From Elise Carron (sœur de Julie)   16 août 1802

[366]ce[Lundi 16 août 1802]

Je viens remplir ma promesse, mon bon Ampère, [de te] donner tous les détails que tu souhaites. Tu[sauras] que, ce matin, Julie avait bien envie de t'appeler pour te dire adieu, car elle a entendu sonner 4 heures ; mais elle a réfléchi que, si les adieux étaient de quelques minutes trop longs, tu manquerais peut-être la diligence et que cette petite causerie lui empêcherait de fermer l'œil le reste de la nuit. Ainsi tu as eu seulement ses adieux en idées et je suis sûre que tu les aimes mieux que ceux qui auraient pu troubler le repas dont elle a [illisible]. Elle n'était point mal ce matin ; mais le ventre est toujours le même. Absente ou présente, je le vois sans cesse ; c'est un objet terrible pour moi [illeg] Mon dieu, quel bonheur si, parmi toutes les plantes dont tu connais les propriétés, il en était une, une seule qui puisse remettre tout cela dans[367] [l'ordre ]de la nature ! A quoi bon la science[s'il n'en est] point qui puisse rendre promptement la santé à notre Julie ! Cherche bien, informe-toi, parle de son mal aux savants et aux ignorants ! Dieu n'a pas distribué aux savants des lumières pour leur conservation et les simples ont souvent des remèdes comme eux. [illeg] Je reprendrai ton journal.

[illeg]M. Petetin est revenu ; toujours il ordonne rien ou des riens. Je l'ai encore poursuivi sur l'escalier pour lui dire s'il ne croyait pas qu'elle fût maintenant assez forte pour prendre des bains. Il m'a dit qu'il y pensait, mais qu'il craignait un trop grand et trop prompt relâchement. Tu frappes du pied, j'en suis sûre ; c'est ce qu'il m'est arrivé de faire en le quittant [illeg] [368] Mais où en prendre un qui la traite mieux ? Où est-il ? Que ne donnerais-je pas pour le savoir ? [illeg] Ah, pourquoi ai-je poussé le sacrifice de moi-même jusqu'à conseiller à ma Julie un état dans lequel elle n'a trouvé que la ruine de sa santé ! Je m'admirais alors en répandant des larmes ; elles étaient pour moi le triomphe de la raison et c'était le sentiment seul qu'il fallait écouter et le laisser lui dire que, sans elle, sans sa tendresse exclusive, je ne pourrais vivre ;[illeg] car alors j'étais bien loin de penser que sa chère santé pût s'altérer [illeg] Mais j'oublie que c'est à son mari et à celui qui l'aime autant que moi à qui je dis des choses désolantes pour son cœur sensible. Mon pauvre Ampère, oh le mien souffre bien aussi. Depuis trois ans, il est si agité, il a si peu d'occasions de s'épancher. Ce n'est plus à Julie que je puis conter mes peines. Je n'ai plus personne. Il faut lui montrer un visage serein ; il le faut.[369] Je n'ai que la nuit à passer sans contrainte [illeg] Tout dort, point de bruit et j'ai des idées si tristes qu'elles poussent ma plume malgré moi [illeg] Brûle mes lettres et surtout celle-ci qu'elle ne risque pas de tomber sous les yeux de Julie !

[362] Ce mardi soir [17 août] - L'après-midi s'est passée comme celle d'hier. Quelques personnes sont venues qui l'ont un peu distraite. Elle aurait tant besoin de l'être. Son état est si triste, si pénible que je trouve admirable qu'avec tant de vivacité, un caractère si actif, elle puisse y tenir sans se désoler du matin au soir ; mais la pauvre petite a tant de fermeté qu'elle nous cache souvent ses larmes. [illeg]

[363]Ce mercredi soir [18 août] - La pluie est enfin venue. Puisse cette fraîcheur lui être salutaire et Dieu veuille que tous ceux qui lui répétaient sans cesse :Ce temps-ci est vraiment bien contraire à votre situation ; ce temps est terrible pour les personnes malades ! pourvu, dis-je, que tout ce monde n'enfile pas une litanie sur la pluie comme il faisait tous les jours sur le beau temps et que notre pauvre Julie ne soit pas dans le cas d'éprouver que les jours froids ou chauds ne changent rien à sa situation ! [illeg]

[364]Ce jeudi matin [19 août] - Cette nuit n'a pas été aussi bonne que je l'espérais. Elle a dit qu'elle avait ressenti un peu de fièvre. Je viens de lui lire ta lettre. Ton petit joue en ce moment sur le lit de sa mère.

A monsieur Ampère, professeur de physique à l'école centrale de Bourg

Please cite as “L165,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L165