To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   16 novembre 1802

[1152]DuMardi soir [16 novembre 1802]

Je t'ai promis plus de détails sur mon voyage, ma bonne amie, que je n'ai pu t'en donner dans ma première lettre. J'attendis dans la voiture une bonne demi-heure ; elle ne partit qu'à 3 heures. M. Duboc y était. Je lui trouvai un air de connaissance et je lui dis que j'avais déjà eu, à ce qu'il me semblait, l'honneur ; il me dit qu'il n'avait aucune idée de moi ; mais, ayant dit un peu après que j'allais à Bourg, il me dit tout à coup : Ne seriez-vous point Monsieur Ampère ? [1153] et me fit force politesses.

Mercredi matin [17 novembre 1802] Nous descendîmes un moment de la voiture, à cause d'une montée. Le chemin était détestable, le temps très couvert, quelques gouttes de pluie ; je m'attendais à être bien mouillé le dimanche et tout cela me faisait bien désirer une voiture pour le lendemain. Je trouve M. Berger qui revenait à Lyon d'accompagner un M. de Sereyziat, parti pour Bourg seul dans sa voiture et qui, dit-il, se fera un plaisir de m'y recevoir. Il me donne son adresse à Monthuel ; nous y arrivons à 7 heures passées. M. Duboc me mène chauffer[1154] chez lui et, de là, où demeurait M. Sereyziat. Celui-ci avait déjà promis sa voiture ; mais il m'en indique une autre dans l'auberge de Doucet, où je vais souper et coucher pour 30 sous. J'y fais marché de la voiture qui exige 6 francs ; en sorte que j'ai été pour 7 livres 10 sous de voitures. C'était le jour des rencontres.

M. de Borsel, que j'avais connu à Bourg, se trouvait dans la même voiture ; il me fit arrêter à 3 heures à Chalamont pour entendre messe et sermon, que j'entendis avec lui. J'arrivai à 6 heures du[1155] soir. M. de Bohan avait répandu dans la ville que je ne reviendrais pas, étant sûr de ma nomination au Lycée. C'est pourquoi mon cours ne peut commencer que demain jeudi. Je n'ai pris qu'un repas et une couchée au collège. Chez M. Dupras, on vient m'allumer mon feu à 6 heures du matin, parce que j'ai dit me vouloir lever de bonne heure 1. Je m'habille en me chauffant. Je n'aurai que mon papier et mon blanchissage ; des étrennes à la fille ! Tout le reste[1156] de mon traitement pourra aller à Lyon. Je donne deux leçons, l'une de 7 à 8, l'autre de 11 heures à midi.

On m'apporte mon déjeuner à 8 heures. Hier c'était une jatte de café au lait, où le sucre n'était pas épargné.Enfin, ma bonne amie, tout va le mieux du monde pour moi du côté de la vie physique ; mais mon âme jeûne bien ; je cherche des yeux mon amie et mon petit. Mais c'est inutilement ! Parle-lui bien de moi, à ce petit. M. Dupras a fait vacciner son seul enfant avec le plus grand succès.[1157] Juge si l'on s'applaudit ici quand on a vacciné ses enfants ; on n'a pas d'exemple du plus léger accident et deux cents enfants sont morts en six semaines de la petite vérole. D'autres sont borgnes, d'autres sourds ou tout couturés.

Je t'ai déjà annoncé, ma bonne amie, les 10 louis que te remettra Pochon avec cette lettre. J'ai gardé le onzième pour moi pour les petites dépenses ou cas imprévus. Je vais donner ma première leçon ; car on en use[1158] trop bien avec moi pour exiger d'autres vacances que celle du dimanche. Leurs élèves étant plus libres ce jour-là, ils désirent qu'ils s'occupent davantage de mathématiques.

Tu sais comme je t'aime, comme je t'embrasse et le petit. Dis aussi à élise que son frère l'aime bien et la prie de bien t'aimer. Si ta maman est revenue de Saint-Germain, ne m'oublie pas auprès d'elle ! A Noël nous nous reverrons ; je pourrai t'embrasser ; tu me baiseras comme quand[1159] tu m'aimes, n'est-ce pas, ma Julie. [Si ]je ne pensais pas sans cesse à toi, que je m'ennuierais de n'avoir rien qui m'intéressât ! Mais aussi que je suis ennuyé de te sentir si loin ! De toute manière, point de contentement, quand je suis à Bourg, toi, à Lyon. Je t'embrasse comme je t'aime, ma bien-aimée. A. AMPÈRE

A Madame Ampère-Carron, grande rue Mercière, n° 18, à Lyon (avec 240 livres)
(2) Ampère était maintenant logé à l'école Dupras et Olivier, école importante comptant 137 élèves, où il donnait des leçons.

Please cite as “L171,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L171