To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   13 décembre 1802

[1140] Lundi soir [13 décembre 1802]

La jolie lettre que j'ai reçue ce matin, comme mon cœur t'en remercie, ma bonne amie Je me dépêche d'y répondre par ordre de peur d'oublier de répondre à quelqu'une des questions que tu m'y fais. Il n'y avait point besoin d'exemplaire avec la lettre portée à M. Derrion. Je suis bien fâché que tu aies pris la peine d'y aller toi-même. A l'égard de ce que l'ouvrage * ne se vende pas, nous savions bien d'avance que c'était impossible autrement. Ceux qui sont en état de le comprendre sont trop savants pour croire que je puisse leur apprendre quelque chose, en sorte que les uns[1141] voient l'ouvrage trop au-dessus d'eux, les autres l'auteur trop au-dessous d'eux, et personne ne l' achète . J'espère cependant qu'il s'en vendra quelquesuns, quand il aura été présenté à l'Institut. Tu sais que j'attends pour cela que M. de Jussieu soit à Paris parce qu'il s'est chargé de le faire examiner par un membre qui y fasse quelqu'attention. Si M. de Jussieu était à Lyon, il serait bien nécessaire de savoir de lui si c'est toujours Chaptal qui est président de l'Institut et jusqu'à quelle époque doit durer sa présidence ; car je ne sais comment adresser mes lettres et mes[1142] exemplaires.

On payera à Marsil ses Bouillon-Lagrange * tout ce qu'il voudra pourvu qu'ils viennent vite ; autrement, mon cours de Chimie souffrirait le plus grand dommage. Je remercie bien Marsil de reprendre Jacotot * ; il n'a coûté que 12 l[ivre]s ; ainsi celui qui l'a acheté rendra 6 l[ivre]s avec lui pour avoir un des Bouillon-Lagrange ; il aurait encore donné plus si cela avait été jugé nécessaire. Depuis que je suis ici, j'avais commencé d'écrire à M. Couppier ; mais, ne sachant comment faire parvenir ma lettre, je ne l'ai pas[1143] achevée, je ne sais même [pas ]où je l'ai mise. Si je la retrouve, je te l'enverrai dans celle-ci ; si je ne la retrouve pas, je tâcherai d'en faire une autre d'ici à mercredi ; dans tous les cas, si tu le revois, dis-lui tout ce que tu pourras de meilleur de ma part. Son arrivée à Lyon me fait bien plaisir ; car j'espère qu'il y sera encore à Noël et que je pourrai le voir. Les nouvelles que tu me donnes du petit m'ont bien fait plaisir. J'espère que tout ira bien et que le sirop de chicorée ne lui nuira pas et préviendra tous les accidents que nous pourrions encore craindre.[1144] Tous les objets marqués sur ta note se sont trouvés ici, et une paire de bas blancs de plus ; on ne m'a rien pris ; il ne manquait qu'un torchon que j'ai retrouvé au cabinet de physique, où je l'avais porté l'année passée pour m'essuyer les mains lors de mes expériences. Que de bonheurs tu m'as montrés dans nos affaires ! Oui, elles iront tout à fait bien au printemps  ; nous serons tranquilles et ensemble ; ce sera alors que tout sera bonheur pour moi. Comme tu m'as rappelé de douces idées en me disant que nous serions dans notre petit ménage ! Notre petit[1145] ménage, nous y étions dans la rue Bât-d'Argent ! Ce temps est si loin ! Crois-tu qu'il revienne jamais pour moi ? Ma bonne et charmante amie, ma Julie, tu l'as peutêtre oublié ce temps , dont je me ressouviendrai toute ma vie !

Du mardi soir [14 décembre] Je ne sais point si je pourrai t'écrire demain matin parce que, si j'ai vacance le soir, c'est ce jour-là que ma matinée est le plus remplie. M. Dupras a voulu que mes leçons fussent plus longues ce jour-là à cause qu'il n'y a point de classe de latin. Il m'offrait de m'en laisser dédommager un autre jour ; mais c'est de[1146] quoi je n'ai pas voulu profiter. On a toujours pour moi toutes sortes d'attentions et il est impossible [d'être] mieux chauffé, nourri et logé ; je crois même qu'on blanchira mon linge par-dessus le marché sans que j'aie demandé cet avantage, que j'ai, au contraire, refusé pour ainsi dire autant que je l'ai cru convenable. J'attends avec impatience une nouvelle lettre de toi qui m'apprenne que tu [as] mille écus placés chez M. Nallet. J'espère qu'au moment où j'écris, tu as reçu les 2350 l[ivre]s de M. Coste ; la lettre où tu m'apprendras cette nouvelle me fera bien plaisir.

[1147] Du mercredi matin [15 décembre 1802] Je prends la plume à la hâte pour dire un petit bonjour à tout ce que j'aime. Ma Julie, c'est après -demain en huit la veille de Noël. Comprends-tu comme cette idée me fait plaisir ? Dans trois mois, rien ne pourra plus nous séparer. Ces deux idées font tout mon bonheur. Je t'embrasse mille fois, en attendant de me retrouver près de toi. Ne m'oublie pas près de ta maman, de ta sœur, de la maison Périsse !

A Madame Ampère, chez Mme Carron, maison Simon, rue Griffon, vis-à-vis la rue Terraille, à Lyon.

Please cite as “L187,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L187