To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   13 mars 1803

[118]Du dimanche [13 mars 1803]

\Si cette lettre t'arrive avec une autre, lis d'abord l'autre qui est bien plus pressée./ Tu as vu, ma bonne amie, par la lettre que je t'ai écrite ce matin, les heureuses nouvelles que j'avais à t'annoncer. J'ai encore vu M. Delambre qui a fait \sa visite au collège /avec M. Villars. Il m'a dit, en voyant le cabinet bien en ordre :Tout ce que je vois de vous confirme l'idée que j'en avais conçue. Je vais à Paris porter la liste de mes observations sur ceux qui se présentent pour les places de Lycées. La vôtre est pour Lyon, dans l'ordre que je vous ai déjà fait connaître. Le gouvernement n'a rien encore changé dans tout ce que j'ai fait[119] et, sûrement, il ne commencera pas par vous. D'ailleurs je serai près du gouvernement et je veillerai à ce qu'on vous envoie promptement votre nomination. Ce que dit M. Delambre ne varie plus. Il a repoussé devant moi toutes les insinuations de M. Beauregard et, comme il ne veut point lui donner de place, il lui a constamment répondu de manière à lui ôter toute espérance. Aussi ma nomination n'est pas susceptible du plus léger doute.

J'ai été de là chez Pochon ; j'y ai trouvé une lettre de ma bonne amie. Ah, M. Pont m'avait trompé en me[120] disant qu'Empaire t'avait trouvée prête à te lever, gaie et bien portante autant qu'on peut l'être après avoir été si malade. Je m'informerai de la dame dont tu me parles 1. Plût à Dieu que ce qu'on t'a dit fût vrai et que ces eaux pussent enfin te guérir ! Venons à tes réflexions ! Ah, si mon traitement continuait après le premier germinal, tu n'aurais pas eu besoin de me prêcher ; mais tout est supprimé par le même arrêté. Il est vrai qu'on parle d'un nouvel arrêté pour proroger les écoles centrales ; mais je ne crois pas qu'il vienne et, s'il ne vient pas, resterai-je[121] à Bourg pour gagner 60 l[ivre]s par mois, et sans savoir si MM. Dupras et Olivier se soucient que je reste plus longtemps  ? Ils m'avaient pris pour donner des leçons jusqu'à l'examen qui vient d'avoir lieu. Qu'est-ce que ces leçons leur rendront à présent ? C'est bien toujours la même amitié, les mêmes égards ; mais faut-il attendre pour me retirer qu'ils aient réellement envie que je m'en aille ? Ne vaut-il pas mieux prévenir ce moment par mon départ ? Si mes appointements m'étaient continués je leur offrirais de leur payer pension dès que leurs élèves n'auraient plus besoin de mes soins. Mais cette supposition est sans vraisemblance.

