From Ampère André-Marie to dit Couppier Viry Couppier Jean-Stanislas   29 décembre 1795

[1] Ce 29 xbre [décembre] [1795]

Je n'ai point encore reçu de lettre de vous, Monsieur, mais je me mets toujours à commencer ma réponse afin d'avoir plus longtemps le plaisir de m'entretenir avec vous. D'ailleurs j'ai vu en relisant vos lettres, qui font toujours mon plus cher amusement, plusieurs choses qui m'ont fourni un commencement pour ma lettre. Vous me dites 1 dans votre dernière lettre que vous ne savez comment les astronomes peuvent voir les fils de la lunette dans la nuit quand il ne peuvent pas en percer le tube de côté. Mais quand même ils le pourraient, ils ne se serviraient pas de ce moyen, parce que les fils éclairés d'un seul côté ne paraîtraient que de ce côté, et sembleraient ainsi déplacés de la moitié de leur épaisseur. La meilleure méthode est d'avoir un carton blanc AB (fig. 1) [diag] qui renvoie sur l'objectif C de la lunette CD la lumière d'une lampe L, qui doit être assez faible pour que la lumière ne cache pas les étoiles. Car vous comprenez que, par la propriété des verres convexes, les rayons lumineux réfléchis par le carton vont se réunir au foyer de la lunette où sont les fils, qu'ils éclairent d'autant mieux qu'ils sont réunis. C'est pourquoi on se garde bien de mettre une glace à la place du carton AB parce qu'elle donnerait beaucoup trop de clarté.

[2] Vous m'aviez aussi parlé d'une étoile que votre livre vous indiquait comme visible sur l'horizon. Cela est d'autant plus surprenant que cette constellation, d'après mon globe, est toute entière dans l'enceinte du cercle polaire austral. C'est ce qui me ferait croire que votre livre appelle peut-être de ce nom la constellation de la Grue, dont la tête, de 4ème ou 3ème grandeur, était à peu près à la position que vous m'indiquiez.

Je vous écrivis un jour que je ne sortais pas de peur du mal de dents, mais quand j'écrivais cela je ressemblais à Tibulle quand il se plaignait de Délie et faisait le projet de l'abandonner. J'écrivais cette lettre avec une rage de dents que j'avais prise en me promenant. Mais tous les projets que je faisais alors ont passé avec elle, et depuis je ne me suis [pas ]moins promené sans en être puni comme la première fois. Je vois bien que je vais exciter votre jalousie 2 mais quand je n'ai rien de mieux à vous écrire, il faut bien que je vous parle d'inutilités.

Un péril plus sérieux est celui que l'on court en observant la Lune. J'en voulais reconnaître toutes les taches, et j'avais déjà assez avancé ce travail quand je me suis aperçu que je voyais comme un brouillard le lendemain devant mes yeux. En effet M. de Lalande, dans quelques précautions qu'il recommande aux astronomes pour que les observations ne leur gâtent pas les yeux comme à Galilée et Cassini qui moururent aveugles, met au premier rang de ne jamais regarder le Soleil, et très peu de temps la Lune dans la lunette. Je compte suivre un peu mieux [3] ce conseil à l'avenir, car outre le chagrin de devenir aveugle, un pareil événement me priverait encore du plaisir de vous écrire et de lire vos lettres.

Comme je suppose que vous vous plaisez toujours à regarder les étoiles et à les déterminer, je vais vous détailler encore quelques constellations. En tirant une ligne de α de l'Aigle au bec β du Cygne, elle passe d'abord sur β puis sur α de la Flèche, ces deux étoiles se touchent et font le gros bout de la Flèche dont la pointe γ est plus loin dans la direction qui va à la tête α d'Andromède. En prolongeant par ce β du Cygne la ligne qui y vient de l'extrémité δ du Croison boréal, de quelques degrés, on a le museau du Renard qui mord le cou de l'Oie. Celle-ci n'a point d'étoiles visibles, mais en tirant une ligne de ce museau à Markab, α de Pégase, on passe sur toute la constellation du Renard qui a quelques étoiles de 4ème grandeur, et dont la queue est sur la ligne de α ♒ à la queue α du Cygne.

Les constellations nouvelles n'ont point de lettres grecques. [diag] Je vous ai tracé ici le cheval Pégase pour que vous connaissiez les lettres de ses étoiles que je vous avais indiquées sous d'autres noms, et que vous puissiez comprendre les alignements où je l'emploierai. Je l'ai bien mal dessiné et le Carré est beaucoup trop petit à proportion du reste, le Lézard se trouve par là trop éloigné. Son pied devait faire un triangle équilatéral avec le nœud de la Chaîne et η de Pégase.

