To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   3 décembre 1802

[106]Du Vendredi [3 décembre 1802]

\Beuchot m'a écrit qu'il avait reçu et remis les exemplaires de mon ouvrage * que je lui avais remis./ Ma chère amie, voici le premier moment de liberté dont je jouis depuis ma dernière lettre ; voilà la première fois que je puis te dire tout le plaisir que m'a fait celle que tu m'as écrite. J'ai commencé hier le cours de chimie, et j'ai passé tout le mercredi et le jeudi à ranger le laboratoire, obtenir de l'argent du préfet, acheter des drogues, etc. Maintenant il faut passer[107] tout mon temps à lutter des vaisseaux et à préparer mes leçons. Ma bonne amie, quand viendra ce premier germinal si impatiemment attendu ? Quand pourraije quitter cette ville dont le séjour m'ennuie tant cette année, malgré le bien-être physique dont je jouis ? J'espère t'aller voir à Noël, je n'aurai plus ensuite que 3 mois d'ennui à éprouver ; voilà ce qui me console ; car, si cela devait durer plus[108] longtemps , je ne sais pas comment je pourrais faire pour m'y résoudre. J'ai bien des choses à te demander, ma bonne amie ; de tes nouvelles et de celles du petit : l'état de l'affaire de Guérin ; si Marsil pouvait savoir de Moulins la manière dont les examinateurs procèdent ; si l'on fait de vrais examens, sur quelles sciences on examine, quelles personnes on choisit plus volontiers, si les examinateurs se transportent en différents [109] lieux et parcourent les départements , s'il faut au contraire que les candidats se rendent dans les chefs-lieux des départements où l'on établit des lycées, si les examinateurs parcourent les écoles secondaires pour choisir les élèves qui doivent être entretenus par le gouvernement dans les lycées, etc. Je voudrais bien aussi savoir si Marsil a des exemplaires du Manuel[110] de Chimie de Bouillon-Lagrange *. Mes élèves en voudraient deux exemplaires. L'un d'eux voudrait, en même temps , se défaire d'un Jacotot * que je lui ai malheureusement conseillé d'acheter. En prenant Bouillon-Lagrange qui vaut 18 l[ivre]s, il rendrait Jacotot qui lui a coûté 12 l[ivre]s et donnerait, si l'on voulait, jusqu'à 9 ou 10 francs de retour. C'est à Marsil à décider ; mais je voudrais bien[111] que le jeune homme perdît le moins possible sur un achat que je lui ai fait faire et que je vois à présent lui être inutile ; car c'est un si mauvais ouvrage qu'il est impossible de s'en servir pour se perfectionner dans l'étude de la chimie. C'est ce même jeune homme qui prend de mes leçons à 18 l[ivre]s par mois. Si Marsil n'avait pas de Bouillon-lagrange, je le prierais de faire[112] venir sur-le-champ ces 2 exemplaires qui seront payés de suite et dont nous aurions le plus pressant besoin. Ma charmante Julie, il faudra tout à l'heure que je te quitte. Je veux vite faire partir cette lettre à cause des choses pressées que je viens de te dire, et je voudrais pourtant y mettre quelques jolies choses pour toi et pour Ampère. Baisele bien de ma part et dis-lui de te baiser de la mienne ! C'est le seul moyen qui me reste pour te rendre les[113] bons baisers que tu m'as envoyés le jour de ma fête. J'ai aujourd'hui ma cravate bleue ; te ressouviens-tu qui me l'a donnée avec ces jolis vers : Pour ton bouquet j'ai réuni Ces fleurs données à ta Julie. C'est l'amitié qui les offrit ; C'est le don d'une sœur chérie, J'y joins la couleur qui te plaît. De la tendresse, c'est l'emblème. Chaque matin, si tu la mets, Tu songeras que Julie t'aime. Que je voudrais la mettre tous les jours pour avoir tous les jours une si douce pensée ! Tu le sais bien que c'est cette pensée qui fait tout mon bonheur. Sans elle, qu'est-ce qui pourrait me faire plaisir sur la terre ? A. AMPÈRE.

Please cite as “L181,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L181