From Jean-Baptiste Delambre   15 décembre 1803

23 frimaire, an XII [15 décembre 1803]

J'ai reçu, Monsieur et cher Confrère, votre lettre et le mémoire que j'ai présenté à l'Institut peu de jours après (1). On vous a nommé pour commissaires MM. Lagrange et Lacroix ; mais ils n'ont pas encore fait de rapport. Il n'y a rien en cela de bien extraordinaire. Mais ce qui l'est davantage, c'est que Biot, chargé du mémoire précédent, n'en a point encore parlé. M. Lagrange, qui est aussi commissaire, avait lu le mémoire avant que je ne le présentasse ; mais il a voulu qu'on lui adjoignît un géomètre plus jeune, plus au courant de tout ce qu'on a pu faire nouvellement et qui eût plus de temps pour faire des recherches dans les auteurs qui ont pu traiter le même sujet. Biot est singulièrement occupé. Il fait, en ce moment, deux cours différents, celui de physique mathématique, pour lequel il a remplacé feu Cousin et celui de physique expérimentale à la place de Lefèvre-Gineau, inspecteur général des études. En outre, il professe à l'Athénée de Paris et, par-dessus tout, il est employé à la confection d'un livre élémentaire pour les lycées. Quand on le nomma commissaire, il vint me demander si la chose était bien pressée parce qu'il avait pour le moment bien de la besogne. Je lui ai répondu poliment et de manière à le mettre un peu à son aise. J'imaginais qu'il était question d'un délai de quelques semaines ; mais je commence à craindre qu'il n'ait tout à fait oublié qu'il a un rapport à faire et je l'en ferai souvenir. J'ai appris avec plaisir les succès de votre lycée à l'extérieur et le nombre d'élèves qu'il compte, mais avec beaucoup de chagrin le parti que M. Béranger 1 a pris de se retirer. Instruit indirectement qu'il avait donné sa démission, j'avais prié Fourcroy de ne point l'accepter et il me témoigna penser absolument comme moi. Peu de temps après, M. Béranger lui-même m'écrivit pour m'engager à faire agréer cette même démission, contre laquelle j'avais déjà parlé. Ne sachant plus quel parti prendre, je demeurai neutre. M. Bureaux de Puzy, à qui j'eus l'occasion d'écrire, me parut persuadé qu'on ne pouvait refuser à M. Béranger la permission de se retirer ; mais il souhaitait qu'on prît en considération 33 années consacrées à l'instruction de la jeunesse et qu'on l'en récompensât par une pension de retraite. Quoique bien convaincu de la difficulté, ou plutôt de l'impossibilité de la chose, j'en fis la demande et la réponse fut telle que j'avais prévu. Fourcroy m'assura qu'il n'avait à sa disposition aucun fond, aucun moyen d'établir une pension, qu'on n'avait rien pu faire en ce genre, même pour les anciens professeurs les plus distingués de l'Université de Paris. Ces raisons ne me paraissaient que trop bonnes et je cessai mes sollicitations.

J'ai appris par l'almanach national que M. Béranger est remplacé par M. Cofrer que je ne connais point. Ce qui m'a surpris, c'est que la place de mathématiques élémentaires est vide et que je n'y vois pas le nom de M. Guidi qui l'occupait. Il était ici pendant ses vacances et ne paraissait pas disposé à demander un successeur. Je n'y comprends rien. Je serais fort aise aussi de savoir ce que fait M. Béranger. Continue-t-il d'habiter la ville, ou s'est-il retiré à la campagne ? Sa retraite a fait peine à M. Daburon, qui même voulait le suivre, m'a-t-on dit. Je vois avec plaisir qu'il continue d'être professeur et votre confrère. Il m'avait écrit vers ce temps-là ; je me suis acquitté de la commission qu'il m'avait donnée : elle ne put réussir et je négligeai de lui répondre, parce que je n'avais malheureusement rien de favorable, ni d'utile à lui apprendre et que, surchargé de besogne comme je le suis presque toujours, je me vois obligé de manquer ainsi à mille petits devoirs que je sacrifie à d'autres qui sont plus indispensables.

Je ne vois encore pour le moment rien à changer à ce que j'ai dit de vous à M. Bouchot, si ce n'est peut-être que les places vont être plus rares ici que je n'avais pensé. Le Prytanée de Paris a été converti en Lycée en conservant son directeur et ses professeurs. II paraît, d'après cela, qu'il n'y a plus que deux lycées à former au lieu de trois. Les écoles centrales continuent toujours.

Comment se porte l'aimable et bon docteur Gilibert ? Qu'est devenue son intéressante collection ? A-t-il obtenu la maison qu'il demandait et qu'il voulait joindre au jardin botanique ? J'en ai parlé plusieurs fois au Ministre de l'Intérieur qui paraissait bien disposé, mais qui craignait des obstacles de la part du Ministre de la Guerre. Depuis que Chaptal n'est plus notre président, je le vois un peu plus rarement et presque toujours trop entouré pour avoir avec lui des conversations bien longues 2.

à Ampère, professeur de mathématiques au Lycée de Lyon.
(2) Proviseur du Lycée de Lyon.
(3) Le bas de la quatrième page, qui contenait la signature, a été coupé.

Please cite as “L252,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 16 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L252