To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   6 janvier 1803

[1092]Du jeudi soir [6 janvier]

j'ai reçu cette après- dîner une jolie lettre de ma bonne amie. Ma Julie était en peine de la manière dont j'avais fait mon voyage. Tu penses donc à ton mari, tu t'inquiètes des embarras qu'il peut éprouver en route quand il s'éloigne de toi ? Ma pauvre petite, ce n'est rien pour lui ! Comme il voudrait en éprouver mille fois davantage et que le voyage fût pour retourner à Lyon !

Du vendredi [7 janvier] J'ai été interrompu hier pendant que je t'écrivais ; je fus souper et me coucher ensuite en pensant à toi. Je suis allé aujourd'hui solliciter le préfet d'accorder des fonds[1093] pour le cours de physique. En faisant le compte avec M. l'écuyer, j'ai trouvé que les cent francs accordés \[illisible]/ au commencement du cours étaient mangés et au delà ; en sorte qu'il faut en obtenir encore cent pour pouvoir continuer les expériences. J'espère que le préfet les accordera \[illisible]/ ; sans quoi je serai bien fâché d'avoir acheté pour tant d'argent de verreries. Ce n'est pas que je craigne de n'être pas remboursé ; mais, si les élèves étaient obligés de fournir cet argent,[1094] ils auraient raison de penser que je n'ai pas assez ménagé leur bourse. J'espère avoir de l'argent demain, \recevoir des fonds demain/ quoique le préfet, au lieu de m'en [illisible] \promettre positivement,/ se soit amusé à me plaisanter en me disant qu'il en délibérerait avec sa femme.Quoi qu'il en soit, sois bien sûre que je ne perdrai rien de l'argent que j'ai avancé à Lyon. Ma pauvre \Ma pauvre/ amie, je suis bien bête d'avoir perdu mon papier à te raconter ces niaiseries ; mais c'est ma bonheur \satisfaction/ de te raconter \dire/ tout ce qui m'occupe. En attendant que je sache si j'aurai de l'argent, je ne fais point[1095] en attendant je ne ferai [illisible] d'expériences et seulement des raisonnements à mes leçons de physique. Quant à celles de mathématiques que je donne chez M. Dupras, elles m'occupent \m'absorbent/ plus que jamais, parce que, les élèves ayant fini l'arithmétique, je leur fais faire un examen général avant de commencer l'algèbre dont je dois leur donner \parler pour/ la première leçon \fois/ lundi. Ces leçons sont \paraissent/ bien plus commodes à donner \agréables/ que celles de chimie et j'espère que ce seront les seules que j'aurai jamais à donner après que les écoles centrales seront supprimées. \[illisible] à la suppression des écoles centrales/ À mesure que la chimie perd pour moi le charme de la nouveauté, je sens mieux qu'elle est réellement fatigante pour celui qui veut[1096] l'enseigner comme il faut. Les dépenses dont on prend le souci et dont il faut souvent faire l'avance, la préparation des expériences et le chagrin qu'on a de temps en temps de les voir manquer se font apercevoir d'autant plus qu'on y travaille plus longtemps . Je suis bien aise de ce qu'il n'y aura point de chimie dans les lycées et de ce que, si j'ai une place, ce sera pour les mathématiques.

