To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   4 juillet 1802

[1426]Du Dimanche soir [4 juillet 1802]

J'ai travaillé constamment à mon ouvrage depuis ma dernière lettre ; il s'étend toujours sous ma main, en sorte que je n'ai pas pu le finir aujourd'hui comme je l'espérais ce matin. J'en ai la tête cassée et je viens la reposer dans une bien douce occupation. J'espérais recevoir aujourd'hui de tes nouvelles par Pochon ; je viens d'aller chez lui et je l'ai trouvé qui venait d'arriver ; mais point de nouvelles \aujourd'hui/. Je n'en suis pas étonné ni inquiet ; je me trouve à cet égard comme un homme qui[1427] s'attendait à gagner un quine et qui voit que ses numéros sont restés dans la roue de la fortune. Je pense qu'il y a déjà bien longtemps que ton traitement est commencé ; peut-être a-t-il déjà produit des effets avantageux. Si cela est, quand le saurai-je ? Serace demain, après-demain ou dans trois jours, voilà ce que je cherche à deviner, ce qui m'occupe sans cesse. Ma bonne amie, si la place que j'occupe ne me conduisait pas au lycée, que je m'en voudrais de l'avoir acceptée ! C'est elle qui me tient loin de toi dans ce moment où j'aurais tant d'envie de ne[1428] t'avoir pas quittée. Je crains de te dire que Ballanche ne m'a pas rendu le livre du Marquis de Marnezia et que M. Mermet me l'a déjà redemandé 2 fois. J'espérais que Pochon l'aurait rapporté et j'ai vu que non : ce qui m'a assez ennuyé. Je ne voudrais pourtant pas que cela te causât aucune peine ou souci. Mais, si tu pouvais faire dire à Ballanche de me le renvoyer surle-champ, cela me ferait bien plaisir. J'ai pensé aussi que tu as une lettre pour M. Couppier contenant une lettre de Degérando qu'il m'a redemandée ; il [1429] doit croire que j'ai négligé de lui répondre. Si on pouvait savoir où il est, tu ferais mettre cette lettre à la poste sous une nouvelle enveloppe. Si on ne le savait pas, je sens qu'il te serait trop difficile de t'en informer puisqu'il faudrait pour cela envoyer de l'autre côté de l'eau ou dans la rue de la Charité chez son cousin Ducoin. Non, je suis trop bête de te donner des commissions ; attends pour les faire faire d'être rétablie ! [1430] Du lundi matin [5 juillet 1802] Ah, ma pauvre petite, je viens de recevoir une lettre, une lettre qui ferait pleurer l'homme le plus dur ! 1 Depuis huit jours tu n'as gagné à ton traitement que de prendre mal à la tête, et tu m'écris, tu me dis que tu m'aimes pour me consoler du chagrin que tu savais bien que me feraient de si mauvaises nouvelles. J'espère encore qu'il arrivera bientôt un changement. Mais que tu as raison de dire qu'il te faut bien de la patience ! Je voudrais être à Lyon et je n'y vois point de possibilité, ma bonne, ma sensible amie. [1431] Je ne puis vivre loin de toi, j'espère trouver quelques raisons pour motiver un second voyage ; mais M. Clerc ne peut plus me remplacer parce que je vais commencer la chymie . Si je ne peux pas trouver ici les drogues qu'il me faut, je dirai qu'il est nécessaire que j'aille les chercher à Lyon et on se passera de leçons deux ou 3 jours. Je te quitte, ma bonne amie, pour aller faire la lettre à M. Morel des Jardins ; je ne suis guère en train d'écrire, et cette lettre sera sans doute bien mal faite. Si tu trouves[1432] qu'elle ne peut pas passer, tu me la renverras avec les observations et les corrections que tu jugeras convenables, et j'en ferai une autre. Je viens de souper et je m'irai coucher dès que je l'aurai écrite. Bonsoir, bonne nuit, ma bien-aimée, prompte guérison surtout ! Je t'embrasse, j'embrasse le petit. A. Ampère

Du mercredi matin [7 juillet 1802] P. S. Le courrier ne partant pas hier, j'ai remis ma lettre à Pochon, c'est-à-dire que je vais la remettre. Je veux auparavant te dire [et] te rappeler l'ouvrage de M. Marnezia. Je t'envoie 3 pair[es] de bas, le bas noir étant retrouvé, un gilet, une culotte noire et des heures. Quant au manuscrit, ce ne pourra être que pour mercredi ; mes leçons et mes préparations d'expériences[1433] m'enlèvent tout mon temps . À peine ai-je pu en écrire hier deux pages, quoique je me sois privé pour cela du plaisir de te raconter mes pensées. Ce sont toujours les mêmes. Point encore de préfet à Bourg ; quelques personnes craignent que la préfecture ne soit supprimée. Mille choses à ceux qui ont soin de toi, et à toi mille baisers.

A Madame Ampère-Carron, grande rue Mercière, maison Rosset n° 18, à Lyon.
(2) Lettre du 3 juillet : p.169.

Please cite as “L144,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L144