To Pierre Maine de Biran   autour du 15 mars 1812

[51] [illeg]Comme on se fait entendre difficilement, mon cher ami, quand on ne peut que s'écrire. Je suis bien de votre avis sur ce que le terme agrégation doit être préféré à tout autre pour désigner le 3me mode de coordination du système sensitif. Mais comment pouvez-vous ne pas sentir la différence des deux autres que j'avais nommés association organique et association fortuite. Je vous avais dit que dans l'agrégation les images élémentaires s'unissaient en un seul tout ou image complexe, n'était-ce pas clair que cela voulait dire comme dans l'association organique, un tout cela veut dire des choses distinctes rangées dans un certain ordre, le spectre coloré est un seul tout précisément parce que ses parties sont distinctes les unes des autres. Si elles se confondaient en un simple disque blanc, il n'y aurait plus de tout mais une sensation simple.

[52]À cet égard l'association organique, celle qui a lieu dans ce qu'on appelle une sensation complexe, et l'agrégation qui a lieu entre les images élémentaires d'un fantôme complexe, se ressemblent bien plus qu'elles ne ressemblent à ce que j'appelais association fortuite, ou association de simple simultanéité. Dans celle-ci il n'y a point d'union entre les sensations simultanées de manière ce qu'il se forme un tout. Certes quand un son frappe l'oreille en même temps que l'on voit une couleur, il serait bien absurde de dire qu'il se forme un tout, une représentation complexe du son et de la couleur, le seul effet de cette association est que le son entendu de nouveau fait revenir l'image de la couleur, mais pourrait-on dire, par exemple, que le son est à droite ou à gauche de la couleur comme dans le spectre coloré l'on dit que le jaune est entre le vert[53] et l'orange.

Il y a décidément tant de différence entre cette simple association, et la coordination des sensations simultanées d'un même organe et formant un tout, qu'il est indispensable de restreindre le mot association sans épithète (devenue dès lors inutile), à désigner cette simple association, de \simultanéité et /de donner un nom différent à ce que j'appelais association organique. Vous me proposez de nommer ainsi le phénomène élémentaire et les 3 sortes de coordinations du système sensitif. Intuition simple. Intuition composée. Association immédiate. Association fortuite.

Nous nous entendons bien au moyen de ces 4 mots, mais voici pourquoi je ne puis les admettre. °. Le premier de ces 4 phénomènes est totalement et absolument séparé des 3 autres. En lui seul est renfermé[54] tout ce qui peut entrer comme matériaux ou éléments dans une représentation sensitive. Les trois autres phénomènes ne sont que des arrangements divers de ces matériaux, comment donner le nom commun \d'intuition /aux éléments et à une première sorte d'arrangement, puis un autre nom commun aux deux autres sortes d' arrangements. °. Ce n'est pas tant la représentation complexe, le groupe formé dans l’œil ou par le toucher que je veux dénommer, mais ce mode particulier de coordination. Vos prétendez que vous ne voyez pas la nécessité de lui donner un nom. Qu'est-ce que cela signifie ? Est-il vrai ou faux que les sensations visuelles ou tactiles se coordonnent ainsi ? Ce mode de coordination n'est-il pas sui genereis, différent de tous les autres et les précédant tous ? Pourquoi donner des noms aux autres si vous n'en donniez pas à celui-là ?

[55]Voilà bien évidemment trois modes d'union entre les intuitions (observez que j'entends toujours par là les intuitions simples, éléments des groupes, le plus petit point coloré visible par exemple.) Le premier de ces modes d'union n'a lieu qu'entre des intuitions reçues sur des points juxtaposés et continus d'un même organe, dans le tact et la vue, il est impossible entre des intuitions de son, etc. C'était pour lui que j'avais pris autrefois le mot contuition que je regrette beaucoup. Il y a alors formation d'un tout par l'union des éléments.

Le second mode d'union est l'association proprement dite, que je voudrais à présent nommer simplement association, il ne forme point un tout des éléments associés, seulement l'un fait revivre l'image de l'autre. Ce mode d'union a lieu entre 2 intuitions simultanées sur des organes différents , ou entre une intuition et une image simultanées.

Dans le troisième mode d'union ou agrégation, il [a ]formation d'un[56] tout ou image complexe de même que dans la contuition, ce qui distingue absolument ces deux modes d'union, de l'association où il n'y en a point.

Voici donc les noms auxquels je m’arrêterais :

définitions. nomenclature.
éléments représentatifs fournis par les sens intuition
Coordination entre ces éléments immédiatem[en]t dans un même organe contuition
par simultanéité association.
par concours fortuit entre des images agrégation
Observez bien que ces 4 phénomènes :
intuition. image.
contuition. commémoration.
association.
agrégation. fantômes.
ne sont tous possibles que quand il s'agit des impressions faites sur un organe étendu, dont les divers points sont impressionnés les uns de même les autres diversement, comme cela arrive à l’œil et la peau tandis que pour l'oreille, par exemple, il ne peut y avoir que 2 de ces 4 phénomènes, Intuition. Association.[57] Dans le système suivant celui de l'activité dans le sens ordinaire où ce mot signifie la faculté de mouvoir notre corps avec la conscience de notre action sur les muscles et la résistance extérieure, nous sommes je crois bien d'accord. Car vous me dites que vous admettez le sens du mot réminiscence, tel qu'il a été toujours dans mon tableau, la conscience du moi passé, trace de l'autopsie ou conscience de l'effort, du moi actuel, c'est cet élément, réminiscence qui joint à une autre trace quelconque (à cause que l'autopsie passée que retrace cette réminiscence a été unie au phénomène générateur de la trace quelconque) la constitue souvenir mot par lequel je désigne le groupe de la réminiscence et d'une autre trace. Vous me demandez s'il y a souvenir quand on a la conscience que l'autre trace est celle d'un phénomène antérieur, sans qu'on puisse dire où, ni à quelle époque. Sans doute il y a alors souvenir puisqu'il[58] y a union de cette autre trace, avec la trace(réminiscence) d'une autopsie antérieure. Dire le lieu et le temps n'est qu'une circonstance accessoire qui est une coordination de ce souvenir avec les autres souvenirs disposés dans le groupe général de l'espace et celui du temps .

