To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   15 juin 1802

[1588] Du mardi [15 juin 1802]

J'ai reçu hier une lettre bien détaillée et qui m'a bien fait plaisir. J'y trouve l'espérance qu'on s'occupera bientôt de ce qui importe le plus à notre bonheur mutuel et qui a été négligé jusqu'à présent par la faute de M. Petetin. Je pense qu'il cessera enfin de lambiner et de perdre les moments les plus favorables. Il est vrai qu'il y a bientôt un an de ton petit voyage à Lyon pendant que tu nourrissais  : voyage qui ne fut pour toi que de la fatigue perdue. Tu as bien raison de me faire tous les reproches que tu me fais ; mais je t'écris toutes mes pensées, et les inquiétudes que m' inspire ta santé y reviennent sans cesse. Je te parle de ce que je désire, c'est que tu guérisses . Pardonne-moi, ma pauvre[1589] amie, s'il semblait dans ma lettre que je m'en prisse à toi de ce que tu ne guérissais pas ; tu sens bien que ce n'était pas là mon idée. Puisque tu es bien décidée à faire tout ce que te conseillera M. Petetin, je suis content ; c'est tout ce que je désirais de ma bienfaitrice ! Ah ! Si tu pouvais te bien porter, ce serait pour moi le plus grand des bienfaits ! Ajoute celui-là à tant d'autres, afin que je n' aie plus à désirer que notre réunion.

Tu m'as fait bien plaisir, ma charmante amie, en m' apprenant que Marie peut de nouveau se charger du petit, et que tu n'as plus cette inquiétude et cette peine qui devaient doublement te fatiguer. J'en ai eu beaucoup aussi en apprenant le retour de François 1 ; j'aurais bien du plaisir à le voir et à lui entendre raconter les détails de cette malheureuse aventure que voilà, à ce qu'il paraît, heureusement terminée.[1590] Je mériterais que tu me battisses , ma bonne amie, de n'avoir pas achevé les corrections que je veux faire à mon petit mémoire ; mais mes nouvelles idées sur cette théorie m'ont mis dans le cas de le tout refondre. Il en sera beaucoup meilleur ; mais je ne puis l'achever que jeudi ; il me faut bien, pour cela, tout un jour de vacance. Car j'ai si peu de temps à moi les autres jours ! Voilà M. Clerc guéri et cela va me donner plus de temps  ! Il fait actuellement sa leçon et j'en profite pour t'écrire un peu au long ; il m'a dit que, se sentant encore faible, il ne voulait reprendre nos travaux sur les séries que la semaine prochaine. Grippière a recommencé hier ses leçons ; il est si faible que, ne pouvant se tenir debout devant le tableau, il écrit sur du papier pour pouvoir être assis.[1591] On m'a envoyé hier 2 soldats que j'ai fait loger à l'auberge à 10 s[ous] chacun : ce qui fait 1 l[ivre] pour les 2. Comme on m'a dit que je devais être exempt les 6 premiers mois, j'ai été faire des plaintes qui n'ont servi de rien qu'à m'avertir que j'allais être imposé ici à la contribution personnelle somptuaire et mobilière et que je devais cesser de payer à Lyon, en faisant déclarer à la municipalité de Lyon que je quitte cette ville. On m'assure que cette déclaration m'empêchera de payer à Lyon, quoique nous restions chargés de l'appartement parce qu'un appartement où il n'y a que des meubles ne doit rien. J'enverrais cette déclaration si je savais comme elle doit être conçue et si le loyer au nom de maman n'est pas un obstacle. M. Rosset te peut donner sur tout cela[1592] les renseignements les plus précis. Tu pourrais alors m'indiquer ce que je dois faire à cet égard et je le ferai sur-le-champ. Au défaut de M. Rosset, on en peut consulter d'autres ; c'est ce qu'il faudrait faire s'il n'indiquait point de moyen, parce que je suis sûr qu'il en existe pour nous exempter de cette contribution.

Mercredi matin [16 juin 1802] J'oubliais de te dire que j'ai remis avant-hier à S[ain]t-Didier, qui est venu à Bourg où il n'a passé qu'un jour, un paquet contenant cent soixante et une livres 4 s[ous] : savoir 6 l[ivre]s pour le thermomètre et le reste pour Marsil. Il doit les porter à Lyon dans une huitaine de jours. Comme il va en voiture, celui lui sera très commode. J'attends toujours, pour envoyer les bas et le gilet, que je puisse en même temps envoyer mon manuscrit, afin de ne faire qu'un paquet ; tu[1593] me ferais bien plaisir de me dire s'il n'y aurait rien d'autre à envoyer en même temps avec ces 3 articles : gilet de pékin, bas bleus et noirs, bas de filoselle apportés en arrivant ici. Que tous les détails dont cette lettre est remplie sont secs et arides en comparaison de la charmante lettre que tu m'as écrite et que je viens de relire ! Quelle jolie peinture de bonheur elle présente à celui qui serait si content d'être toujours auprès de toi ! Ils viendront un jour ces temps de félicité ; mais qu'il est triste que ce ne soit pour si longtemps encore qu'un roman et qu'il faille vivre séparés les uns des autres une partie de sa vie pour assurer la tranquillité de l'autre ! Que le baiser que tu me donnes dans ta lettre me fait regretter de ne pouvoir pas le recevoir de plus près ! Qu'il y a longtemps que je n'en ai[1594] point reçu de cette espèce ! Je ne sais pas quand je pourrai te revoir. M. Clerc me laisse aujourd'hui faire sa leçon parce que c'est le jour qu'il craint le retour de la fièvre qui n'a encore manqué qu'avanthier de venir le jour marqué. Tu me dis que mon petit m'a écrit des barres sur un petit morceau de papier. J'ai cherché ce papier dans ta lettre, il n'y était pas ; je l'y aurais trouvé avec bien du plaisir. Baise-le bien, ce pauvre petit, de la part de son papa et dis-lui de m'écrire par la p[rochaine] occasion ! Je crains qu'élise ne boude. A cause de ma sottise d'une dent cassée, je ne lui ai point dit adieu, ni à ta maman ; je voudrais que tu leur en témoignasses mes regrets et, si élise m'en veut, fais-le-moi savoir pour que je lui écrive une lettre propre à me faire pardonner. Je l'aurais[1595] déjà fait si je n'avais pas préféré d'écrire mon mémoire pour la 2de fois depuis mon dernier voyage. Le voilà bien avancé et il sera prêt mercredi. Adieu, ma bien-aimée, ma Julie, la maman de mon petit ; tout, tout ce que j'aime est Julie, ou vient de Julie ! J'ai bien baisé ce nom qui se trouvait dans ta dernière lettre ; je baise bien la personne de meilleur []ur ; mais c'est malheureusement de plus loin ; ah ! De bien loin que je t'embrasse ! A. AMP[ÈRE]

A Madame Ampère-Carron, grande rue Mercière, n° 18, à Lyon.
(2) Voir, pour François Delorme, les lettres p.148-150 et p.162-163.

Please cite as “L138,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L138