[4] Cette figure , outre le développement de Pégase, vous donnera celui du Petit Cheval, et vous apprendra à connaître le Lézard quelque mal placé qu'il y soit. Je n'ai jamais vu que son pied à cause de la Voie lactée. Ce pied fait le triangle que je viens de dire et est en outre sur le prolongement de la main d'Andromède, par le nœud de sa Chaîne.

Céphée a deux étoiles très visibles qui se dirigent d'un côté au pôle, et de l'autre entre le Lézard et le Cygne. En tirant une ligne de β 3 de Céphée à β de Pégase, elle passe sur la tête de Céphée, au bord de la Voie lactée, et celle du Lézard sur l'autre bord. Cette tête est un tas de petites étoiles δ, ε, ζ etc. Pour le γ de Céphée, il est de 3ème grandeur, ainsi que α et β. Sur la ligne de β d'Andromède par la plus brillante γ de Cassiopée, prolongée d'une quantité égale à leur intervalle en allant de α de Céphée à Aldébaran, α ♉, on passe sur ces étoiles de Persée, η, γ, α, δ (celle-ci est un peu plus orientale que la ligne) et enfin sur le genou ε. En tirant une ligne de ce genou aux Pléiades elle passe sur le pied ζ. Pour le β c'est la tête de Méduse. Des cornes du Bélier à ce pied, on passe sur un petit tas d'étoiles qui est la Mouche.

La ligne de β d'Andromède à α ♈, passe sur α du Triangle, et de la même étoile à α du Taureau sur β et puis sur γ du Triangle. Dans le Cocher, il faut que les étoiles aient changé de grandeur car l'ordre des lettres m'y semble si bien renversé qu'à peine puis-je voir δ, ε, ζ, η, tandis que θ et ι me semblent très brillantes.

En prolongeant la ligne qui vient d'Andromède à la Chèvre, α du Cocher, on rencontre son β dix degrés plus loin. Son γ est la même étoile que β ♉. Le δ me [5] semble très petit, c'est la tête du Cocher sur la ligne de son β au pôle. De ce δ en prolongeant par la tête α de la Chèvre, on trouve sa queue ε. De cet ε à β ♉ on trouve les deux Chevreaux ζ et η, que je ne puis apercevoir. Du genou ε de Persée aux têtes des ♊, on trouve θ du Cocher, et de ce β aux Pléiades, son ι. Pour finir cette énumération qui vous a peut-être bien ennuyé, je vous parlerai de la Girafe, sa tête invisible est tout près du pôle, du côté du carré de la Grande Ourse, mais on voit sa queue sur la ligne de la Claire α de Persée au pôle, et son genou sur la ligne de la même étoile à δ de la Grande Ourse, assez près de la tête de celle-ci qui est sur un tas de petites étoiles sur le prolongement du côté δα de son carré.

Vous me demandiez 4 dans votre dernière lettre pourquoi je n'avais pas compté δ de la Grande Ourse et γ du ♌ dans les étoiles de 2ème grandeur. Quoique j'en eu comptées qui devaient être plus petites, j'ai suivi le catalogue de M. de Lalande, qui ne les marque en effet que de la 3ème. Je ne sais si elles ont changé de grandeur ou si c'est une faute d'impression. Je vous prie de m'écrire ce que vous en pensez, après les avoir comparées aux autres pour en déterminer la grandeur. Vous savez que δ est l'angle du carré de la Grande Ourse où sont attelés les Chevaux, et γ ♌ est sur la ligne de ce δ à Regulus α ♌, à 12° à peu près de celle-ci.