La réminiscence ainsi conçue est évidemment la trace de l'autopsie, vous mettez pour cette trace ceci : identité du moi, c'est précisément ce que j' appelle réminiscence si vous n'entendez par là que la conscience du moi passé, mais identité du moi ne peut être admis parce qu'il semble plutôt désigner un des jugements réfléchis du quatrième système, qui a lieu quand par un retour de réflexion sur soi-même, le métaphysicien compare le moi actuel, autopsie, avec la trace d'un moi antérieur, réminiscence, et en reconnaît rationnellement l'identité. Comme j'admets et vous aussi sans doute qu'on doit comprendre dans chaque[59] système toutes les coordinations avec les phénomènes des systèmes précédents , auxquelles donne naissance le phénomène primitif du nouveau système, phénomène qui caractérise ce nouveau système, vous admettrez nécessairement dans celui de l'autopsie, toutes les nouvelles coordinations auxquelles l'autopsie donne naissance, or il y en a de trois sorte, que je définirais ainsi :

définitions. nomenclature.
Élément fourni à l'intelligence par la conscience de l'effort autopsie
Coordinations dues à cet élément immédiatement attribution personnelle*
par simultanéité attribution extérieure.
par analogie ou crédulité enfantine induction
L'induction qui laisse pour trace la croyance est puissamment influencée, comme vous l'avez si bien observé, par les émotions, mais je vois évidemment que celles-ci n'en sont pas l'unique source. Cette influence est un fait bien remarquable mais accessoire, et qui ne caractérise pas essentiellement la croyance. [illisible] \N'est-ce pas toujours comme dit M. Degérando un jugement mécanique. Voici/ alors tout ce système :
autopsie. réminiscence.
attribution personnelle. souvenir.
attribution extérieure.
induction. croyance.

[60] Je serai bien trompé sir ces mots qui sont presqu'entièrement les vôtres, ne vous satisfont pas. Observez que si, comme je le préférerais ainsi que je vous l'ai déjà écrit on substituait : jugement primitif, ou jugement personnel, ou jugement autoptique, à cette expression : attribution personnelle, que je n'aime pas à cause qu'attribution a quelque chose d'irraisonné, de mécanique, d'instinctif, on laisserait le mot attribution, sans épithète, à la véritable attribution, l'attribution extérieure.

Voici maintenant la grande discussion. Comment pouvez-vous dire que c'est la symétrie qui m'a fait mettre les émotions dans ce système ? Comment pouvez-vous penser à réunir dans un même genre les émotions et les sentiments que je vous montrerai tout à l'heure être plus différents entre eux qu'ils ne diffèrent des affections. IL est évident pour moi que je me suis si mal expliqué que vous n'avez compris dans mes lettres précédentes, ni ce qu'était ce phénomène absolument sui generis que je nommais émotion, ni que je mettais au dessous des [illisible] [61] phénomènes relatifs à l'entendement dans chaque système, et sous un seul nom tel qu'affection, émotion, sentiment, tout plaisir ou peine accompagnant ces phénomènes, ainsi par affection j'entendais tout ce qui nous plaît ou nous fait peine dans les intuitions, les contuitions et même les agrégations, et par émotions ce qui nous fait souffrir ou jouir en vertu des attributions, souvenirs, inductions, croyances, l'espérance, la crainte, le regret, la terreur, etc. ce qui appartient nécessairement au même système que ces attributions, souvenirs, inductions, croyances, c'est à dire au second système.

Il y a impossibilité absolue de renvoyer les émotions jusqu'au troisième système puisqu'il y a évidemment crainte et espérance avant que l'intelligence s'élève aux perceptions de rapports\et indépendamment de ces perceptions/. Il y a une égale impossibilité de les mettre dans le premier système[62] où il n'y a ni durée ni existences extérieures deux choses sans lesquelles l'espérance et la crainte impliquent contradiction.

Voici maintenant pourquoi je dis que les sentiments et les émotions diffèrent plus entre eux que les sentiments des affections. Les sentiments sont pour les perceptions de rapports intellectuels et moraux, ce que les affections sont pour le intuitions. Les perceptions de rapports comme les intuitions sont accompagnées par elles-mêmes de plaisir et de peine. Le plaisir qui accompagne l'idée d'une belle action, qui nous pénètre à la lecture d'un poème, à la vue d'un paysage délicieux est en lui-même indépendant de la réalité des objets auxquels se rapportent ces pensées, comme les plaisirs du goût\ou de l'odorat/ ont lieu sans retour de l'esprit sur la réalité du corps sapide ou odorant. Au contraire les attributions et les inductions ne produisent pas d'émotions par elles-mêmes mais par leur accord ou leur opposition avec une tendance, ou désir, trace d'une affection antérieure, avec la même tendance [63] à ce qu'une chose arrive, si nous croyons

