To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   14 mai 1802

[989]Du Vendredi matin [14 mai 1802]

Depuis que je consacre tout mon temps à d'arides calculs, mes journées passent avec une telle rapidité, quoiqu'assez ennuyeusement, que je ne me trouve pas un moment de liberté. Je voulais t'écrire hier, ma bonne amie ; mais, comme j'étais dans un tas de calculs , je condamnai mon cœur au jeûne rigoureux qu'il éprouve quand je passe un jour sans lui accorder [illisible] \son pain quotidien/, c'est-àdire un peu de bout de journal. Pauvre journal ! Qu'il est sec et qu'il doit t'ennuyer ! Tous mes jours se ressemblent. Je t'aime, je bois et mange, dors et donne mes leçons. Le[990] lendemain, c'est à recommencer. Pour varier, j'ai fait connaissance, c'est-à-dire j'ai dîné avec le frère de M. Clerc, qui l'amena l'autre jour dîner chez Mme Beauregard. Figure-toi un paysan niais \au suprême degré/ de mine et de langage, sans l'être peut-être sur tous les points, je n'en sais rien ; il parle [illisible] par monosyllabes ; il cherche à parler français, mais le patois de S[ain]t-Claude se décèle dans tout son langage, surtout à l'accent. En comparant ces deux frères opposés en tout, j'admirais celui qui avait su devenir un homme estimable et plein d'utiles connaissances.[991] Je lui ai donné mon petit ouvrage à examiner pour qu'il me fasse ses observations. Je croyais que cela n'exigerait pas beaucoup de temps  ; mais il m'a dit tout à l'heure qu'il n'en avait encore lu que la moitié. Je crains qu'il ne me le rende pas assez tôt pour en faire une nouvelle copie avant mercredi. Au reste ; il serait peut-être à propos, avant que je la fisse, de savoir au juste si elle doit être imprimée ; car, sans cela, ce serait trois ou quatre jours perdus que je pourrais mieux employer. Je voudrais donc bien, ma bonne amie, que tu me dises [992] au juste si tu as pris quelques arrangements avec MM. Périsse à cet égard et le parti que tu crois à propos de prendre en supposant toujours que personne n'en ait eu l'idée avant moi : ce que nous saurons bientôt par M. Roux.

Du vendredi soir J'ai goûté aujourd'hui le seul plaisir qui me reste : j'ai reçu ta lettre (2). Je suis bien fâché de ce qui est arrivé à François ; mais je ne sais si M. Picard peut beaucoup auprès des autorités ; enfin les protections dont on attend le moins sont souvent les plus utiles. Quant à Françoise, j'approuve bien tout ce que[993] tu as fait à cet égard, pourvu que le petit ne donne pas trop d'embarras, n'ayant personne exprès pour en avoir soin. Si tu pouvais m'envoyer dans une lettre ce pauvre enfant qui appelle son papa pour jeter son paquet, j'en aurais bien soin ; il courrait dans le jardin, je ferais bien sauter la paume et ne lui laisserais point toucher d'acide. Tu me dis que tu n'avais point encore reçu de lettre mercredi ; il est sûr qu'il y a quelque chose là-dessous ; j'adresserai dorénavant mes lettres comme tu le dis, et j'aurai soin d'écrire à la fin de chacune le jour où je l'ai mise à[994] la poste. J'espère voir dans ta première lettre que tu as reçu toutes celles que je t'ai écrites cette semaine : une mise à la poste le dimanche, une autre le mardi et une envoyée le mercredi par Pochon. Tu me dis, ma charmante amie, que tu serais bien fâchée de quitter le pauvre petit ; aurais-tu formé le projet de le quitter en effet ? Veuxtu dire par là que tu te trouves assez bien pour penser, sans cette raison, à me venir voir ? Cette idée est la seule qui se soit présentée à mon esprit en lisant cet article de ta lettre ; elle ne s'accorde guère avec l'idée que j'ai du délabrement de ta santé.[995] Mais, en me montrant ainsi dans le lointain le plus grand bonheur que je pusse goûter, elle m'a fait éprouver un saisissement de plaisir, que la réflexion et l'état de ta santé ont bientôt fait disparaître. Tu ne m'en parles pas, tu ne me dis rien de M. Petetin. Cet homme est bien singulier. Quand voudra-t-il tenir la promesse qu'il m'a faite à mon dernier voyage de commencer incessamment le traitement qui doit te rétablir ? Pauvre petite, tu as si peu de plaisir qu'il faut que je bénisse le ciel quand tu ris une fois de bon cœur ; je remercie à la fois Destouches d'avoir fait la Fausse Agnès, et ta cousine[996] de t'avoir menée ce jour là à la comédie.

Du lundi matin [17 mai 1802] Après avoir travaillé hier tout le matin, je fus me promener avec MM. Clerc et Mermet à 6 h[eures] du soir. En rentrant \à 9 h[eures],/ je trouvai chez Perrin une lettre de ma charmante amie, une petite \balle/ remplie de bonnes choses que la main qui me les donne rend encore meilleures, et enfin un mandat de 7 louis et 8 s[ols], dont j'ai reçu ce matin le paiement et dont je t'enverrai une partie quand tu voudras. Je crois qu'il me suffira de garder 2 louis pour ma pension. Que je suis content d'avoir écrit ce petit mémoire puisqu'il t'a fait plaisir ! J'attends avec impatience la réponse[997] de M. Roux. Je t'écrirai plus au long sur tout cela par Pochon. Remercie bien mon cousin des journaux , il m'a rendu un grand service et j'y ai lu positivement qu'il y aurait au moins 32 lycées. Je te demande en grâce ma bonne amie, pour le petit, pour toi, pour ton mari, pour tous ceux qui t'aiment, tâche de vit[e] passer le traitement de M. Petetin, pour qu['il] soit plus tôt fini et que tu sois remise ! Songe à cette affreuse colique qui est liée avec ton état ! Après une quinzaine de jours consacrés au rétablissement de ta[998] santé, fais un séjour à Charbonnières pour y prendre les eaux ; elles achèveront ta guérison. On m'a parlé ici d'une maladie semblable qu'elles avaient guérie sans savoir que tu fusses dans le même cas. A mercredi. Je t'embrasse mille fois. A. AMPÈRE Le lundi matin à la poste, doit arriver le mardi. [expressions mathématiques]

A Monsieur Richard chez les frères Périsse, libraires, grande rue Mercière, n° 15, p[ou]r remettre s'il lui plaît à Mme Ampère-Carron, à Lyon.

Please cite as “L125,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L125