To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   7 août 1802

[1166]Du Samedi [7 août 1802]

Ma bonne amie, je délibère depuis avant-hier au soir, si je t'écrirai le désagrément que j'eus à ma leçon de chimie . Comme je vois qu'il n'aura aucune suite, je me décide à te le raconter. Il n'y a absolument aucun sujet d'inquiétude. Je ne voudrais pas t'en donner pour tout au monde. Mais je veux que tu saches tout. M. de Lalande avait annoncé qu'il viendrait ce jour-là à la leçon ; je m'étais paré de mon mieux et je craignais d'autant moins que[1167] l'expérience que je préparais me jouât un mauvais tour qu'il ne m'était encore arrivé, depuis que j'avais commencé la chimie, qu'un seul petit accident dont il ne valait pas la peine de parler. Je regardais, dans les tubes de l'appareil, les progrès de [illeg] \l'expérience/ quand un bouchon sauta ; je reçus dans l’œil droit, où je n'ai pas le moindre mal aujourd'hui, un peu d'eau forte toute chaude. M. Sylvain, médecin, qui se trouvait là, m'arrosa[1168] sur-le-champ l’œil d'ammoniaque : ce qui m'ôta sur-le-champ la plus vive douleur que j'aie éprouvée depuis longtemps . Je me lavai l’œil dans de l'eau fraîche, et il fut aussi bien portant que l'autre. Je pensai tout de suite à mes habits que je couvris d'ammoniaque, en sorte qu'il paraît qu'il y aura très peu de mal, et il n'y en aurait point du tout si je n'avais pas été un[1169] peu troublé, et si je n'avais pas pensé d'abord seulement à mon œil. Je n'ai absolument aucun mal qu'une brûlure sur deux doigts de la main gauche qui sera passée demain. Je t'assure qu'il n'y a dans tout cela aucune raison de t'inquiéter, que mes habits ne seront point gâtés et que je ne me sentirai plus du tout de cet accident quand j'irai te retrouver dans huit jours. Ma[1170] Julie, c'est dans huit jours que j'espère partir. Je suis encore obligé de donner leçon vendredi et, ce qui m'ennuie beaucoup, c'est que le courrier de Châtillon ne part pas samedi, en sorte qu'il faudra que j'attende le dimanche si je veux profiter de ma voiture ordinaire. Il m'en coûterait le double à en prendre une autre, et cela me décidera, si je ne puis trouver aucun autre expédient, à ne partir[1171] que dimanche. C'est donc dimanche à 5 heures du soir que je t'embrasserai et que je baiserai le petit, à qui je te charge de dire que son papa l'aime bien et l'ira bientôt voir. Sais-tu, ma bonne amie, qu'il y a eu hier trois ans que tu as fait mon bonheur ? 1 Que ces trois ans se sont vite écoulés ! Que tu as éprouvé de peine, et que je t'ai rendu de fois du mal pour le bonheur dont tu me comblais ! Pour finir mes sottises , je me suis fait sauter de l'eau forte[1172] dans l'œil, malgré toutes les défenses que tu m'avais faites de me faire mal. Pardonne-moi, ma Julie ; c'est la dernière fois que je te ferai du chagrin. Oh, oui, jamais je ne ferai rien qui puisse te faire de la peine. Je te le promets en commençant notre quatrième année de mariage. Le petit aura deux a[ns] jeudi 2. Je te remercie, ma bonne amie, de me l'avoir donné. Je voudrais bien le baiser ce jour-là. Prometsmoi de le baiser jeudi matin pour moi ![1173] Il faut que je te quitte, ma bonne et charmante amie, ma Julie, bien inquiet de ta santé. J'ai reçu ta dernière lettre 3 qui redouble mes inquiétudes. J'y répondrai par Pochon ; car je crains de manquer aujourd'hui l'heure du courrier. Je t'aime et t'embrasse. Comme j'ai envie d'être à dimanche, de demain en huit ! Sens-tu ce baiser ?

A Monsieur Richard, chez les frères Périsse, libraires, grande rue Mercière, n° 15, pour remettre, s'il lui plaît, à Mme Ampère-Carron, à Lyon.
(2) Mariage le 6 août 1799.
(3) Naissance de Jean-Jacques Ampère le 12 août 1800.
(4) Lettre du 6 août.

Please cite as “L162,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L162