To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   2 août 1802

[1598] Lundi [2 août 1802]

Ma trop bonne amie, ma bienfaitrice, je viens de recevoir ta lettre. Que je suis inquiet de tout ce que tu me dis ! M. Petetin continue de te faire manger de la glace ! Et il sait que c'est un dépôt de lait. Cela m'a paru bien étrange ! Ce sont les cataplasmes froids qui ont rendu ta grosseur douloureuse. Pour un dépôt de lait, il ne faut rien d'humide ni de froid ! Je voudrais être à Lyon. Je lui parlerais[1599] de mille choses que j'ai sur le cœur à ton égard. Mais je crois qu'il vaut mieux, comme tu dis, changer de médecin. Je crains que M. Brac, qui a assez de pratiques, que son âge rend paresseux, et qui se regardera comme notre pis-aller, ne te donne pas assez de soin. Je pencherais pour cet Egonet puisqu'il est estimé de M. Gilibert et qu'il a guéri une maladie semblable. Que penseraistu de M. Gilibert lui-même ? Je le préférerais à tout autre du côté des talents . Mais[1600] je crois que tu aurais de la répugnance à le consulter. C'est pourquoi je penche pour celui qu'il conseille. Délibère, au reste, de tout cela avec ta maman et tous ceux qui t'entourent ! Je doute que les eaux te fissent du bien depuis que je sais que c'est un dépôt de lait. J'attends de tes nouvelles avec plus d'impatience que jamais, et il faudra attendre jusqu'à jeudi ! Mon amie, ma Julie, pourquoi ai-je été nommé professeur à Bourg ?

Du mardi [3 août] Je reprends ce matin la plume que je quittai hier[1601] pour aller donner mes leçons. Je reviens te parler du même sujet et, toujours du même avis, je ne puis que te répéter les mêmes choses. J'y pense sans cesse. Je ne songe plus à envoyer mon ouvrage mercredi. Je viens de le relire et j'y ai trouvé une douzaine de pa[ssa]ges à changer ou à corriger ; ce qui demande un jour entier de travail au moins et je n'ai pas un moment les jours où je donne leçon, parce qu'il faut[1602] les passer tout entiers au laboratoire pour ranger des appareils. Je pense à ma Julie et voilà la seule pensée pour laquelle j'aie l'esprit libre. Il faut pourtant que je fasse aujourd'hui une petite explication de mon mémoire pour M. de Lalande et que je la lui porte cette après- dîner . Il a fait entendre qu'il désirait que je l'invitasse à une réunion de ceux de mes élèves qui ont suivi le cours d'Astronomie pour observer les astres ensemble. Cela m'aurait[1603] bien amusé dans toute autre circonstance. Mais s'il faut que ce soit ce soir ; cette réunion me sera bien à charge en me privant des deux seuls plaisirs qui me restent : t'écrire et relire mes lettres. J'embrasse ma bienfaitrice, j'embrasse mon enfant.

Du mardi soir [3 août] Je profite d'un petit moment entre mon souper [illeg] et l'arrivée de mes élèves \Du mercredi matin [4 août] / que je dois conduire à l'Observatoire de M. de Lalande, pour écrire à ma Julie, pour l'embrasser et lui souhaiter une bonne nuit. \Je t'envoie un livre à Ballanche pour le lui faire rendre quand tu en trouvera l'occasion./ J'ai voulu achever ma phrase, ma bonne amie, telle qu'elle[1604] resta hier dans mon cœur. Car M. Riboud le fils entra dans l'instant où je venais de prendre la plume ; les autres vinrent successivement ; nous fûmes chez M. de Lalande et je ne pus achever ma première phrase. Plus qu'un mercredi ! D'après-demain en huit, je dirai : demain j'irai à Lyon ! Sens-tu comme j'aime à faire ce calcul, comme il deviendra plus joli chaque jour ! Un autre calcul, c'est celui du tem[ps] qui me reste pour corriger mon ouvrag[e.] On dit que les lycées s'organiseront bientôt ; cela m'a décidé à vite imprimer malgré l'avis[1605] de M. de Lalande, qui voulait qu'auparavant je le lui fisse présenter à l'Institut. Je vais y travailler et, si M. Clerc ne vient pas m'interrompre, je le ferai encore partir aujourd'hui : mais je n'espère pas que cela se puisse. Je t'envoie mille baisers. A. AMPÈRE. Réponds-moi, si tu peux, au sujet du beurre : combien en voudrais-tu pour faire fondre à 9 s[ous] la livre ? Il y a, dans le paquet, une lettre pour maman.

A Madame AmpèreCarron, grande rue Mercière, n° 18, à Lyon.

Please cite as “L160,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L160