[1224] Il faut nécessairement que je retourne à Lyon, que j'y travaille à l'ouvrage que j'ai promis à M. Delambre et dont je t'ai parlé dans ma lettre de ce matin. Je me passerai de revenus pendant deux ou trois mois ; mais il me reste 336 l[ivre]s à recevoir pour mes deux derniers mois. Nous vivrons là-dessus jusqu'au Lycée. Quant à ce que tu appelles notre appartement et que tu sens bien ne nous pas convenir, surtout depuis qu'il est décidé que je ne ferai probablement point d'élèves chez moi à Lyon, mais seulement quelques-uns en ville, je crois que nous pourrions regagner ce que je gagnerais[1225] de moins par une diminution sur le prix du loyer et en épargnant le feu, la lumière, etc., qui feraient autant de dépense pour 3 ou 4 élèves que pour 20. D'ailleurs, je t'ai déjà dit que les professeurs seraient logés à ce que je croyais dans les Lycées. Il ne s'agit donc que de nous débarrasser de cet appartement, sauf à en louer un autre de 400 l[ivre]s à 450 l[ivre]s jusqu'à l'établissement des Lycées : c'est-à-dire pour 6 mois ou un an au plus. Il y en a un joli dans la rue S[ain]tDominique, n° 69, au 2d étage, à louer à présent et qui est composé de 2 pièces, 2 cabinets et une soupente. Voilà bien tout ce qu'il nous faut, puisqu'il est inutile de penser aux élèves et ces messieurs m'ont dit[1226] que ma place me rendrait plus de 100 louis dès la première année, et bien davantage ensuite, sans compter le logement. Maintenant tu vas me dire comment je trouve si facile de rompre ce malheureux marché fait avec tant de précipitation. Les raisons que je vais te donner ne vaudraient rien pour quelqu'un qui nous connaîtrait, qui saurait que j'obéirai toute ma vie à tes moindres volontés et que, si tu le veux absolument, je signerai ce bail ; mais ces raisons seront bonnes pour le propriétaire de la maison. Il sait bien qu'il ne peut traiter qu'avec moi et que je ne suis engagé en aucune manière, ni de vive voix, ni par[1227] écrit. Je ne te ferais pas ces propositions si je croyais que tu tinsses à cet appartement. Je ne te parlerais pas de le dédire, mais tout doit nous porter à n'en point vouloir. La nécessité d'économiser puisque, pendant 2 mois, je ne gagnerai rien et qu'au lieu de songer à prendre des élèves, il ne faudra songer qu'à préparer le cours que je dois faire, et travailler à me faire une réputation qui m'assure un jour une fortune brillante. M. Delambre a commencé par être précepteur dans des maisons particulières ; il va quitter l'inspection générale de l'Instruction publique et il lui restera quatorze mille livres pour les places de mathématiques qu'il occupe. Tu sens comme moi[1228] qu'il nous convient d'autant moins\de prendre cet appartement/ que, si j'avais des leçons à donner, je les donnerais dans l'appartement que le gouvernement m'accorde au collège. Il est sûr qu'on m'en donne un et il se confirme que le proviseur aura le droit d'autoriser les professeurs mariés à y loger \avec /leur femme, surtout lorsque l'on y aura une autre entrée que celle que fréquenteront les élèves, comme cela est très facile à Lyon où le bâtiment du collège donne sur le quai du Rhône. Tu peux décider à ton gré de toutes mes actions ; mais, aux yeux de la loi,[1229] personne sur la terre ne peut m'engager en mon absence et à mon insu. Pour ton repos, ton bonheur, laisse-moi faire usage de ce droit ! Il suffit d'envoyer au propriétaire de la maison la lettre que tu trouveras ici, et nous n'entendrons plus parler de l'appartement. Il faut se dépêcher seulement pour faire au propriétaire le moins de tort possible. Tu vas répugner à cette démarche ; mais réfléchis-y bien, tu verras que c'est ton intérêt qui la commande, que nous ne lui faisons point de tort, puisque son appartement[1230] a bien le temps de se louer d'ici la S[ain]t-Jean ; que, quand même il aurait perdu cette bonne occasion de louer dont il se vantait pour te faire donner dans le piège, ce serait bien sa faute, et sa seule faute ; car, si ç'eût été un honnête homme, il t'aurait dit : Madame, écrivez à votre mari et, quand vous aurez son consentement, je recevrai votre parole.

Je suis sorti pour voir M. Clerc qui devait avoir vu le préfet au sujet des prix qu'on veut donner, suivant l'usage, aux élèves de l'école. Il ne l'avait[1231] pas trouvé. Je lui ai demandé s'il pensait que les professeurs fussent logés au Lycée avec leur ménage, ou si l'on suivrait à cet égard la loi à la lettre. Il m'a dit que tout ce qu'il en savait c'est qu'ayant demandé à M. Delambre s'il serait logé, lui, au Lycée de Moulins, M. Delambre lui avait répondu qu'il croyait que non parce que le bâtiment où l'on plaçait le Lycée était trop petit pour loger tous les professeurs. Pèse bien cette réponse et songe à l'immensité des bâtiments du grand collège de Lyon ! Je viens à mon dernier argument. Tu me dis dans ta lettre d'aujourd'hui que tu es fâchée d'avoir promis[1232] de louer. Car enfin, tant que je ne me suis pas engagé, rien n'est fini. Tu ne peux donc avoir envie de l'appartement que par la crainte de faire tort au propriétaire, ou par celle de l'action qu'il pourrait avoir contre nous. Eh bien, quatre mois avant mon mariage, j'avais donné parole moimême et depuis deux jours au propriétaire du petit appartement situé au coin du quai du Rhône et de la place du Concert. Cet appartement ne convient plus ; ma tatan vient de Poleymieux, dit que maman (qui avait vu l'appartement) n'en veut point et que je n'ai pas pu m'engager[1233] pour elle. Si c'était une injustice, ne m'aurait[-on] fait alors aucune observation ? Le silence qu'a gardé le propriétaire prouve qu'il ne pouvait rien contre nous. Si ces raisons te convainquent, je te prie en grâce de mettre l'adresse sur ma lettre et de l'envoyer sur-le-champ au propriétaire. Si tu persistes dans l'envie de garder l'appartement, brûle ma lettre ; mais, de grâce, écris-moi sur-le-champ ta décision ! Je l'attends avec une mortelle inquiétude. Prenons l'appartement si [tu] le veux absolument, je te promets de signer le bail et de ne t'en jamais parler . Tu as oublié de me répondre au sujet de la dédite ; je pense que tu n'en as point stipulé, et c'est une raison de plus pour tout rompre quand cela est si facile. Je pense bien que tu ne prendras pas pour toi ce que je dis au propriétaire : il faut le payer de ces raisons. Je t'embrasse mille et mille fois de tout mon cœur.

(2) Voir la Lettre 0231.

Please cite as “L232,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 23 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L232