qu'elle arrivera c'est espérance. Voilà ce que je nomme des émotions
qu'elle n'arrivera pas chagrin.
qu'elle est arrivée et n'arrivera plus regret.
avec la même tendance à ce qu'une chose n'arrive pas si nous croyons
qu'elle arrivera c'est crainte.. Voilà encore des émotions.
qu'elle n'arrivera pas dans le moment où on l'apprend. joie.
qu'elle est arrivée et n'arrivera plus satisfaction de sécurité.
en un mot les sentiments comme les affections sont des phénomènes pimitifs, les émotions sont des espèces de résultantes dues à cette loi de notre existence que l'accord ou l'opposition de ce que nous désirons et croyons devoir arriver, nous affectent, savoir : l'accord agréablement, l'opposition désagréablement. Vous voyez maintenant pourquoi je vous avais écrit que les émotions étaient encore plus souvent des effets que des causes de croyances. Venons en au troisième système, celui où nous nous accordons parfaitement depuis que vous avez[64] que vous avez bien senti que la comparaison et la combinaison différaient autant dans ce système que l'intuition et l'agrégation dans l'autre en effet, la comparaison est l'acte par lequel on aperçoit un rapport de ressemblance, élément simple, dont la trace est l'idée, de même que l'intuition laisse l'image. La combinaison au contraire est une coordination faite à volonté avec des idées déjà acquises. C'est ce que fait le poète, le romancier, etc. Vous me proposez d'appeler la combinaison, association active, mais comme on nomme association ce qui se fait passivement dans le premier, cette union de mots association active me choque comme rapprochant des phénomènes passifs de phénomènes actifs, voilà bien une analogie qui n'est que dans le résultat, et non dans la source ou cause du phénomène, comme vous me gronderiez si je m'avisais de[65] faire de tels rapprochements  ! Laissons donc association au sens passif du concours fortuit que lui ont donné tous les métaphysiciens modernes, et gardons pour le 3me système le mot combinaison usité par tout le monde dans le sens que je lui donne, et toujours avec l'idée d'activité qu'il porte éminemment avec soi. Tout le monde dit dans mon sens qu'un homme fait de singulières combinaisons, de brillantes ou d'extravagantes combinaisons, qu'à force de combinaisons un savant a résolu une question difficile, ou créé un nouveau système de physique ou d'astronomie, etc. Comment irai-je chercher une périphrase pour un phénomène qui a un nom propre en français, dans le sens même où je veux l'employer et qui ne peut jamais en avoir d'autres On est trop heureux de trouver un pareil mot.

Il en est de même de conception, \vous /vous imaginez qu'il a un sens trop[66] général, et qu'il veut dire une pensée quelconque. Peut-être que quelque métaphysicien s'est en effet avisé de le généraliser ainsi, mais tous ceux qui parlent notre langue conformément à l'usage n' appellent conception que ce qu'on a imaginé, soit de soi-même, soit d'après le récit des autres. On dit précisément je conçois cela, de ce qu'on n' pas vu, par opposition à je me souviens de cela, quand on l'a vu. Conception désigne donc dans notre langue ce qui reste après une combinaison, c'est à dire sa trace, et ne peut signifier que cela.

Ce qu'il y a de singulier c'est que vous me proposez au lieu de conception la périphrase idée complexe qui est précisément le mot dont on se sert ordinairement dans le sens général pour réunir les souvenirs, les conceptions, etc. d'ailleurs ce mot a l'inconvénient capital de se servir du même mot : idée, pour chaque[67] élément, et pour un groupe résultant de la coordination de plusieurs de ces éléments . Ce serait aussi mauvais qu'image complexe.

Au reste la combinaison et sa trace la conception ne viennt qu'au dernier rang des modes de coordination du 3me système, il y en a deux qui le précèdent nécessairement. Le rapport aperçu par la comparaison (phénomène primitif du 3me système) s'unit aux temps comparés s'unit immédiatement aux choses qu'on a comparées, ce premier mode d'union est le jugement comparatif. Après qu'on a comparé un objet il y a un élément de plus dans le groupe d'images et d'idées qui le représente, cette idée est celle du rapport aperçu . Ainsi ce corps jaune, poli, pesant, etc. est semblable au cuivre, à l'argent, etc. plus qu'au bois ou à la pierre, après qu'on l'a comparé à ces autres corps. Ce qui grossit ainsi le groupe de l'or, d'un nouvel élément de ressemblance, est un jugement comparatif.

[68]Aimeriez-vous mieux dire attribution comparative ?

À mesure que par des jugements comparatifs les groupes se grossissent, ces groupes ou leurs objets se coordonnent entre eux par classes, c'est le second mode de coordination du 3me système, la classification. Pour donner un nom aux traces des jugements comparatifs et des classifications, je me suis souvenu que j'avais donné il y a 5 ans à l'Athénée une [illisible] division de toutes nos connaissances en 3 classes. Les sciences synoptiques (1), où l'on se borne à classer et à décrire, les sciences de pur raisonnement ou abstraites (2), et les sciences explicatives (3) où l'on remonte aux causes. Les connaissances explicatives et abstraites appartiennent évidemment au 4me système, mais les connaissances[69] synoptiques sont évidemment les traces des jugements comparatifs et des classifications, voici donc ce que je vous propose pour le 3me système

Comparaison idée
jugement comparatif connaissances synoptiques
classification
combinaison conception
Observez que comme le système autoptique contient tous les phénomènes qui résultent de son application au système sensitif, de même le 3me système contient tout ce qui résulte de son application aux deux précédents, suivant que l'on compare les propriétés des corps\et de nos propres modifications/, ou de la manière dont il nous affectent agréablement ou péniblement. Ainsi il y a des classes de corps rouges, des classes de métaux, d'animaux, des classes de modifications agréables, etc. etc. Voilà les phénomènes relatifs à l'entendement de ce 3me système, il y en a aussi de relatif à ce qu'on appelait si mal à propos dans le langage scolastique suivi par Condillac et M. Degérando, volonté, c'est-à-dire aux[70] déterminations. Ici j'ai tout changé mon tableau, [illisible] d'après ce que vous m'avez dit sur l'attention.

J'admets à présent pour la partie relative aux déterminations, dans le 3me système ces 4 phénomènes : sentiment du beau. attention. préférence. volition. et dans le 4me système ces 4 phénomènes : sentiment de la vérité et de la vertu. réflexion ou action intellectuelle. prédétermination. action prédéterminée. Je n'ai pas encore arrêté des noms pour leurs traces, et je changerai peut-être encore cette partie relative aux déterminations, je voudrais que vous vous en occupassiez un peu, et que vous m'écrivissiez les résultats de vos réflexions sur ce sujet.

