To Balthazar Hubert de Saint-Didier   1797

10 avril [1796 ou 1797]

Qu'il y a longtemps, mon cher Saint-Didier, que je me propose de jour en jour de vous écrire ; mais vous me pardonneriez mon silence si vous saviez la manière dont mes moments sont employés. Tous mes élèves sont séparés et il leur faut à chacun une heure. Je voulais vous prévenir cette fois-ci, et une jolie lettre est arrivée tout exprès, il y a deux ou trois jours pour me priver de ce plaisir en m'en donnant un plus grand. J'ai fait votre commission auprès de Mme Carron, mais non pas auprès de sa sœur, pour plusieurs bonnes raisons, comme disait Scarron, dont la première est que je ne l'ai pas vue parce qu'elle est à Collonges. Elle va partir pour Paris avec sa sœur et ce départ est très prochain.

Mme Carron m'a chargé de vous dire mille choses honnêtes de sa part ; elle est fâchée que l'adieu qu'elle vous a fait à votre dernier voyage soit un adieu de si longue absence. J'espère d'après votre lettre que la vôtre ne sera pas d'aussi longue durée. Quant à ce que vous me dites des mathématiques, je crois que vous les négligez beaucoup ; et je vous assure que vous avez tort. M. Roux me parlait, l'autre jour, de ceux qu'il avait observés avoir des dispositions naturelles pour cette étude et il me demandait si vous continuiez de vous y livrer. Il était aussi persuadé que moi des progrès qu'un peu d'application vous y ferait faire. Pour moi, je n'ai plus le temps de m'occuper de mes beaux projets de réforme et de simplification dans la théorie des mathématiques. Je n'ai pas ouvert un livre qui en traite depuis votre départ, si ce n'est ceux que, malheureusement, je feuillette ou je vois feuilleter toute la journée. J'ai pris plusieurs élèves après l'application de l'algèbre à la géométrie de Lacroix * qui n'éprouvent pas d'aussi grandes difficultés que ceux à qui je l'ai d'abord enseigné. Cet ouvrage a surtout besoin d'être expliqué par quelqu'un qui le sache par cœur.

Vous voyez que malgré l'envie que j'aurais de vous parler de quelque chose de plus intéressant, j'en reviens toujours à mes moutons. Que voulez-vous ? Cette continuelle répétition des mêmes proportions me dessèche l'esprit et je ne sais où trouver d'autres idées.

Pour vous, vous n'êtes plus à plaindre, car vous voilà avec la belle saison qui vous tient compagnie ; faute d'autre elle n'est pas à dédaigner, mais il vaut encore mieux revenir à Lyon. Revenez donc vite dans cette ville ou tout le monde sera bien aise de vous revoir. Adieu. Je vous embrasse et vous attend avec un égal empressement. A. AMPÈRE

Au citoyen Saint-Didier, chez le Citoyen Michon, à Priay par Pont d'Ain, département de l'Ain.

Please cite as “L18,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L18