Comme je ne sais rien de digne de vous à vous écrire, je suis forcé pour en avoir le plaisir plus longtemps d'y mêler bien des inutilités, mais j'y suis encouragé par vous-même. Aussi ne m'en fais-je pas grand scrupule dans l'espérance que vous voudrez bien m'imiter, et descendre quelquefois du haut du ciel sur notre petite planète, pour me parler un [6] peu de ces petits détails qui me font tant de plaisir dès qu'ils viennent de vous, comme par ex. celui de cette S[ain]te Catherine, dont j'ai mille remerciements à vous faire 5. Mes plaisanteries ne sont pas à beaucoup près si agréables. Comme mon esprit est un peu bouché de ce côté-là, il s'attache aux moindres branchages, comme un homme qui se noie. C'est ainsi que je suis souvent obligé de m'amuser à parler de rien, et entre autres choses d'une petite chatte que ma sœur aime beaucoup. Enfin j'ai fini par en faire une constellation. J'ai trouvé sept petites étoiles sparsiles, qui sont marquées sur mon globe entre le Taureau et l'Eridan. J'en ai donc formé une petite constellation que j'ai appelée le Chat pour faire plaisir à ma sœur, qui depuis ce temps-là vient regarder les étoiles pendant que je les observe, en me demandant à voir son Chat. Au reste, il y a d'autres places qui sont encore vides dans le ciel, et que je vous engage à remplir aussi de quelques constellations. Vous auriez sûrement bien plus d'aptitude que moi à leur donner des origines agréables, et d'ailleurs puisqu'elles ne seraient d'usage qu'entre nous, elles me feraient toujours le plus grand plaisir pourvu qu'elles vinssent de vous, et elles me rappelleraient votre souvenir toutes les fois que je verrais les étoiles. Ce n'est pas que j'en aie grand besoin car vous voyez bien à la longueur démesurée de mes lettres que vous êtes, comme diraient les dévots, ma pensée habituelle. Si vous vouliez reconnaître cette soi-disant constellation, en voici la figure qui renferme aussi une partie d'Orion, [diag] et de l'Eridan avec la tête de la Baleine. [7] Quand j'ai eu fait cette figure en la copiant sur mon globe, je me suis aperçu que je l'avais renversée ; mais vous y suppléerez aisément en vous mettant par l'imagination derrière le papier. Je vous prierais aussi, si vous pouvez voir ces sept petites étoiles, de me marquer leur ordre de grandeur, afin que je mis les lettres dans un ordre convenable. Pour moi, je n'ai fait qu'entrevoir les 3 premières, sans trop les distinguer, mais ayant vu la plus belle au pied de devant j'y ai supposé une souris dont je lui ai donné le nom, comme α du Cocher s'appelle la Chèvre. Mon globe marque ces trois étoiles de la 4ème grandeur et les autres de la 5ème.

Vous profiterez en même temps, si vous voulez, de la figure de l'Eridan qui est au bas de la page, vous y verrez que β, γ, δ, ε, ζ sont très visibles . Pour l'α de l'Eridan c'est Achernar, étoile circumpolaire australe, et par conséquent invisible de la première grandeur. Voilà Monsieur, à peu près tout ce que j'aurais à vous marquer si je ne recevais point de lettre de vous. Mais j'en espère une pour ce soir, c'est aujourd'hui mercredi, ce qui me donnera la facilité d'étendre cette lettre que je verrais partir si courte avec un grand regret, dans la crainte que vous ne voulussiez imiter ma brièveté, c'est-à-dire ma brièveté de chose, car la lettre en elle-même n'est que trop prolixe, en sorte qu'elle a précisément tous les défauts, et qu'elle renferme beaucoup de mots [et ]bien peu de choses.

J'avais quitté cette lettre pour observer les étoiles, et particulièrement les constellations que je venais de [8] [diag] vous tracer, mais je les ai trouvées si différentes de ma première figure que je les ai rayées et que je les refais ici. Vous voyez que j'y ai joint toutes les étoiles environnantes [diag]. Il y en avait plusieurs que je n'avais jamais déterminées, comme α ♓, (le nœud), et celles du Fourneau qui sont assez visibles, et je crois de 4ème grandeur. N'oubliez pas, je vous prie, de fabriquer quelques nouvelles constellations. Il y a des étoiles sparsiles encore dans différents endroits, et vous en voyez entre autres 3 entre Rigel et le Fourneau, dont deux sont marquées par mon globe de 3ème grandeur. M. de Lalande, faute de nom, les appelle dans son catalogue la 53ème et la 54ème. J'oubliais aussi de vous répondre en poète après vous avoir répondu en astronome. Je devrais dire en ci-devant poète, car je ne fais plus de prose rimée, mais je dois du moins vous remercier des vers que vous m'avez envoyés 6, et même en faire la critique afin que vous n'épargniez pas les miens, quand la circonstance s'en présentera. Je n'en peux faire qu'une qui est plutôt celle d'un pédant que d'un juge digne de sentir les charmes du badinage et les libertés qu'il donne, c'est que café au lait fait un hiatus. [9] Je suis presque honteux pour trouver à blâmer d'être obligé d'examiner ce petit quatrain avec autant de sévérité qu'on en mettrait à un poème sérieux, mais enfin j'ai voulu trouver à redire, et avec cette intention on ne manque jamais de matière, témoin ce que j'ai vu dans je ne sais quel chansonnier : Un jour le dieu de la satire De Vénus cherchant à médire Forcé d'admirer tant d'appâts Ne put critiquer que ses bras. Vous voyez que, ne pouvant vous envoyer des vers de ma façon que vous avez la bonté de me demander, je cherche à vous en dédommager en vous citant ceux des autres, en sorte que ma muse ne sera dans cette lettre que comme la Lune qui ne nous éclaire qu'avec la lumière du Soleil.