Mais plus encore sur la croyance. Je voudrais pouvoir vous exposer tous les motifs que j'ai de ne pas séparer celle qui est influencée par les émotions de celle qui l'est par d'autres[71] circonstances accessoires. Comme l'exemple, l'inquiétude du doute, etc. ne vous rappelez vous pas cette théorie sur la croyance que vous approuviez fort dans le temps et qui est un des résultats remarquables de mes recherches, une chose que personne que je sache n'avait reconnue avant moi. Notre existence est telle qu'une de ses lois est de commencer à croire tout ce que l'on se représente uniquement par ce qu'on le conçoit, \ou /parce que l'image en est déjà présente. Ainsi quand l'enfant qui a déjà mangé de la bouillie ne voit point le vase qui la contient sans croire qu'il y en a dedans, \et /est attendue du plaisir, ce n'est pas qu'il compare ce vase à l'image du même vase vu précédemment, c'est seulement que la sensation visuelle\du vase/ rappelle en vertu de l'association simple du 1r système l'image de la bouillie et de sa saveur, et qu'il croit la bouillie et la saveur parce qu'il les pense, de même s'il croit tout ce que sa nourrice lui dit c'est que les mots excitent en lui les images correspondantes, et il croit parce qu'il imagine, etc. L'expérience apprend seule à imaginer sans[72] croire, après qu'on a été plusieurs fois trompé. Vous avez très bien observé qu'une espérance ou une crainte qui nous affectent très vivement, rendent la croyance plus vive. Oui, c'est un fait bien bon à noter. Mais il est évident °. qu'il fallait qu'il y eut déjà croyance commencée sans quoi il n'y aurait pu avoir ni espérance ni crainte, or cette croyance commencée ne s'explique que par la loi dont je viens de vous parler. °. Si l'émotion rend la croyance plus vive c'est qu'elle empêche l déploiement de la raison qui consiste à opposer les vérités du 4me système aux inductions et croyances du 2d comme la liberté morale dont le déploiement est aussi empêché jusqu'à un certain point par les vives émotions consiste à opposer les prédéterminations du 4me système, aux émotions et aux incitations du 2d. Ainsi une sentinelle au milieu des balles et des boulets éprouve une vive émotion qui l'incite à[73] fuir, il \elle/ y oppose une prédétermination forte, et le sentiment de son devoir, et reste à son poste. Comment avez-vous seulement pu penser à réunir dans un même genre ces émotions dues aux attributions, aux inductions, aux croyances du 2d système, que la raison et la liberté doivent combattre et réprimer, et les sentiments du 4me système qui sont leur plus bel attribut, et qu'elles opposent aux émotions ? J'ai toujours subdivisé les émotions (toujours instinctives), en ces deux espèces émotions personnelles, émotions sympathiques. Cette 2de sorte semble d'abord se rapprocher des sentiments , mais elle en diffère encore beaucoup, c'est le mal physique que nous éprouvons en voyant souffrir, il accompagne l'attribution de la douleur à un autre être. Mais qu'il y a loin encore de cette émotion qui tantôt porte à fuir le malheureux au lieu de le secourir pour ne pas souffrir avec lui, tantôt à sauver par un crime le coupable malheureux, etc. Sont-ce là des sentiments moraux.

[74]Tout se tient en psychologie, à la loi qui fait que nous croyons \d'abord/ tout ce que nous nous représentons, correspond la loi par laquelle nos membres exécutent d'abord d'eux -mêmes tout mouvement dont l'image \est /présente à l'entendement. C'est l'expérience et la raison qui nous apprennent à retenir nos mouvements comme nos croyances. Sans cette loi dont tout prouve l'existence, vous n'expliquerez jamais le premier déploiement de l'activité, je vous promets de vous le démontrer si vous trouvez cela douteux. C'est un des points capitaux dans votre ouvrage. Car pour s'attribuer une action, il faut que l'image du mouvement qui en résulte ait été présente à l'instant de cette action.

Il me reste une chose à vous dire, mon cher ami, vous aviez vu dans tous mes tableaux qu'il y avait dans chaque symptôme des phénomènes relatifs aux représentations, d'autres relatifs aux déterminations. Il n'y a pas un métaphysicien qui n'ait fait cette distinction depuis S[ain]t Augustin jusqu'à M. de Tracy, (voyez le[75] commencement du 9me ou du 11me chapitre de sa logique.) Cette division est secondaire mais réelle, et fondée sur a nature même de notre être qui veut que presque tout ce qui se passe en nous, même des combinaisons abstraites, nous fasse jouir et souffrir. J'ai beaucoup travaillé sur la distinction des phénomènes relatifs aux déterminations dans les systèmes actifs, c'est la plus belle application de la sentiments , et peut-être la plus difficile, vous les avez tous englobés sans examen sous le nom de sentiments. Il me semble évident que vous n'avez médité psychologiquement que sur les phénomènes relatifs aux déterminations du système sensitif, par là ces dernières ont pris à vos yeux une importance qui vous a déterminé à couper en deux le système sensitif, sans penser qu'alors il faudrait aussi couper en deux tous les autres, ou en négliger la partie morale. Je le répète, la distinction entre une partie relative[76] aux représentations, à ce qu'on a nommé l'entendement, et une partie affective ou morale relative aux déterminations n'est pas primitive, mais elle est si frappante, si marquée pour tous les hommes savants et ignorants , qu'il serait impossible de la rejeter entièrement, personne qui n'en fut choqué. Je ne la considère qu'en subdivision, comme celle des traces qu'on avait aussi voulu distinguer primitivement (très mal à propos suivant moi) en n'en faisant qu'une seule faculté sous le nom de mémoire. Je m'attache au contraire à prouver qu'il y a dans chaque système des phénomènes représentatifs et des phénomènes affectifs ou déterminatifs, comme vous voudrez les appeler, de même qu'il y a dans chaque système des phénomènes générateurs et des phénomènes conservateurs ou traces.

