To Claude-Julien Bredin   10 octobre 1805

[Vers le 10 octobre 1805]

Vous avez donc embrassé ce pauvre enfant que son père a quitté. Il me ressemble, dit-on ; faut-il le désirer ? Je le verrai dans huit jours. Vous viendrez avec moi à Poleymieux, n'est-ce pas ? Puis je vous reconduirai à Lyon, dans cette ville où j'ai été si heureux et que j'espère pourtant ne plus jamais habiter. Oh, qu'ils me connaissent mal ceux qui pensent que ce séjour me ferait du bien ! S'ils m'aiment, ces hommes dont je suis séparé, qu'ils ne me parlent jamais de revenir me fixer dans ces lieux où se sont écoulées et mon enfance et mes années de bonheur ! Non, non, ils n'ébranleront jamais ma résolution ; leurs conseils ne pourraient qu'empoisonner inutilement le peu de moments qui me reste à passer auprès d'eux. Que Barret, Ballanche ne me tourmentent pas à ce sujet ! épargnez-moi tous la plus grande peine que vos sollicitations me feraient éprouver dans ce voyage dont la perspective s'offre à moi à la fois sous des couleurs si douces et si tristes.

Je m'occupe toujours beaucoup de métaphysique et suis très lié avec Maine de Biran. Son ouvrage *, qui vient d'être couronné à l'Institut et qu'il va publier, est l'écrit le plus opposé aux systèmes modernes, que l'on peut imaginer ; c'est une métaphysique toute spirituelle comme celle de Kant, peut-être plus éloignée encore de tout ce qui tient au matérialisme. Ma manière de concevoir les phénomènes intellectuels est plus simple et, à ce qu'il me semble, plus d'accord avec les faits ; mais elle n'élève pas l'âme autant que la sienne et ne donne pas une si haute idée de cette force innée de la volonté, libre par essence, dont il fait découler toutes ses explications. Je connaîtrai mieux bientôt l'ensemble de son système. J'attends avec impatience la publication de son livre.

Nizier est bien reconnaissant de votre souvenir ; en voilà encore un qui vaut mieux que moi. Remerciez ces dames Bredin, de l'intérêt qu'elles veulent bien prendre au pauvre exilé. Pas un moment pour dire à mes amis combien ils me sont chers. Mais à bientôt. A. AMPÈRE

Please cite as “L277,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L277