Du samedi [8 janvier] Je voulais faire partir cette lettre aujourd'hui ;mais, en la relisant, \mais/ j'ai vu qu'elle n'avait pas le sens commun. Je me suis ressouvenu de ce que tu m'as dit plusieurs fois au[1097] sujet des dépenses que t'occasionnaient mes lettres ; je viens de t'en écrire deux que tu dois avoir reçues coup sur coup et je suis partagé entre la crainte de te faire faire une dépense inutile et celle de te voir écrire moins souvent : ce qui me priverait de tout ce qui me fait plaisir au monde. Que font à cette heure ma Julie et mon petit ? Se portent-ils bien ? Pensentils à moi ? Songent-ils que quelqu'un à Bourg passe tout son temps à penser à eux, à attendre l'instant qui doit le réunir à eux ? Ma Julie, ma bienaimée, que ce premier[1098] germinal se fait longtemps attendre ! Je serais pourtant encore à temps de mettre cette lettre à la poste et ce serait un grand plaisir pour moi ; mais, tout considéré, tu croirais en la lisant que je crains de n'être pas remboursé et cela t' ennuierait et te ferait pester contre la chimie. Cette lettre \Elle/ ne partira \donc/ que quand je pourrai y joindre la nouvelle que tout l'argent que j'avais avancé pour des particuliers ou pour le gouvernement m'a été remboursé. Adieu, ma bonne amie. \payé/ Baise mon[1099] petit pour moi et faislui tenir la parole qu'il m'a donnée de te dire tous les jours bonjour et bonsoir de la part de son papa.

Du dimanche soir [9 janvier] Je viens de recevoir la caisse et une jolie lettre. Que je te remercie de la peine que tu t'es donnée pour que tout cela fût comme je le souhaitais ! La nouvelle que tu me donnes de la petite Jenny m'a fait plus de peine que je ne l'aurais cru. Tu sais ce que nous disions sur la possibilité qu'elle fît un jour le bonheur de notre petit. Il me semblait que ce malheur, s'il arrivait, serait comme[1100] un présage que ce pauvre petit perdrait celle qu'il aimera avant d'être heureux. Ah, que ce malheur ne lui arrive pas ! \que Dieu l'en préserve/ Qu'il parvienne, comme son père, à obtenir le seul objet pour qui il pourra vivre, et nous n'aurons plus de souhaits à faire pour son bonheur que ceux qui se rapporteront au bonheur \à celui/ de son épouse !... Sais-tu que l'idée de l'épouse de mon petit est bien douce à mon cœur ! Si nous avions une fille, l'idée \[illisible]/ de son mari me plairait moins. Pauvre petite, que je la plaindrais de tous les maux qui devraient \pourraient/ un jour fondre sur elle.

[1101]Du mardi [11 janvier] J'avais laissé dormir ma lettre, ma bonne amie, jusqu'à ce que je pusse te dire ce qu'étaient devenues les espérances que j'avais d'obtenir de l'argent du préfetpour pouvoir continuer mon cours. J'ai enfin reçu cent francs ce matinpour cela, sur lesquels j'ai commencé à prendre ce qui me revenait pour les emplettes faites à Lyon : c'est-à-dire une quinzaine de francs pour les emplettes faites à Lyon et trois francs \livres/ pour du bois que j'avais fait[1102] acheter pour le laboratoire. Ce qu'il y a de plus important, c'est que, sans cet argent, il fallait me décider à faire de nouvelles avances, ou cesser le cours de chimie. Mais voici bien une autre nouvelle ; on dit ici que les examinateurs de Moulins arrivent demain à Lyon. Tu sens de quelle importance cette nouvelle \ceci/ est pour moi. Si cela est \[illisible]/ vrai, je partirai incessamment pour leur être présenté et il faut t'attendre de jour en jour à me voir arriver 1. Quel bonheurpour moi ! Je passerai peut-être la semaine prochaine auprès de ma[1103] bienfaitrice.Si Pochon ne partait pas demain, je t'écrirais par la poste de tâcher de t'en informer et de m'en instruire le plus tôt possible. Les mêmes qui ont apporté de Lyon cette nouvelle, disent qu'ils savent de la préfecture de Lyon \on ajoute/ que M. Roux sera proviseur. Ce serait un grand bonheur pour moi \heureuse chance/. Je t'embrasse tout en joie. Je serai peutêtre dimanche près de toi. Que je voudrais que ta main pût sentir palpiter mon cœur ! A. AMPÈRE.

A Madame Ampère, chez Mme Carron, maison Simon, rue du Griffon, vis-à-vis la rue Terraille, à Lyon.
(2) Ce projet s’est réalisé et Ampère a passé à Lyon du 18 au 21 janvier.

Please cite as “L197,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 27 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L197