L'étude de la partie affective ou morale de chaque système est presqu'entièrement neuve. Comme tous les autres psychologues vous vous en êtes beaucoup moins occupé que de l'entendement. De là vient la difficulté que vous avez eu à en saisir[77] une distinction bien fondamentale, celle des phénomènes que je nomme émotions, dépendant des attributions, inductions et croyances, et tous les autres, soit affections soit sentiments, en effet ceux-ci ne supposent rien d'antérieur, une sensation agréable plaît la première fois qu'on l'éprouve, une découverte abstraite, une action sublime inspirent la même admiration la première fois qu'elles s'offrent à l'imagination. Elles laissent également un attrait à ce que la chose arrive, se réalise. Cette détermination à vouloir qu'une chose arrive ne nous rend pas par elle même heureux ou malheureux, elle n'est pas la cause, mais la condition, pour que nous le devenions par elle, mais à l'instant où l'on croit par attribution ou induction que la chose arrivera ou n'arrivera pas, alors naît l'émotion produit ou accompagnement immédiat de la croyance, et faisant partie du même système.

Ce qui prouve bien combien l'émotion est d'une nature différente des sentimentd c'est que ceux-ci établissent primitivement des déterminations à vouloir qu'une chose[78] arrive ou n'arrive pas. Ces déterminations une fois établies, les émotions auxquelles elles donnent lieu sont également produites par les attributions ou inductions que la chose arrivera ou n'arrivera pas. Ainsi j'éprouve la même peine, causée par une induction semblable quand je lis dans une gazette une défaite du parti de l'indépendance en Amérique, ou dans une lettre la banqueroute d'un homme à qui j'ai confiée une partie de ma fortune. Les deux déterminations préexistantes sont de nature bien différentes, l'une est personnelle, l'autre désintéressée , elles ne me rendent ni heureux, ni malheureux quand je n'apprends rien qui les seconde ou les contrarie, mais l'induction qui, en lisant la gazette ou la lettre les contrarie également, cause immédiatement en moi le même chagrin (émotion). Je reviens toujours là-dessus parce que je suis convaincu que c'est faute d'avoir compris ce que j' appelle émotion que vous avez pensé à confondre ce phénomène avec les sentiments, et parce que tout ce que j'ai fait sur la partie [79] morale de la psychologiz, la défense de la liberté morale, etc. tout repose sur cette distinction, comme toute la théorie de nos connaissances repose sur la distinction des rapports comparatifs du 3me système, et des rapports du 4me système. C'est encore là une distinction que vous avez entrevue mais non pas précisée. Je vous en parlerai jusqu'à ce que vous me disiez que je vous ennuie ou que vous la verrez comme moi. Il y a des relations ou rapports entre nos modifications qui changent si on change ces modifications, mais restent les mêmes quel qu'en soit le mode de coordination, tels sont les rapports de ressemblance, [illisible] et de dissemblance, ils donnent naissance au 3me système que nous appliquons au dehors en comparant nos sensations attribuées à des causes extérieures, ou en dedans en comparant ce que nous nous attribuons, le plaisir, la douleur, nos émotions, nos projets, nos intentions. Ces rapports dépendent de notre mode de sensibilité car s'il était différent les impressions ou[80] affections qui se ressemblent à présent, nous pourraient paraître très différentes et réciproquement. Au contraire il y a des rapports ou relations qui restent les mêmes en changeant les [illisible] \choses/ entre lesquelles ils existent, et qui changent lorsque restant les mêmes elles se coordonnent différemment. Les relations de nombre, de position, de causalité, etc. sont dans ce cas, puisque quelque changement qu'on fasse dans les choses ces relations restent identiquement, individuellement les mêmes. Au contraire si les mêmes choses sont coordonnées autrement, les relations pourront changer, ce seront par exemple, toujours la répétition d'un même son, mais il y en aura plus ou moins, ce seront les mêmes points colorés mais au lieu d'être en ligne droite, ils seront en ligne courbe, ce sera le même son que j'entendrai mais prononcé par moi j' j'apercevrais une causalité, qui n'est plus dans le cas où un autre le prononce, etc.

Ces relations donnent naissance au 4me système. Elles ne dépendent[81] en rien de notre mode de sensibilité, puisqu'elles resteraient les mêmes quand nous verrions le rouge, bleu, ou que nous serions affectés tout autrement par un son ou une odeur, etc. Mais elles dépendent uniquement de nos facultés coordinatrices, qui sont l'essence de notre intelligence. J'oppose ici le mode de sensibilité qui fournit des éléments susceptibles de varier à l'infini, et l'essence de notre intelligence qui consiste dans un petit nombre de coordinations , toujours identiques à elles-mêmes et individuelles. Parmi ces coordinations il y en a trois principales dans lesquelles se trouvent rangés tous les êtres dont nous pouvons avoir l'idée, chacune d'elles a sa première origine dans un des trois premiers systèmes. Elles deviennent les trois principaux objets des perceptions de relations du 4me système, et il en résulte les trois grandes classes de connaissances abstraites ou pures. C'est ainsi que ce 4me système se combine avec chacun des trois précédents. La première de ces trois grandes coordinations [82] est celle de l'espace, dont la p[remiè]re origine est dans les contuitions du p[remie]r système. Le 4me système y découvre toutes les relations de nombre et de position dont se composent les connaissances mathématiques. La 2de est celle de la causalité et de la succession due primitivement au 2d système, et dont le 4me tire les connaissances métaphysiques, enfin la 3me grande coordination où tout se trouve compris est celle de la classification qui est exprimée par le langage, celui-ci ne consistant que dans les signes appellatifs des classes, genres, espèces de cette classification, de là les relations d'identité et de compréhension entre les idées exprimées par nos signes, d'où résultent les connaissances logiques, telles que les lois du langage, l'examen des définition , les règles des syllogismes, et toute la logique proprement dite.

J'ai reçu il y a peu de jours votre dernière lettre, j'y vois que vous commencez à[83] comprendre mon tableau et à voir qu'il diffère de tout autre par les faits généraux, ou lois de notre entendement qui déterminent d'avance le nombre et la place de chaque phénomène.

