièrement le sens que leur a donné Kant. Ce n'est pas le moi qu'il appelle sujet, c'est tout l'homme, tant son intelligence que ses organes. Pour prouver qu'il y a quelque chose de subjectif dans toutes nos perceptions ou représentations il prend le cas où voyant tout dans un miroir rouge nous jugerions tout rouge. J'ai donc appelé subjectif tout ce qui est influencé soit par la nature particulière de nos organes, soit par celle de notre intelligence, alors il n'y a d'objectif suivant vous que la propriété d'être cause de nos modifications que vous admettez dans les noumènes, (car ce sont les[166] noumènes qui sont des objets.) et suivant moi les relations de nombres et de formes qui existent entre ces noumènes, indépendamment de nous, sont aussi objectives, mais dans tous les cas je ne concevrai \jamais /que vous vouliez appeler objets nos modifications sensitives, et objectif ce qui dépend le plus des organes modifiés, organes qui sont évidemment le sujet de des modifications.

J'en viens à une dernière observation qui va éclaircir la difficulté de part et d'autre. Vous me dites qu'on peut aussi bien attribuer aux noumènes des ressemblances ou des dissemblances que des nombres ou des formes. Sans doute. Mais ces ressemblances ou dissemblances ne sont pas celles dont nous avons[167] les idées. Par exemple, nous avons l'idée claire de la ressemblance de toutes nos modification de couleurs que nous rangeons dans la classe des rouges. Cette ressemblance est l'idée générale de rouge. Il y a sans doute une propriété semblable dans tous les noumènes qui nous modifient en rouge, mais cette ressemblance est d'une nature absolument différente de celle que nous percevons entre nos modifications de rouges, [illisible] et elle nous est tout à fait inconnue. Au lieu que le nombre de cinq noumènes est identiquement le même que celui de cinq sensations ou de cinq idées.

Voilà cette distinction que vous trouvez sujette à difficulté, et sans laquelle toutes nos connaissances relatives aux objets hors de nous[168] seraient des faussetés et des bêtises décorées du nom de science sans laquelle on ne pourrait pas affirmer sans absurdité que Mars, Jupiter et Saturne sont trois noumènes différents , sans laquelle il est faux que la terre se meuve. Car le phénomène de la terre est immobile pour nous, et suivant vous il serait absurde d'attribuer la relation de mouvement au noumène de la terre indépendamment de nous.

Vous dites ensuite que ce serait atteindre l'absolu qui nous est interdit que de connaître des relations des noumènes entr'eux, qui fussent indépendants de nous. Comment est-ce atteindre l'absolu que de connaître des relations ? Voilà une contradiction dans les termes[169] que vous n'auriez pas laissé dans votre lettre si vous l'aviez relue.

Vous finissez par dire tout-à- coup qu'il est évidemment impossible, et cela par les lois-mêmes de nos facultés, de passer de la connaissance des rapports que les noumènes ont avec nous, à celle des rapports \relations/ {sic} qu'ils ont entre eux et indépendamment de nous. Comment pouvez-vous avancer une telle assertion lorsqu'il en résulte qu'il n'y a pas en une rapport relation de création entre la divinité, et les globes célestes-noumènes. Lorsqu'il s'en suit qu'il est absurde d'attribuer aux noumènes des planètes une relation d'attraction vers le soleil, etc. lorsque vous me dites que vous adoptez ma théorie des hypothèses[170] et mon double criterium, quoique cette théorie n'ait précisément que ce but de faire voir comment ne pouvant passer directement de la première connaissance à la seconde, on le fait indirectement à l'aide des hypothèses explicatives ? Enfin vous m'objectez qu'il y a dans [illisible] \la composition du /monde que j' appelle nouménal des idées tirées du développement de notre activité et de l'autopsie, qu'à cause de cela vous regardez comme nécessairement subjectives. Le mot ne fait rien à la chose, mais en continuant d'appeler subjectif ce qui dépend de notre mode particulier d'existence tant passif qu'actif, les idées tirées de l'autopsie étaient d'abord subjectives comme les autres, et se désubjectivaient de même, lorsque de l'idée de notre propre causalité[171] où se joignent bien des éléments subjectifs, nous passions à la notion de la relation générale de cause et effet, tellement désubjectivée, dans les sens que je donnais à ce mot, que nous l'affirmons du noumène qui a tout fait, et des noumènes différents de nous qui lui doivent l'existence, et sont causes à leur tour.

Décidément \si /je \peux je /ne me servirai plus des mots subjectid et objectif, je tâcherai de leur substituer phénoménal et nouménal, il sera dur cependant d'être obligé de dire déphénoménaliser. Ce mot bien barbare, rend bien mal l'idée d'ôter d'une notion tout ce qui y reste de la nature particulière des phénomènes qui nous l'ont fournie.[172] Voilà, mon cher ami, un horrible fatras , que je n'ai pas même le temps de relire. Je vous prie de tâcher de deviner ce que j'ai voulu dire en réfléchissant un peu sur ces phrases jetées au hasard , de suppléer ce que je n'ai pu exprimer voilà la grande question : ne pouvons nous connaître des êtres hors de nous que des relations de causalité, ou pouvons-nous en affirmer des nombres, des relations de formes d'actions, etc. ? Pouvons-nous voir qu'il y a plus d'un noumène hors de nous ? Si nous le pouvons il faut voir comment les idées de nombre, de formes, etc. diffèrent des autres idées générales qu'il serait absurde de leur appliquer attribuer.

Je vous parlerai une autre fois de ce que vous appelez certitude de sentiment, il n'est question ici que de la certitude de raison, résultat d'une grande somme de probabilités. J'attends votre réponse avec une impatience inexprimable, et vous embrasse aussi tendrement que je vous chérirai toute ma vie. A. Ampère

Please cite as “L1191,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1191