From Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   4 juin 1802

[162]DuVendredi [4 juin 1802]

[illeg] Pochon m'a apporté ta lettre [illeg] J'ai vu que mon pauvre ami s'était bien mouillé, bien crotté ; mais j'ai[163] peur qu'il ne me dise pas qu'il est enrhumé. Tu as pensé, mon bon ami, que ton voyage ne me laisserait pas de si doux souvenirs comme l'avant-dernier. Pourquoi t'imaginer que le temps que tu as sacrifié pour tes affaires gâte ton séjour ici ? N'avons-nous pas eu bien des moments où nous avons pu nous dire quelques mots, où je te donnais le bras, où tu causais avec Mlle Allard, où nous courions avec le petit sous les arbres de Bellecour ? Tout cela n'est-il pas des jouissances ? Tu les as bien senties et ta lettre, qui m'a fait pleurer, n'est pas écrite par un cœur insensible. Je l'aime bien cette lettre, elle me peint bien ton âme, et ton âme est ce que j'aime le plus en toi. Elle n'est pas ordinaire, elle sacrifierait tout au bonheur de son amie ; mais ta mère, tu dois l'aimer aussi bien tendrement. Tu l'aimes, mais pas comme il faut aimer sa mère ; tu ne m'as pas dit un mot de gronderie[164] lorsque je te parlais d'elle une certaine fois que j'avais l'esprit monté. Je voudrais que tu m'eusses dit un mot que j'avais tort et que ce ne fût pas moi qui m'en fusse aperçue la première. Car, je le sens, je suis quelquefois injuste lorsque j'ai de l'ennui. Cette pauvre maman en a tant eu et en éprouve tant encore ! Mon bon ami, écris-lui donc toutes les tendresses que tu sens pour elle ; c'est le seul bonheur que le cœur maternel puisse éprouver que de voir dans celui de ses enfants une partie des sentiments qui sont dans le sien, qui l'ont animée dans tous les soins qu'exigeait leur enfance. Mon pauvre petit, s'il venait à ne pas m'aimer toujours, qu'il eût une femme qui lui dit que je ne fais pas les choses comme il convient, que je détesterais cette femme ! Mais,[165] mon bon ami, je ne suis pas comme cela ; j'aime ta mère de tout mon cœur, je la respecte ; elle le mérite par ses vertus et, si quelquefois la vivacité m'a fait dire quelque chose, c'est toujours sur le manque de prudence pour l'avenir dont sa piété ne lui permet pas de s'inquiéter. Mais, mon pauvre Ampère, voilà plus d'une page perdue à t'écrire ces radotages, et je ne t'ai rien dit pour toi, pour celui qui a toute ma confiance, que j'aime comme mon frère, comme celui qui passera sa vie avec moi et notre enfant, qui ne la troublera point par des querelles, mais qui fera tout pour la rendre heureuse. Quand notre petit sera grand, nous irons peut-être passer la belle saison à la campagne ; l'hiver, nous le ferons danser à la ville,[166] car je veux qu'il soit gai, gentil comme à présent. Adieu, mon bon ami, je t'embrasse bien tendrement [illeg] [167]

Please cite as “L133,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L133