°. On doit distinguer autant de systèmes qu'il y a d' éléments de nature différente fournis à l'entendement, nous sommes d'accord depuis longtemps qu'il n'y en a que quatre portes, ceux de la sensibilité, de l'autopsie, de la faculté d' apercevoir les rapports de ressemblance ou dissemblance, et ceux de la faculté d' apercevoir les relations résultant des coordinations, et indépendantes de la nature des choses coordonnées. Il suffit de jeter les yeux sur ce que vous avez écrit dans un 5me système, placé dans votre tableau le 1r de tous, pour voir qu'il n'y a rien qui fournissent immédiatement des éléments à l'entendement, que c'est tout confondre que de mettre des affections en regard avec des phénomènes représentatifs tels que ceux des quatre autres systèmes, les seuls que j'admette, et qu'enfin ce prétendu premier système n'est que la partie affective de votre 2d système. Ils n'en font donc qu'un seul, et je vous ai déjà dit à quoi j'attribuais l'erreur de cette fausse distinction. °. Après qu'un phénomène a eu lieu, il s'en reproduit un analogue après la[84] cessation des circonstances qui l'avaient occasionné, ces traces en sont une représentation plus ou moins complète, mais toujours semblable dans tous les phénomènes relatifs à ce qu'on appelait l'entendement. Voilà pourquoi je vous ai écrit qu'il était contraire à tout le reste de faire de la croyance autre chose que la trace de l'induction par laquelle on commence à croire et en vertu des circonstances quelconques qui portent à croire. Ces traces ne forment point une seule faculté qu'on a voulu nommer mémoire. Elles doivent être distribuées dans chaque système, chacune à coté du phénomène qu'elle retrace. °. \Outre /les phénomènes représentatifs, on observe dans l'homme des phénomènes qui le rendent heureux ou malheureux, et le portent à se mouvoir, ou prédéterminent ses actions ; il est également faux de les réunir sous une seule faculté qu'on a voulu nommer volonté, par opposition à l'entendement. Ils doivent être distribués dans chaque système suivant la nature des phénomènes représentatifs qu'ils accompagnent. °. Parmi les divers modes de coordinations on doit dans chaque système en distinguer[85] un qui a lieu en même temps que la naissance du phénomène qui se coordonne ainsi, et par les causes mêmes auxquelles il est du. Tels sont, dans le 1r système la contuition, dans le 2d l'attribution personnelle, ou jugement autoptique, et dans les deux derniers systèmes les jugements par lesquels le rapport ou la relation apperçues s'unissent à la chose à laquelle ils appartiennent. Ainsi en pensant à deux lignes joignant les deux mêmes extrémités, j'ai [illisible] °. la perception de la relation : être plus grande, c'est le phénomène qui laisse cette notion : être plus grande. °. cette relation s'unit à la ligne courbe et non à la droite, c'est le jugement : la ligne courbe est plus grande que la droite. °. Un 2d mode de coordination est produit dans les 2 premier systèmes par le concours\ordinairement/ répété des mêmes impressions, pour le 1r c'est l'association, pour le 2d l'attribution. Ce même mode de coordination a lieu dans les 2 derniers systèmes par la répétition des jugements, plusieurs jugements comparatifs * successifs produisent la classification, plusieurs jugements du 4me système que j'appelais dans un[86] tableau que je vous ai envoyé : déductions immédiates, mot que je rejette décidément, je vous dirai pourquoi, produisent ce que j'appelais alors déduction progressive, et que je nomme simplement à présent comme tout le monde raisonnement \, c'est précisément le sens où ce dernier mot est pris dans toutes les logiques/. °. Enfin il y a dans chaque système un 3me mode de coordination , qui répond en général à ce qu'on appelle communément imagination, on trouve ainsi dans le p[remie]r système l'agrégation, dans le 2d l'induction, dans le 3me la combinaison, dans le 4me le phénomène analogue à l'induction par lequel nous remontons plus ou moins probablement aux causes de tout ce dont nous reconnaissons l'existence, et nous partons de ces causes pour prévoir d'autres effets. J'appelais cela assentiment dans mon précédent tableau. Ce mot n'a pas le sens commun dans ce sens, il n'en désigne tout au plus que le dernier acte. Je l'ai donc aussi décidément rejeté . Me trouvant alors le mont : déduction point encore employé je l'ai assigné à ce seul et dernier phénomène, on dit très bien qu'on déduit l'attraction des mouvements célestes,[illeg]

