To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   25 juillet 1802

[134]Le dimanche soir [25 juillet 1802]

J'ai tant de nouvelles à te raconter , ma bonne amie, que je ne sais par où commencer et tant d'occupations pressées que je ne puis t'écrire qu'à la dérobée. Je fus hier dîner chez Mme Beauregard avec des mains noircies par une drogue qui ne fait point de mal, mais qui s'attache aux mains pour deux ou trois jours. Elle prétendit que cela semblait du jus de fumier et finit par se lever de table, en disant qu'elle dînerait quand je serais loin.[135] Je convins avec elle que j'étais à tiers de mois et que je n'y retournerais que quand mes mains seraient blanches. Je n'y retournerai plus. La Perrin me fait à dîner pour 18 l[ivre]s par mois, sans le vin. M. de Lalande est allé à la Société d'émulation qui a eu une séance aujourd'hui. M. Riboud y a présenté la copie que son fils avait faite de mon ouvrage sur le jeu * ; j'ai été nommé membre de cette société à l'unanimité 1 et M. de Lalande, qui en[1198] est aussi, a été nommé d'une commission pour examiner mon mémoire ; c'est lui qui fera un rapport à ce sujet. Je te raconterais d'autres nouvelles si j'avais le temps  ; mais elles ne t' intéresseraient guère. Telle serait celle du mariage de Mlle de Bohan avec M. Bachet, etc. Au lieu de cela, je vais chez Pochon, où je trouverai peut-être une lettre de toi.

Du lundi [26 juillet] Tandis que je fus hier chez Pochon, on m'apporta ta lettre au collège 2. Mme Mermet la reçut et me l'a remise.[1199] Que j'ai trouvé dans cette lettre des sujets de chagrin ! Pauvre Julie ! Encore cette malheureuse colique, et ton voyage à Charbonnières suspendu ! J'espère que cela n'aura point eu de suite, que tu es à Charbonnières à présent. Mais que je voudrais le savoir au juste Que je voudrais recevoir une lettre de ma bienfaitrice ! Ah, une lettre, une lettre ! Quand en aurai-je une ? Peutêtre jeudi, mais c'est bien long d'ici à jeudi si tu vas aux eaux ! Quelle inquiétude si tu n'y vas pas ! Tu y aurais retrouvé la santé, ma[957] Je n'ai point trouvé M. de Lalande, on m'a dit que je le trouverais demain à 10 h[eures] et cette lettre sera partie ; quoique mon ouvrage soit fini, je ne l'enverrai que mercredi prochain. Je veux savoir l'avis de M. de Lalande ; peut-être me fera-t-il des observations qui nécessiteront quelques changements , et ce n'est pas huit jours de plus ou de moins qui feront quelque chose pour la publication de mon livre. Car M. de Lalande a dit à M. Clerc que les examinateurs ne feraient pas leur tournée[958] sitôt qu'on le pensait ici, qu'il y avait apparence que les premiers lycées établis ne le seraient pas avant la fin de l'année prochaine. Je ne crois pas pouvoir écrire à Marsil, parce que M. Clerc vient demain travailler de bon matin avec moi aux séries. Dis-lui tout ce que je lui écrirais si j'en avais le temps . Mille remerciements à ton cousin l'aîné de ce qu'il m'a envoyé ; c'est un prix de soixante mille francs proposé par Bonaparte et que je tâcherai de gagner quand j'en aurai le temps 3. C'est précisément[959] le sujet que je traitais dans l'ouvrage sur la physique que j'ai commencé d'imprimer ; mais il faut le perfectionner et confirmer ma théorie par de nouvelles expériences. Mille choses pour moi à ta maman, à élise, vingt baisers au petit, et tout mon être à toi. Oh ! mon amie, ma bonne amie, si M. de Lalande me fait [n]ommer au lycée de Lyon et que je gagne le prix de 60 000 francs, je serais bien content ; car tu ne manqueras plus de rien et tu n'en seras[960] pas à regretter les dix francs de la chambre arrhée à Charbonnières. Vas-y, vas-y à Charbonnières ; je ne sais quoi me dit que tu y retrouveras ta santé. Je t'embrasse ; tout, tout ce que j'aime, tout ce qui fait mon bonheur, c'est toi. A. AMPÈRE

A Madame Ampère-Carron, maison Rosset, n° 18, dans la grande rue Mercière ou, en son absence, aux frères Périsse, libraires, même rue, n° 15, à Lyon.
(2) L'acte de nomination à la société d'émulation est du 26 juillet. Il est adressé à M. Ampère, professeur de physique, émule de l'Athénée de Lyon et signé Thomas Riboud.
(3) Lettre p.179-180.
(4) Voir la reproduction de cette lettre, pl. IX.

Please cite as “L156,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L156