To Jacques Roux-Bordier   1806

[1806]
[787]Mon cher ami,

J'ai reçu par M. Jacquard la lettre que vous m'avez fait le plaisir de m'écrire. Vous m'y demandez la copie de la charrue à deux socs, et des renseignements sur la fabrication de la poudrette. Ces deux choses sont brevetées d'invention ; nul, par conséquent, n'en peut faire usage sans le consentement des inventeurs et ce qui est déposé à ce sujet au Conservatoire l'est sous le secret.Ce serait une prévarication des chefs de cet établissement s'ils contribuaient à mettre qui que ce soit dans le cas d'imiter les procédés brevetés à l'insu des inventeurs. II m'a été impossible de savoir l'adresse de l'inventeur de la poudrette ; tâchez de vous la procurer ; car il a annoncé dans le temps, dans plusieurs journaux, qu'il autoriserait[788] ceux qui voudraient en faire ; probablement moyennant une légère rétribution.

Je suis secrétaire du Bureau consultatif au Ministère de l'Intérieur ; cela n'a rien de commun avec le Conservatoire, quoique l'administrateur et un des démonstrateurs à ce dernier établissement, MM. Molard et de Montgolfier soient du Bureau consultatif  : c'est comme tout autre en pourrait être. Je ne puis donc rien au Conservatoire que comme ami de ces deux chefs de cet établissement. La charrue à deux socs étant aussi brevetée, nul ne peut en faire usage qu'en en demandant une à l'inventeur, M. Durand, agriculteur à Gloss, près Lisieux, département du Calvados , ou la permission d'en faire de pareilles. Vous ne pouvez donc, mon cher ami, en avoir une qu'en lui écrivant. Au reste, j'ai[789] lu dans un journal, il y a quelques jours, un article ainsi conçu :M. Poincelot, artiste vétérinaire à Cambray, vient de construire une charrue à cinq socs qui laboure une largeur de 4 pieds 4 pouces, au lieu que l'ordinaire à un soc ne laboure que 8 pouces dans le même temps ; elle n'exige que trois chevaux, quand il en faut deux pour cette dernière et un seul homme suffit également pour la conduire. Voilà qui, comme vous voyez, est bien supérieur à la charrue de M. Durand, si cela est vrai. C'est donc plutôt à M. Poincelot qu'il faudrait écrire. Quand cela serait très exagéré, on pourrait encore, à prix égal, faire deux ou trois fois autant d'ouvrage.

Au reste, sans écrire, ne pourriez-vous pas inventer et essayer des charrues d'après ces données ? Je suis bien[790] fâché de ne pas pouvoir vous donner d'autres détails ; mais, si vous saviez que tout mon temps est tellement pris, que je ne peux trouver un moment pour écrire cette lettre qu'aux dépens de mon sommeil, vous ne vous étonneriez pas, et n'en seriez pas moins persuadé de mon empressement à vous faire plaisir. Fâché seulement de ne pouvoir le faire autant que je le voudrais ! Adieu, mon cher ami, je vous embrasse de toute mon âme et vous prie d'embrasser pour moi tous nos amis. A. AMPÈRE

à M. Bredin fils, professeur d'anatomie près des portes de Vaise. Pour remettre, s'il lui plaît, à M. Roux-Bordier, à Lyon (Rhône)

Please cite as “L283,” in Ɛpsilon: The André-Marie Ampère Collection accessed on 24 April 2024, https://epsilon.ac.uk/view/ampere/letters/L283