To Julie Carron-Ampère (1ère femme d'Ampère)   3 avril 1803

[Dimanche 3 avril 1803]

[1216]Ma chère amie, je suis arrivé hier en bonne santé, mais bien fâché d'avoir été obligé de te quitter, bien inquiet d'être parti sans savoir ce que M. Petit aurait dit de ton état s'il t'avait vue. Ma bonne amie, tu m'as promis de le consulter avant ton départ pour S[ain]t-Germain, je compte sur cette promesse. J'espère que tu seras bientôt assez forte pour respirer l'air pur de la campagne. Ah ! ma bonne Julie, quel poids m'a laissé sur la poitrine le séjour que j'ai fait à[1217] Lyon ! Que je te vois peu heureuse ! Tracassée par ceux qui te sont chers, tu n'as personne à qui tu puisses dire toutes tes pensées, tous tes chagrins ; il faut que tu les gardes tous sur le cœur. Sais-tu l'idée qui me peine le plus, j'ai été pendant quelque temps celui qui t'inspirait le plus de confiance, et je ne le suis peut-être plus... Je ne mérite pas ce bonheur dont j'étais si doucement bercé après les voyages que j'ai faits à Lyon au commencement de l'hiver : le seul que[1218] j'ambitionnais, celui qui m'aurait suffi pour que je m'estimasse le plus heureux des hommes ! Je sais bien que, si je l'ai perdu, c'est une juste punition d'une faute toute différente, étrangère à mon amour pour ma bienfaitrice, mon unique amie, mon seul bonheur. Oui, ma Julie, je sens que tu es tout pour moi et, pour me retrouver comme j'ai été quelquefois possesseur de ta confiance et de ton amitié, rien ne me coûterait au monde ; je te promets de devenir plus[1219] vertueux afin que tu m'aimes davantage. Ce sera ma récompense , n'est-ce pas, ma bonne amie ! Oh ! Si tu pouvais m'aimer comme dans le temps où tu nourrissais le petit et où tu te plaisais à être avec moi, pour me raconter toutes tes idées ! Je n'aurais plus, pour mon bonheur, qu'un souhait à former, celui de te voir parfaitement rétablie. J'ai reçu ce matin un mandat de 7 louis ; je t'en enverrai ce que tu voudras et quand tu le voudras. Mais, depuis que je sais[1220] combien il est aisé de prendre\de l'argent/ dans le tiroir où tu le ranges en levant le dessus de la table, je les crois aussi en sûreté et peutêtre plus dans un tiroir bien fermé où personne ne sait qu'il y en a et dont la clef est hors de la portée des malintentionnés. Je crois, au reste, être bientôt dans le cas de te les porter moimême. M. Mermet m'a dit hier qu'une lettre de Fourcroy lui avait appris sa nomination et lui avait annoncé que l'arrêté des consuls paraîtrait incessamment. Cet arrêté, comme tu[1221] sais, doit nommer à la fois à toutes les places des Lycées de Lyon et de Moulins. D'ailleurs, tous les professeurs de l'école centrale de Bourg à qui j'ai parlé n'espèrent guère leur prolongation et commencent à se dégoûter. Je m'attends qu'ils vont tirer au premier jour chacun de son côté.

Plus je réfléchis à notre position, plus je suis content que nous ayons un appartement et comme mes déterminations tombent tantôt d'un côté, tantôt de l'autre, je ne le louerais pas[1222] dans l'incertitude où je suis de la manière dont les choses tourneront, quand on m'en donnerait 700 l[ivre]s ! Que j'attends avec impatience le moment où nous serons réunis ! Loin de toi, je me sens à présent le cœur serré d'une tristesse qui a du moins cela de bon qu'elle me dispose à la dévotion. Je pense, depuis que je t'ai quittée, à ce que tu attends de moi. Tu ne sens pas combien cela, dans la position où se trouve mon esprit, exige de réflexions. Je suis, au reste, bien déterminé à le faire ; mais qu'il m'en coûte de ne pouvoir te communiquer[1223] toutes mes idées ! Ce n'est pas un sujet à [illisible] traiter par lettres. Adieu, ma bonne et charmante amie, je t'embrasse comme je t'aime ; tu ne sais pas combien cela veut dire tendrement. Si tu te défiais \doutais/ de ma tendresse, comme tout le reste de ma vie serait noir de chagrin ! Ta maman, ta sœur savent bien ce que je leur dis. Je t'embrasse et le petit aussi. A. Ampère.

A Madame Ampère, chez Mme Carron, rue du Griffon, vis-à-vis la rue Terraille, à Lyon.

Please cite as “L237,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 25 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L237