To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   25 janvier 1803

[1108] Bourg le Mardi soir [25 janvier 1803]

Comment t'expliquer, ma bonne amie, le désagrément que j'ai eu aujourd'hui ? J'espère être encore à temps pour réparer mon étourderie. Je sais combien de fois tu m'as répété de relire mon ouvrage *, je n'ai jamais eu le temps . Eh bien, une faute m'était échappée dans le calcul des pages 18 et 19. J'ai eu beau relire les épreuves ; je ne m'en suis point aperçu . Aujourd'hui, je reçois une lettre de Lacroix et de Laplace ; le premier me fait les remerciements de l'Institut ; le second, en post-scriptum de la lettre de Lacroix, fait[1109] l'éloge de mon ouvrage, mais reprend sévèrement cette faute, et avec des expressions qui me font craindre qu'il l'attribue à ma fausse manière de raisonner plus qu'à une distraction et j'avoue que j'ai répété deux fois cette faute parce que j'ai recopié un faux résultat sans le vérifier, ce qui m'aurait fait découvrir mon erreur. Dans le moment où j'ai lu cette lettre, j'ai cru lire ma condamnation ; j'ai vu ma place au Lycée et ma réputation perdues ; mais j'ai été rassuré en faisant attention que, cette faute n'influant en rien sur le reste de l'ouvrage,[1110] je pouvais tout réparer en écrivant d'abord une lettre à M. de Laplace, où je le remercierai de ce qu'il a examiné mon ouvrage et corrigé mon erreur, dont je conviendrai franchement en m'excusant, s'il est possible, sur le peu de temps que j'ai eu pour composer et corriger cet ouvrage, que je dirai avoir été imprimé en partie à Lyon pendant que j'étais encore à Bourg et occupé d'un cours de physique. Ensuite, quoi qu'il en puisse coûter, et malheureusement il ne m'en coûtera point d'argent, MM. Périsse consentiront à faire[1111] imprimer un carton, c'est-à-dire un feuillet qu'on substitue dans chaque exemplaire à celui qui contient l'erreur. Malheureusement ces deux pages ne tiennent pas au même feuillet, et on sera obligé de réimprimer aussi les revers, quoique exempts de fautes. Cela fait quatre pages ou la moitié d'une feuille. Mais ma réputation, ma fortune même en dépendent. Si je ne puis pas montrer mon ouvrage corrigé, on croira partout qu'il n'a pas le sens commun, et cela pour une seule[1112] erreur, et quoique cette erreur se trouve rectifiée plus loin dans la solution du problème qui suit celui où je l'ai commise ; car Laplace, pour la découvrir, n'a eu qu'à rapprocher du passage erroné celui où je donnais le véritable résultat. Que cette lettre va te faire de la peine, ma charmante amie ! Mais pouvais-je te cacher une seule de mes pensées et comment, sans toi, réparer ma faute ? Tu sens quelle célérité il faudrait mettre dans tout cela ; il faudrait que je pusse envoyer des[1113] exemplaires corrigés à l'Institut et à M. de Laplace avant que MM. Delambre et Villars achevassent l'organisation du Lycée de Lyon. J'attends, avec une impatience qui n'a point d'expression, ce que MM. Périsse t'auront répondu. Je t'envoie la lettre que j'ai reçue de Paris ; tu pourras la leur montrer si tu le juges à propos ; puis tu me la renverras. J'ai déjà commencé de rédiger ce qu'il faudra imprimer sur les nouvelles pages ; je te l'enverrai incessamment par la messagerie pour[1114] qu'on commence à l'imprimer ; il sera accompagné d'une lettre à Marsil où je lui expliquerai ce qui doit être changé. Tu me renverras les épreuves, soit par la messagerie, soit par Pochon, suivant le jour où elles seront prêtes, afin que je les corrige rapidement. Observe que l'on voit bien que Laplace a lu tout l'ouvrage et n'y a trouvé que cette faute ! Il approuve tout le reste, ce qui laisse ma théorie entière, et m'assure que je n'ai fait aucune autre erreur. Tu recevras cent francs avec cette lettre. 36 l[ivre]s appartiennent[1115] à M. Cabuchet pour payer à M. Gambier les objets que je lui demande pour ce monsieur dans la lettre ci-jointe. Le reste vient d'un petit mandat qu'on m'a remis aujourd'hui pour solder l'arriéré du dernier mois de l'année passée qui n'avait pas été payé complètement. S'il n'y a pas assez\des 36 l[ivre]s/ tu avanceras le reste, qui me sera rendu immédiatement par M. Cabuchet. Tu feras mettre dans la même caisse un exemplaire de l'Indiculus universalis du père Pomel et un de[1116] l'Arithmétique de Tevenard que tu prendras ou feras prendre chez MM. Périsse pour MM. Dupras et Olivier. Que de commissions je te donne, ma pauvre amie ; ne t'en charge qu'autant qu'elles ne te donneront pas trop d'embarras ! MM. Cabuchet, Dupras et Olivier ont tous de bonnes raisons pour que je m'empresse de les obliger. Quant à ce qui regarde mon ouvrage, tu ne peux manquer de penser comme moi qu'une grande partie de notre tranquillité et de notre bonheur dépend[1117] du parti que nous prendrons à ce sujet et de la promptitude que nous mettrons à son exécution. Que te dirai-je, ma bienfaitrice, des regrets que j'ai eu de m'éloigner de toi, de l'ennui qui me poursuit ici ! Ah ! Si du moins j'avais été près de toi quand je venais de recevoir cette lettre et que je voyais tout en noir ! Comme un baiser aurait dissipé les nuages de tristesse qui m'enveloppaient cette après- dîner  ! Ma Julie, j'ai été consolé en pensant que je n'en étais pas moins l'objet de ton amitié, puisque tu es si bonne que d'en avoir pour ton sot mari. Que je voudrais t'embrasser de plus près ! Je t'embrasse et mon petit du mieux que je peux de si loin. A. AMPÈRE

Please cite as “L203,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 20 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L203