To Elise Carron (sœur de Julie)   21 juillet 1805

Dimanche 2 thermidor [21 juillet 1805]

Tu dois m'en vouloir, ma chère sœur, d'être resté si longtemps sans t'écrire. Mais que t'aurais-je écrit ? Ma vie est un cercle dont tous les moments se ressemblent ; m'ennuyer en travaillant, m'ennuyer lorsque j'ai un moment de repos, voilà à peu près toute mon existence. Je n'ai qu'un seul plaisir, bien bête, bien factice, et que je goûte rarement, c'est celui de me disputer sur des questions de métaphysique avec ceux qui s'occupent de cette science à Paris et qui me montrent encore plus d'amitié que les mathématiciens. Mais ma position m'oblige à travailler au gré de ces derniers : ce qui ne contribue pas peu à m'ennuyer parce que je n'aime plus du tout les mathématiques. J'ai cependant fait deux Mémoires de calcul depuis que je suis à Paris qui vont être imprimés dans le journal de l'école Polytechnique. Ce n'est guère que le dimanche que je peux voir des métaphysiciens tels que M. Maine de Biran avec qui je suis fort lié et M. le sénateur de Tracy chez qui je vais quelquefois dîner à Auteuil, où il demeure. C'est presque le seul endroit près de Paris dont le paysage rappelle les bords de la Saône. Il y a aussi là de jolies saussaies au bord de la Seine, mais la campagne ne fait plus que m'attrister. Il y a quelque temps que je dînai chez lui avec le célèbre La Fayette dont le fils a épousé sa fille. La vue du libérateur de l'Amérique me fit éprouver une émotion dont je ne me croyais plus susceptible dans cette sorte d'apathie morale qui fait à présent toute mon existence.

Je ne sais de quoi je vais te parler, mais en vérité, je suis tellement vide d'idées et de sentiments que je ne sais où trouver un sujet dont je puisse t'entretenir sans t'affliger. Tu verras dans la lettre que j'écris à ta maman que tous ceux à qui tu peux t'intéresser à Paris se portent bien.

Adieu, ma chère sœur, songe quelquefois à moi, si tu le peux faire sans trop de chagrin. Embrasse pour moi ta maman, je t'embrasse de toute mon âme. Adieu, ton frère A. AMPÈRE

A Mademoiselle Élise Carron, chez Mme Carron, à Saint-Germain-au-Mont-d'Or.

Please cite as “L274,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 19 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L274