[87]l'existence de Dieu de l'ordre de la nature, etc. d'ailleurs cette expression a l'avantage de marquer par l'analogie des deux mots induction et déduction, celle qui existe entre les deux derniers phénomènes relatifs aux représentations du 2d et du 4me systèmes, l'une et l'autre ne nous donnant que des croyances ou des opinions plus ou moins probables, avec cette seule différence que l'induction nous fait croire d'une manière où il n'y a rien de raisonnée, et qui est en quelque sorte instinctive, au lieu que dans le 4me système on remonte par la raison des faits à leurs causes. Il résulte de tout cela que la distinction des rapports du 3me système, et des relations du 4me est tranchée par les caractères les plus précis et les plus importants . °. Les rapports de ressemblance entre nos sensations, nos affections, etc, etc. dépendent de notre mode de sensibilité et si nous étions organisés différemment peut-être trouverions nous semblables des modifications qui n'ont actuellement [illisible] pour nous aucune ressemblance, et vice-versa. Du moins toutes ces ressemblances seraient changées. Au contraire, les relations du 4me système ne dépendent en[88] aucune manière de la nature des choses coordonnées, mais seulement des divers modes de coordinations dans l'espace à trois dimensions où le temps que nous ne connaissons qu'après et par l'autopsie, et qui reposent sur la causalité ou la compréhension des genres dans les ordres, des ordres dans les classes, etc. qui quoique fondées quant à leur cause occasionnelle sur les rapports de ressemblance du 3me système, sont sous le point de vue de leur cause réelle une création de notre activité. Ces relations sont un résultat de nos facultés coordinatrices qui sont l'essence même de notre entendement et dérivent réellement de la coordination par causalité qui est en quelque sorte nous-même. °. Les rapports de ressemblance dépendant de la nature des modifications comparées, et ces modifications dont les causes seules sont hors de notre substance sentante et pensante, il serait aussi absurde de dire que ces ressemblance sont réellement dans les noumènes qu'il le serait de croire que ces modifications y sont[89] elles-mêmes. Il n'y a \dans les noumènes /que a cause des modifications que nous sentons, il n'y a aussi que la cause de la ressemblance de deux modifications dans les noumènes. Cette cause sera bien si vous voulez, dans une analogie de la nature de ces noumènes, mais nous n'en pouvons rien savoir, et quand cela serait, il n'en serait pas moins absurde que les deux noumènes ont entre eux la même sorte de ressemblance que les modifications qu'ils nous font éprouver, car deux causes de couleurs, par ex[emple] ne peuvent pas plus se ressembler de la manière dont le pourpre ressemble au rose manière que rend l'idée générale des rouges, que la cause du rose ne peut être rose ; au contraire les relations étant indépendantes de la nature des choses coordonnées, il n'y [a ]plus d'absurdité à supposer que des noumènes ou des causes sont, par exemple, au nombre de trois, qu'ils sont disposés en triangle équilatéral dans l'espace des physiciens et des astronomes qui[90] n'a rien de commun comme nous l'avons déjà dit, avec l'espace visible ou tactile des contuitions. C'est une hypothèse possible qu'il s'agit de rendre probable par des déductions. Voilà comme il est possible d'affirmer probablement des relations entre les noumènes tandis qu'il serait également absurde d'en affirmer des rapports aussi bien que des modifications sensitives. Il y a dans Venus et Jupiter, une cause qui les rend brillantes, il y a une cause qui fait que [illisible] la lumière de l'une ressemble plus à la lumière de l'autre, qu'elles ne ressemblent à la lumière de Mars. Mais j'admets qu'on doit dire non pas : il y a une cause en elles du nombre deux mais il est très probable qu'elles sont réellement deux. [illisible] [91] cette probabilité surpasse de beaucoup celle qui constitue pour nous la certitude en ne nous laissant pas même la possibilité de douter. °. Les rapports et les relations s'unissent également à l'instant où on les perçoit avec les choses entre lesquelles ils existent, cette union constitue quand il s'agit d'un rapport un jugement comparatif quand il s'agit d'une relation, un jugement du 4me système. Ces jugements sont tellement différents que les premiers sont des vérités contingentes, les autres des vérités nécessaires, pour me servir des expressions ordinaires bien mal choisies suivant moi. °. Comme il faut pour découvrir un nouveau rapport de ressemblance amener un nouvel objet de comparaison du dehors, une suite [illisible] de rapport de ressemblance ne fait point un raisonnement ou tout dérive du point de départ \et qui s’accroît de son propre fond/ sans que rien vienne s'y joindre du dehors, c'est au contraire une classification qui ne peut croître que[92] par de nouvelles choses qui viennent du dehors en faire partie.

C'est quand on suit ainsi les caractères qui distinguent nos deux derniers systèmes, qu'on voit bien à quel point ces deux sortes, de relations diffèrent, celles qui dépendent de la nature des choses comparées, et celles qui ne dépendent que du mode de coordination établi entre elles. Cette différence devient toujours plus sensible à mesure qu'on avance dans chaque système, et leurs deux derniers phénomènes, les combinaisons de l'imagination, et les déductions explicatives, quoi qu'ils présentent encore quelque analogie, sont tellement distincts qu'il y aurait de la folie à les réunir. J'ignore si j'aurai pu vous faire sentir ces distinctions comme je les sens moi-même. Vous savez qu'en écrivant on ne peut faire passer dans ce qu'on dit que la moindre partie de ce qu'on veut dire. Si vous pouviez fixer[93] vos regards sur cette circonstance que dans les rapports du 3me système tout vient du dehors de l'objet que l'on compare, et que dans le 4me système tout vient au contraire du dedans de l'objet que l'on étudie, [illisible] \par une sorte de développement, vous sentiriez/ que cette distinction est aussi importante pour la partie relevée de la psychologie et son application aux sciences, que la distinction des phénomènes sensitifs qui viennent du dehors, et des phénomènes autopsiques qui naissent en nous-mêmes par [illisible] \le développement de notre/ propre activité, l'est dans la partie élémentaire de la psychologie, dont nous sommes bien d'accord qu'elle est la véritable et je dirais même l'unique base.

Il est bien temps de terminer cet énorme paquet, résultat de plus d'un mois de réflexions, il me resterait tant de choses à vous dire qu'il n'y aurait pas de raison pour que cela finit jamais. Je joindrai seulement à ce qui précède une nouvelle copie de mon tableau, avec les mots que j'ai employés dans cette lettre, afin que[94] vous en revoyez tout l'ensemble d'un coup d’œil. Si vous lisiez seulement ce paquet avec le quart de l'attention que j'ai mis à lire ce que vous m'avez envoyé, et que je n'ai compris, du moins ce que je suis sûr d'avoir compris, qu'avec une très grande peine, je suis sur que nous serions plus d'accord que jamais. Cette extrême obscurité me paraît être la principale objection contre la partie de vos divisions qui s'écartent des miennes. Il est impossible d'en traiter autrement que de vive voix. Marquez-moi je vous en prie l'époque précise de votre départ pour Paris, vous savez bien que je serai obligé de partir au plus tard vers le milieu d'avril. Je vous aime et vous embrasse de toute mon âme.