Dans l'impatience où je suis, aujourd'hui jeudi, de ne pouvoir recevoir votre lettre que je me figure à Lyon, faute d'occasions avant ce soir ou demain, je relis sans cesse vos lettres et j'y vois que vous désiriez 7 savoir quand il y aura des passages de ♀ ou de ☿ sur le soleil. Pour les premiers nous ne pouvons guère avoir d'espérance d'en voir jamais puisqu'il n'y en aura pas jusqu'au 8 Xbre [décembre] 1874, mais il n'en est pas de même de ☿ car il y en aura un dans trois ans et demi, le 7 mai 1799, l'après-midi, et un autre autant de temps après, le 8 9bre [novembre] 1802 à 21h 7.35, il y en aura encore, toujours en novembre, en 1815, 1822, 1835, 1848, 1861, 1868, 1881, 1894, et au [10] mois de mai en 1832, 1845, 1878, et 1891. Je crois que le 7 mai 1799, nous serons bien empressés d'observer Mercure, du moins moi, et que si par hasard le temps [est mauvais ]nous serions bien dépités. A propos de Mercure je voudrais bien savoir si vous avez enfin pu le voir. Je crois que pour cela il faudrait calculer quelles sont ses apparitions qui se rencontrent auprès de son aphélie, car son extrémité est très considérable au point que la distance périhélie n'est pas les deux tiers de la distance aphélie, en sorte que ☿ dans ses plus grandes élongations n'est quelquefois qu'à 17°36' du ☉, et d'autres fois à 28°20'. C'est dans ce dernier cas qu'il est le plus aisé de voir Mercure, et voici comme on peut le déterminer.

La distance aphélie de Mercure se trouve en ajoutant la diff. Moyenne 38 710, à l'excentricité 7 960, ce qui donne 46 670. La distance moyenne de la ♁ étant toujours 100 000, soit M (fig. 2) [diag] Mercure aphélie, et cherchons où doit être la Terre pour qu'il soit à sa plus grande élongation ou que l'angle TMS soit droit [diag]. Il est clair que pour cela l'angle MST doit être égal au complément de MTS dont la tan = M S T S = 46 670 100 000, ce qui donne M T S = 27 ° 49 ' et M T S = 62 ° 11 '. D'où il suit que ces plus grandes élongations arrivent quand la Terre est à 62°11' de l'aphélie [11] de ☿, qui est en M (fig. 3) dans le signe du ♐, [diag] à 8s 14°27'26", pour le 29 mars prochain. D'où il suit que cette année les plus grandes élongations arrivent quand la Terre est aux environs de 6s 12°16' et de 10s 16°38'. Je dis aux environs car ce n'est pas quand la Terre y est, mais quand elle en est aussi près qu'il est possible, et que Mercure passe à son aphélie. La Terre a ces long[itudes] quand le ☉ a 12°16' et 4s 16°38' ; c.à.d. cette année le 2 avril astronomique et le 6 août astronomique, c.à.d. toujours le matin du lendemain. Ce sera donc dans les apparitions de Mars qui arriveront autour de ces jours-là qu'on le verra le mieux, au mois de mars le matin, parce que la Terre est alors en R dans le signe de la Balance, et voit le Soleil dans celui du ♈, et Mercure aphélie dans celui des poissons, c.à.d. moins avancé, tandis qu'en août la Terre est dans le ♒ et voit le ☉ dans le ♌ et ☿ aphélie dans la Balance.

J'ai calculé que le 29 mars à midi, ☿ aura 11s 10°48'26" de long. géocentrique (vue du centre de la Terre), et 1°40'28" de latitude géocentrique australe, tandis que le ☉ a 0s 8°30'5" et que l'élongation est de 27°41'39". Au reste cette distance n'est pas encore la plus grande élongation. Elle aura eu lieu le 28 un peu après midi, puisque le 28 l'angle RMS est encore de 91°3'32" tandis que le 29, il n'est plus que de 87°11'5". Vous sentez qu'il doit être de 90° à la plus grande élongation. [12] Dans le calcul du 29, j'ai vu que ce jour-là à midi Mercure n'était qu'à 59' avant son apogée, ainsi il paraîtra à peu près aussi loin du soleil qu'il est possible.

