To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   12 août 1802

[1178]Du jeudi 12 août [1802]

Je ne puis pas vivre sans t'écrire ou sans recevoir de tes lettres. J'en attendais une aujourd'hui et, puisque je n'en ai point, il faut que je t'écrive pour te rappeler que celui qui t'aime a encore 3 jours à être loin de toi, et que 3 jours sont bien longs. Au lieu de ta lettre que j'espérais, j'en ai reçu une de ma bonne sœur élise, qui cherche à me rassurer sur l'inquiétude que ton silence pourrait me donner sur ta santé ; mais elle[1179] me prêche tant sur la nécessité de cacher à ceux qu'on aime tout ce qui pourrait les inquiéter que je ne sais si je puis me fier à ce qu'elle me dit de ta santé. Si je t'avais écrit quelque chose qui pût t'inquiéter, je croirais que ce petit sermon en est une suite ; mais je ne me rappelle que de t'avoir raconté, trois jours après l'événement, l'accident qui arriva à une de mes expériences le jour que M. de Lalande [1180] les vint voir et en te disant bien que je ne m'en sentais pas plus depuis ces 3 jours que s'il ne m'était rien arrivé à l'exception d'une petite brûlure à la main gauche. Cela aurait-il pu t'inquiéter ? Si tu en avais été tourmentée, je ne me consolerais pas de l'avoir écrit ; mais je t'avais promis de tout t'écrire ; je pensais que, si tu savais par la suite que je t'avais caché quelque chose, tu craindrais toujours que je te fisse de nouveau[1181] des mystères de tout ce qui m'arriverait. Voilà l' appréhension continuelle où je suis à ton égard, je n'ose compter sur personne pour me dire toute la vérité, et je ne sais ainsi jamais si je dois être tranquille quand on me rassure. Je n'ai pas voulu, en te rien cachant, te mettre dans la même appréhension . Si je pouvais me décider à ne pas t'écrire la vérité sur tout, comment la saurais-tu ? Mon cœur serait chargé d'un trop grand poids s'il[1182] fallait y ensevelir un secret, si petit qu'il fût, que je ne puisse pas verser dans le tien. Si c'était quelque chose qui pût t'inquiéter, je l'écrirais à Marsil ou à élise pour qu'ils te le disent avec les précautions nécessaires. Je n'ai pas pris ces précautions lors de cet accident, parce qu'une brûlure à la main n'est pas grand chose et que la \vive/ douleur que j'ai sentie un moment dans l’œil a été guérie sur-le-champ, de la manière que je t'ai expliquée en te disant précisément[1183] que, depuis trois jours, je ne m'en sentais pas plus que si on m'y avait soufflé un peu d'eau fraîche. Voilà, ma bonne Julie, une bien longue apologie qui ne peut servir de rien puisque, si j'avais eu tort de ne pas manquer à la parole que je t'avais donnée de t'écrire tout ce qui m'arriverait, c'est un tort que tu m'as sûrement \déjà/ pardonné. Aujourd'hui ne peut pas passer sans que tu me pardonnes des fautes bien plus graves si j'en avais commises. C'est[1184] aujourd'hui qu'est né le petit lien qui serre nos deux vies l'une contre l'autre. Dis-lui d'embrasser sa maman de la part de son papa, et de l'assurer qu'il ne lui fera jamais de cachotteries . Oh ! Qu'une lettre de toi aurait été aujourd'hui nécessaire à mon bonheur ! Il faudra attendre jusqu'à dimanche au soir pour avoir un mot de toi. élise me parle d[e] quelques remèdes et du repos qu'on t'a conseillé ; elle ne me dit pas seulement si c'est d'après l'avis de M. Petetin ou si tu as déjà consulté Egonet. Quand pourrai-je[1185] savoir ce qu'il en est ? Si tu étais réellement plus malade ! Oh ! Que j'en veux à l'opinion d'élise de cacher tout à ceux qu'on aime ! Cette crainte va me tourmenter jusqu'à dimanche. Je la remercie pourtant bien de sa jolie lettre et je vais te quitter pour avoir le temps d'y répondre avant qu' Ailhaud vienne. Je t'embrasse comme je t'aime !

A Monsieur Richard, chez les frères Périsse, grande rue Mercière n°15, p[ou]r Mme Ampère-Carron, à Lyon.

Please cite as “L163,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L163