[95] l'existence de Dieu de l'ordre de l'univers, etc. Vous voyez qu'ainsi j'ai été amené à changer tous les noms des phénomènes du 4me système, sans altérer en rien ni le moins du monde les idées que j'avais de ces phénomènes. Vous voyez aussi \que le mot déduction marque bien l'analogie du dernier phénomène du 4me système avec celui du 2me l'induction. Vous me/ demandez le principe général commun à tous nos jugements du 4me système, à tous nos raisonnements. C'est qu'un jugement de cette nature suppose une coordination établie d'avance, quelque soit le système auquel cette coordination est due. Il consiste à se rendre raison des relations implicitement mais nécessairement contenues dans cette coordination, d'implicites et inaperçues elles deviennent actuellement aperçues . Ainsi la 1re coordination d'un triangle rectangle ne contient que sept élément, trois coté, trois angles, et qu'un de ces angles soit droit. À mesure que nous découvrons de nouvelles relations entre ces éléments, c'est un triangle que la perpendiculaire partage en deux autres triangles semblables entre eux et au triangle total, chaque segment de [diag] l' hypoténuse est égal au carré du coté adjacent divisé par l' hypoténuse ,[96] le carré de l' hypoténuse est égal à la somme deux des deux autres cotés, etc. etc. Cette suite de jugements où chaque nouvelle relation est tirée du fond même de la coordination sans que rien vienne du dehors constitue le raisonnement qui n'est possible que dans le 4me système, au contraire dans un jugement comparatif du 3me système chaque nouveau rapport de ressemblance ou de dissemblance suppose qu'un nouvel objet vienne du dehors pour être comparé, dès lors une suite de ces jugements exigeant une suite de nouveaux objets, il ne saurait en résulter un raisonnement, mais il en résulte nécessairement une classification. Aussi la classification tient-elle dans le 3me systèmela même place que le raisonnement dans le 4me. Le 4me système s'applique vous ai-je dit aux trois précédents. Voyez son application à celui de l'autopsie. Dans ce second système s'est formé des coordinations par causalité, mais rien n'y est encore réfléchi et analysé, un paysan[97] n'a pas plus vos connaissances sur la nature du moi, de la volonté, etc. qu'un ignorant en mathématiques ne connaît toutes les propriétés que les géomètres ont reconnues dans le triangle rectangle. Il sait seulement que quand il veut mouvoir ses membres, ils se meuvent. C'est là une coordination de causalité, dont le métaphysicien tire une foule de conséquences, comme le géomètre en tire de la conception d'un triangle rectangle, comme le logicien en tire des rapports de compréhension de l'espèce dans le genre, d'après les [illisible] coordinations de classification qui constituent, avec les signes institués pour désigner chaque classe ou genre, tout le langage. Je m'attends que vous allez ne pas vouloir admettre cette corrélation des mathématiques, de la psychologie , et de la logique, vous serez d'abord étonné que je définisse la raison, la faculté qui élève le plus notre intelligence, par ce phénomène qui consiste à développer les relations implicitement contenues dans une coordination et les rendre ainsi explicites. Vous voudriez peut-être borner le 4me système[98] à son application au 2d mais que ferez-vous alors des connaissances en mathématiques, en logique, voudrez-vous mettre les 1res dans le système sensitif, cela serait trop absurde. Les secondes dans le système comparatif , je vois par votre tableau même que ce n'est pas votre avis. J'espère donc que vous serez entièrement de mon avis sur le 4me système, et que vous admettrez comme moi que son caractère essentiel est dans ce que la [illisible] \relation/ ne dépend que du mode de coordination, et sort de la chose même, tandis que dans le 3me système le rapport vient de la comparaison de cette chose avec une autre qui lui est étrangère. Reste à donner un nom au phénomène primitif de ce système. Je vous avais proposé celui de synthétopsie, synthéton () veut dire composition de deux ou plusieurs choses, synthétopsie la vue de la composition, du mode de coordination, vous ne voulez point de ce mot et je ne le défends pas. J'avais pensé à celui d'évolution parce que c'est comme un développement de[99] la coordination déjà établie, où tout sort de cette coordination même. Mais ce mot semble bizarrement appliqué dans ce sens. Il me semble qu'un seul y conviendrait parfaitement, mais il faut votre consentement. Si vous appeliez impression la partie représentative de la sensation, phénomène primitif du 1r système au lieu de l'appeler intuition, nous réserverions ce dernier mot qui veut dire littéralement regarder avec attention et en dedans d'une chose, pour le phénomène primitif du 4me système, et le jugement qui le suit dans ce système serait comme tant d'auteurs l'ont appelé, le jugement intuitif. J'avoue qu'accoutumé de tout temps à attribuer au mot intuition une idée d'attention, d'activité, qu'il a pour tout ceux qui ne l'ont pas dégradé, et qui vient de ce qu' intueri voulait dire regarder, et videre voir simplement, je ne puis me faire à ne donner à ce mot que le sens passif qu'il aurait dans le 1r système. Voici quel serait alors tout mon tableau.

[100]

Phénomènes relatifs
aux représentations. aux déterminations
générateurs conservateurs générateurs
systèmes sensitifs ... impression image affection
contuition commémoration réaction
association besoin
agrégation fantômes* appétition
actif primitif autopsie réminiscence émotion personnelle
jugement autoptique souvenir incitation
attribution émotion sympathique
induction croyance mouvement sympathique
comparatif comparaison idée sentiment du beau
jugement comparatif connaissance synoptique attention
classification préférence
combinaison conception volition
intuitif intuition notion sentiment moral
jugement intuitif connaissance apodictique réflexion
raisonnement prédétermination
déduction connaissance assertorique action prédéterminée

[101] Je n'ai pas mis les traces des phénomènes relatifs aux déterminations tant faute de place qu'à cause qu'elles exigent un examen ultérieur.

Je dois aussi vous prévenir qu'en nommant connaissance apodictique la trace d'un jugement ou d'un raisonnement, purement abstrait, et connaissance assertorique, celle d'une déduction où l'on remonte aux causes des faits qui nous sont connus par attribution et induction, je n'ai fait qu'adopter ces deux expressions, précisément dans le sens que leur donne les métaphysiciens allemands , qui s'en servent très habituellement.

Please cite as “L1197,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1197