Vous me disiez, aussi je vous crois, dans votre dernière lettre, que l'échappement à palettes vous semblait parmi ceux qu'on trouve décrits dans l'Encyclopédie. Pour moi je croirais plutôt que c'est celui qui y est gravé sous cette forme, fig. 4 [diag], qui me semble aussi beaucoup moins sujet à s'arrêter par les petites inégalités des dents, ou le dérangement de la roue, ces petites inégalités ne pouvant changer les angles des palettes A, B, tandis qu'elles doivent changer de plusieurs degrés les palettes ordinaires, ce qui n'est pas un petit avantage pour un mauvais ouvrier, comme moi.

Mon Astronomie dit qu'on ne peut voir des passages sur le Soleil que de la Lune, ☿ et ♀ , parce que ce sont les seules planètes qui puissent passer plus près du Soleil que la Terre. En pensant à ces passages, il m'est venu dans l'esprit qu'on y pouvait aussi voir passer des comètes, car elles ont presque toutes une distance périhélie plus courte que la Terre. De pareils événements ne peuvent se prévoir faute de connaître leurs révolutions assez exactement (exceptée peut-être la 49ème du catalogue des comètes de M. de Lalande). Mais en observant une comète avant son passage au périhélie, on pourrait calculer son orbite, et s'en servir à déterminer la possibilité, et l'instant de son passage sur le Soleil.

[13] On n'a jamais observé un pareil événement, mais je veux examiner s'il n'est jamais arrivé à quelques unes des comètes dont M. de Lalande donne les éléments. Il paraît que personne n'a encore pensé à de pareilles observations qui doivent être très rares, mais qui seraient très curieuses, et donneraient d'ailleurs les éléments de la comète avec une exactitude jusqu'à présent inconnue. Au reste je suis maintenant, grâce à vous, noyé dans les calculs astronomiques et cette science est presque le seul but de toutes mes idées. Voyant par ex. qu'il n'y avait point d'éclipse à espérer en 1796, j'ai voulu essayer de [calculer ]celle de 1797. J'ai trouvé d'abord que la conj[onction] du 24 juin était écliptique, qu'elle arrivait en plein jour et que la lat. ☽ était boréale. Je me croyais sûr qu'elle serait visible, mais après avoir rempli cinq pages de chiffres, j'ai vu que cette latitude était un peu trop grande pour Lyon, et qu'on ne verrait le Soleil [illisible] que dans la zone glaciale.

Tout en vous écrivant ces balivernes, j'attendais toujours votre lettre. Trois fois l'on a été à Lyon de ce pays-ci, trois fois j'ai été attendre le retour des voyageurs, et toujours inutilement. Vous aviez un juste sujet de vous vanter et mettre votre exactitude au-dessus de la mienne. Maintenant que nous voilà quitte, nous n'en [mett]rons, si mes souhaits sont exaucés, que plus [d']empressements à entretenir notre correspondance. Vous rappelez-vous, Monsieur, de tout ce que vous m'aviez écrit de vos inquiétudes, quand mes lettres furent arrêtées une semaine ? Et bien ! C'est le vrai portrait des miennes, si elles ne sont encore plus vives. Maintenant que j'en [14] ai tâté, je ferai tous mes efforts pour ne vous rendre jamais [la pareille ]par ma faute. Je me flatte aussi que ce n'est pas par la vôtre, mais par des événements particuliers, que je suis privé d'un si grand plaisir. Car vous qui avez malheureusement souffert une pareille privation, s'il est vrai que vous daigniez mettre autant de prix à mes lettres que j'en mets aux vôtres, vous ne seriez pas capable de vouloir vous venger et vous diriez, comme Didon : non ignara mali miseris succurere disco *.

Ce ne serait pas sans raison que vous plaindriez mon sort, car mon inquiétude me fait sentir toujours de plus en plus combien je suis digne de cette punition après avoir manqué une fois à mes engagements. Au reste, j'espère encore qu'elle sera changée en joie par quelqu'une de vos lettres avant que vous receviez celle-ci. C'est dans cette espérance que je vous dis adieu en vous embrassant de tout mon cœur.

A. Ampère

au Citoyen le Citoyen Couppier père #, à Claveisolles par Beaujeu-en-Beaujolais.
A plusieurs reprises, Couppier fait allusion aux difficultés qu'il rencontre à se promener ; leur nature n'est pas identifiée.
C'est la plus proche du pôle des deux α, et β.
cf. la lettre de Couppier du 10 décembre 1795, p. 3

Please cite as “L1203,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L1203