To Élise Carron (sœur de Julie)   13 février 1803

Dimanche 13 février [1803]

Ma chère sœur, je profite du seul jour où j'ai du temps à moi dans la semaine pour t'écrire. Tu sais qu'il y a bien longtemps que j'espère toujours avoir un moment pour cela et que je suis trompé dans mon attente. A peine ai-je le temps d'écrire à Julie. Si tu connaissais quelqu'un à Bourg, je t'en donnerais des nouvelles que tu pourrais lire avec quelque intérêt. Si tu y avais une ou deux bonnes amies, je t'écrirais qu'elles se marient, car c'est dans ce moment la grande occupation des demoiselles de Bourg. Quant au reste des habitants de cette ville, il paraît que ce carnaval est bien moins animé que le précédent. L'année passée ce n'était que bals ; celle-ci on les compte. Mais, pour se consoler, on se martine. La martinoire est toujours pleine de gens qui ne se donnent pas le temps de manger pour se livrer à cet amusement dont je n'ai pas tâté, mais dont la continuelle monotonie ne peut guère enchanter que des Bressans. Ici c'est une fureur ; et, quand on s'est martiné depuis le lever du soleil jusqu'à son coucher, on allume des chandelles, des lampions, etc., tout le long de la rue qui descend des prisons à la Grenette et l'on continue de se martiner, si bien qu'on dit que jusqu'à deux heures du matin la rue est illuminée et pleine de martineurs.

Il faut avouer que voilà bien du papier perdu pour une chose qui n'en valait guère la peine ; mais un voyageur doit faire un fidèle récit des mœurs et usages des régions qu'il parcourt. Or, l'usage des martinets est le caractère propre du peuple de Bourg, le reste y va comme à Lyon et à Paris, et tout cela est su d'avance par quiconque a une légère connaissance des légers Français, au lieu que la martinoire est une chose dont on ne se douterait pas si l'on ne voyait le plaisir qu'y trouve une foule de badauds et le profit des jambes et des bras qui en revient aux chirurgiens. Je me sens gai aujourd'hui de ce que Julie m'a écrit la plus jolie lettre que l'on puisse imaginer, de ce qu'elle me dit que tous vos rhumes dont j'ai été bien longtemps bien en peine vont mieux et de ce que j'ai fait ce matin le compte de mon exil qui ne doit plus durer que 36 jours. J'espère que ces malheureux rhumes seront bientôt tout à fait dissipés et que cette bonne nouvelle se trouvera dans la lettre que je recevrai ce soir de Julie.

J'avais laissé là ma lettre pour aller voir si Pochon était arrivé ; il l'était en effet depuis un moment et m'a remis la lettre de Julie. J'y ai vu que tu te portais mieux et le petit aussi, mais qu'elle était toujours bien fatiguée, surtout à cause du froid. Je ne sais pas quand le temps se radoucira. Je vais répondre à Julie et je mettrai cette lettre dans la sienne. Si du moins elle pouvait vous trouver toutes en bonne santé ! Je vois en relisant la lettre de Julie qu'elle reste couchée la plus grande partie du temps ; elle fait bien, ce froid seul serait une raison suffisante de le faire ; mais cela me fait craindre qu'elle ne soit plus fatiguée qu'elle ne me le dit. C'est sur toi que je compte, ma bonne sœur, pour me dire toute la vérité, si elle devenait plus malade. Je t'embrasse mille fois de tout mon cœur. Ton frère A. AMPÈRE

A Mademoiselle Élise Carron, chez Madame Carron, rue du Griffon, vis-à-vis la rue Terraille à Lyon.

Please cite as “L219,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 26 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L219