To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   10 juillet 1802

[74] Du samedi matin [10 juillet 1802] 1

Je ne t'ai pas écrit de toute la semaine, ma bonne amie, et ce n'est qu'à la dérobée que je saisis un petit moment pour soulager un peu mon cœur qu'étouffe une si longue absence. Je commence lundi la chimie ; il faut acheter des drogues ; les élèves du cours se sont cotisés et m'ont remis 80 l[ivre]s pour cela ; car le gouvernement ne fournit plus rien. Comme je veux réparer à l'égard de ce cours la négligence impardonnable que j'ai mise \sur la fin/ dans le cours de physique afin de pouvoir rédiger mon ouvrage, je donnerai une leçon de théorie[75] à l'heure ordinaire et je tiendrai le laboratoire ouvert, pour les opérations, depuis 7 h[eures] du matin jusqu'à dix [heures] ; d'où il suit que, si mon ouvrage n'était pas fini dimanche, je ne sais quand je pourrais l'achever. J'ai renvoyé Grippière à lundi pour employer le temps de ses deux leçons à rédiger. Tout sera fait dimanche et je t'enverrai le manuscrit mercredi. Il sera à propos qu'il s'imprime de suite ; je suis sûr qu'il me vaudra, pourvu qu'il soit imprimé à temps , une place de lycée ; car, dans l'état où il est à[76] présent, il n'y a guère de mathématiciens en France capables d'en faire un pareil 2. Je te dis cela comme je le pense pour que tu ne le dises à personne. L'important est qu'il s'imprime promptement, à quelque prix que ce soit. Quand tu le verras, tu sauras que, si j'y reste tant de temps , c'est que je m'applique à arranger les lettres d'algèbre précisément comme elles doivent l'être dans l'impression, en sorte que, dès qu'une lettre dépasse un peu, je colle dessus un morceau de papier et je la récris  : ce qui fait ressembler quelques-unes de mes pages à de la marqueterie.

[77] J'attends Pochon pour après-demain avec une grande impatience. J'espère que ton régime aura continué à te faire le bon effet dont tu me parles dans ta dernière lettre, que d'autres bons effets en suivront bientôt et que tu seras enfin complètement [illisible] \guérie. Oh,/ quand verrai-je ce jour, le plus beau de ma vie ! J'embrasse mille fois l'enfant de ma Julie et la maman de mon petit. A. AMPÈRE.

A Monsieur Richard, chez les frères Périsse, libraires, grande rue Mercière, n° 15, pour remettre s'il lui plaît à Mme Ampère-Carron, à Lyon.
(2) Cette lettre écrite à deux, sur le ton de la plaisanterie, présente une orthographe assez peu orthodoxe (qui la rend encore plus difficile à lire) ; il semble que Roux-Bordier et Bredin aient cherché à transcrire le parler local, accent compris. Bredin y mêle des italianismes et des fautes volontaires (il s'agit de montrer "la nostre barbarie"). Par cohérence avec les règles éditoriales fixées pour la présente édition, et pour permettre la recherche plein-texte, l'orthographe a été rétablie. On ne peut cependant s'empêcher de trouver que la lettre y perd une grande partie de son charme, et inviter le lecteur à consulter le fac-similé du manuscrit en parallèle...
(3) Cf. lettres p.133-136 et 144-146.

Please cite as “L147,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L147