To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   8 juin 1802

[1596] Du Mardi [8 juin 1802]

Qu'elle était jolie la lettre que j'ai reçue hier de ma bonne Julie ! Comme elle m'a fait désirer un petit voyage à Lyon, en me retraçant le bonheur que j'ai goûté au dernier ! Ce que je craignais, c'est qu'il ne t'eût pas fait à toi autant de plaisir que le précédent, parce que mille affaires m'avaient éloigné de mon amie. Tu as bien raison de dire que je sacrifierais tout à son bonheur ; c'est mon unique envie, mon unique désir ; pourvu que tu sois heureuse, tout le reste m'est égal. Ah ! [illisible] \Cependant/, il faut encore autre chose ! Que tu sois heureuse d'abord et puis que tu m'aimes un peu ! La santé et le bonheur du petit sont compris dans le tien. Il ne me reste ensuite[1597] plus rien à désirer. Mais, pour que tu sois heureuse, il faut que ta santé se rétablisse et que j'obtienne une place au lycée. Envoie, je t'en prie, chercher M. Petetin. Tu restes dans un état alarmant ; peut-être ordonnera-t-il quelque chose qui fasse venir ce 28. Je t'en prie, rappelle -lui qu'il convient, immédiatement après, que tu commences ses remèdes. Dans quinze jours les jours diminuer[ont.] Voilà une année entière passée en projets de traitement, une année perdue pour ta guérison et qui a sûrement empiré le mal ! J'ai fait hier une importante découverte sur la théorie du jeu, en parvenant à résoudre[86] un nouveau problème plus difficile encore que le précédent et que je travaille à insérer dans le même ouvrage ; ce qui ne le grossira pas beaucoup, parce que j'ai fait un nouveau commencement plus court que l'ancien. Mais ce nouveau projet ne me permettra pas de t'envoyer le manuscrit demain : ce sera pour mercredi prochain. Il faudra se dépêcher pour sa publication, puisque l'examen des lycées [illisible] \doit se faire/ décidément cet automne, autant que j'en puis juger par la lettre de Degérando à M. Couppier que celui-ci m'a envoyée. A l'égard de l'ouvrage sur les séries, il s'avançait bien quand M. Clerc a pris une fièvre assez forte ; je viens de faire sa classe ; il ne s'est[87] complètement alité que d'aujourd'hui ; mais un commencement de maladie l'avait empêché de travailler les deux fêtes de Pentecôte.

Du mercredi matin [9 juin] Je t'ai déjà dit que j'ajoutais bien des choses à mon ouvrage. J'y ai fortement travaillé hier. Il sera bientôt fini et tu es sûre de le recevoir dans huit jours ; mais il faudrait bien, pour l'imprimer, savoir le jour où il aura été présenté à l'Athénée, puisqu'on doit en parler sur le titre. J'espère en cela sur Ballanche. Qu'il voie, qu'il presse, qu'il sollicite M. Roux de ma part, pour que la présentation ne manque pas à la prochaine séance et que Ballanche puisse nous en procurer la date ! Je te remercie encore, ma[88] charmante bienfaitrice, de tout le plaisir que m'a fait ta lettre. J'ai été en peine de toi pendant deux jours, et la cessation de cette inquiétude a encore ajouté quelque chose à ce plaisir. Je n'ai plus qu'une inquiétude, c'est de te voir rester tranquille dans l'état actuel de ta santé, malgré le dérangement dont tu me parles. Pense à toi, ma bonne amie, pour l'amour de ton enfant et d[e] ton mari, qui ne vivent que pour toi, qui ne vivront jamais que pour toi. Oh, oui, le petit t'aimera bien et sa petite femme \t'aimera bien/ aussi quand il en aura une ! Ils auront une si bonne et si aimable maman,[89] qui ne négligera rien de ce qui pourra contribuer à leur bonheur ! Je t'assure que notre bru t'aimera bien et donnera l'exemple de t'aimer au petit, en même temps qu'elle le recevra de lui. Voilà des rêves bien éloignés dans l'avenir ; mais le temps a beau peser, il passe si vite ! Quand sera donc passé celui qui retarde le moment où je serai réuni à tout ce que j'embrasse ? Devine qui ! A. AMP[ÈRE] Je t'enverrai l'argent de Marsil et 6 l[ivre]s avec le manuscrit mercredi prochain. Je t'embrasse encore mille fois, Julie !

Madame Ampère-Carron, grande rue Mercière, n° 18, à Lyon.

Please cite as “L134,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 28 March 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L134